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Mardayer

19 avril 2018, 09:35

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Karl rencontra Miko pour la première fois lorsque ce dernier était venu travailler en tant que manev lor sentié. En ce temps-là, il y avait beaucoup de chômeurs dans le pays et les jeunes étaient obligés de tras zot lavi en se tapant des petits boulots. 

Très vite après son arrivée, Miko est devenu l'ami de tous. Personne ne connaissait rien de son passé ni d'où il sortait, mais il avait toujours de belles histoires et de bonnes blagues à raconter. Souvent, lorsque Karl faisait une pause à 10 heures pour fumer, Miko se joignait à lui et lui empruntait une cigarette et, ensemble, les deux fumaient un moment en bavardant, avant de reprendre le travail. Puis, un jour, quelqu'un fit la remarque à Karl : «É! Miko, ki so problem? Toultan nek li dimann sigaret. Zamé li péna li?»

À partir de ce jour-là, Karl remarqua qu'effectivement Miko n'achetait jamais de cigarettes ; il se contentait seulement d'en demander à différentes personnes à tour de rôle. Certains d'entre eux, ayant compris son manège, évitaient de fumer en sa présence, pour ne pas avoir à partager avec lui. Certains lui disaient simplement : «Péna sigaret zordi.»

Un jour, profitant d’une petite pause, Karl sortit son paquet de cigarettes, prit une clope et le mit entre les lèvres. Il s’apprêta à remettre le paquet dans sa poche lorsqu’il vit Miko s'approcher de lui. Ne sachant quoi faire, Karl jeta celui-ci dans la poubelle et dit à Miko : «Malsans frer, enn dernié sigaret ti resté.»

N'en démordant pas, Miko se pencha vers la poubelle et en sortit le paquet que Karl venait d’y jeter. Il l'ouvrit devant Karl et lui balança : «To pa pou krwar mwa, res ankor enn sigaret ladan. Mo pran li.»

En plus de demander des cigarettes, Miko aimait demander à boire. Ainsi, à 10 heures, lorsque les gars se retrouvaient pour manger leur pain et boire un Coca, il s'approchait d'eux et leur demandait une gorgée. «É! Fer gagn enn lagorz ar twa.»

À l'idée de laisser quelqu'un d'autre boire à partir de leur chopine, les gars se sentaient mal à l'aise. Mais ils ne savaient pas comment le lui refuser. Si bien que lorsqu'ils voyaient approcher Miko, les travailleurs cachaient instinctivement leur chopine, d'un geste presque synchronisé. 

La conversation entre les gars sur le chantier tournait souvent autour de football et de films. En ce temps-là, partout à travers l’îIe, les gens empruntaient des films aux video clubs, les regardaient chez eux et les rendaient deux jours après. Parfois, au travail, certains gars, ayant vu un bon film, le prêtaient à un ami pour que celui-ci puisse aussi le voir. Un jour, Karl ramena Braveheart, qu'il avait vu la veille, le sortit de son sac et dit à un collègue : «É! Mo éna enn top film avek mwa-la. Li apel Braveheart. Zoli net sa, get sa, apré to dir mwa.»

Après deux jours, il demanda au type : «É! To’nn rési get fim-la? Mo bizin répran li pou rétourn li video club.»

Il fut surpris d'entendre son ami lui répondre : «Mo pann rési geté. Miko inn pran li avek mwa.»

Karl fut choqué. «Miko inn pran li ar twa? Kan sa?»

Le type lui affirma : «Mem zour to ti pas mwa-la. Li ti lamem. Plitar li finn dir mwa li’nn dimann twa, to’nn dir li pran. Mo ti pansé vrémem mwa.»

À midi, Karl allait manger à la petite tabagie à côté du chantier et, souvent, Miko l'accompagnait sans être invité. Toutefois, après avoir mangé, il disait toujours qu'il avait oublié son porte-monnaie dans son sac et laissait Karl régler l'addition. Karl savait à l'avance que cela allait se produire, mais il ne savait pas comment faire pour l'éviter. Parfois, Miko l’interpellait : «To pou al tabazi taler? Sinial mwa nou al ansam.» 

Prenant son mal en patience, Karl finit par accepter qu'il était impossible d’y échapper. Il ne se plaignait pas trop car, à part cette manie de viv lor bos, Miko était plutôt agréable comme compagnon. En plus, il semblait être toujours au courant de tout ce qui se passait sur le chantier. «E! bos pou al an konzé-la.»

Karl, surpris, lui demandait : «Kouma to konn sa twa?»

Miko lui répondait alors : «Lot zour li ti pé koz ar mwa, létan li ouver so karne pou ékrir enn zafer, mo’nn zet enn koudey, mo’nn trouv inn ékrir sa ladan.»

Au fil de leur tête-à-tête, Karl et Miko commençaient à devenir bons amis. C'est ainsi que Miko put un jour lui dire : «É! Mo dan enn difé la, pas mwa 500 roupi ar twa, kouma gagn lapay mo rann twa.»

Karl savait qu'une fois que Miko aurait l'argent, il ne lui rendrait jamais, mais il ne trouva pas le courage de lui dire non. Effectivement, une fois qu’il eut l’argent, Miko n'en fit plus jamais mention, faisait comme-ci il l’avait totalement oublié. Ce fut à Karl de le lui rappeler, avec beaucoup de gêne. Il eut toutes les peines du monde à trouver les mots justes pour aborder le sujet sans offusquer son ami, évitant les mots comme emprunt ou retourner. «É, pou mo larzan-la, get enn kou...»

Ce à quoi Miko répondit : «Sori, mo koné mo ti bizin fini dir twa. Mo’nn al gagn enn ti problem. Kouma mo korek, mo rétourn twa.» 

Évidemment, il ne le fit jamais. Il savait que Karl n'aurait pas le courage de lui demander encore une fois. Il avait, au fil des années, accumulé beaucoup d'expérience dans l'art de met zanon ar lezot.

Cette expérience embêta Karl, qui se jura de ne plus se laisser avoir par Miko. Mais c'était sans connaître ce dernier qui se montra particulièrement astucieux. Ainsi, au lieu de lui demander de l’argent, il commença à lui demander de lui acheter des trucs à la tabagie lorsqu'il s'y rendait. 

Un jour à midi, Karl s'apprêtait à aller manger lorsque Miko l'aborda. «To pé al tabazi ? Pran enn zafer pou mwa.»

Karl hésita et préféra mentir : «Non, non. Mo pa pé alé la.»

Miko ne céda pas : «Bé kot to pé alé?»

Karl lui dit : «Mo bizin sorti enn kou, la.»

Miko insista : «Bé to pa pou manzé zordi?»

Karl se démena : «Taler. Mo péna kas nanyé avek mwa, la.»

Miko revint à la charge : «Bé kiler to pou manzé?»

Karl commença à suer : «Taler kan mo retourné.»

Miko continua à le harceler : «Bé kot to pou gagn kas lerla.»

Se sentant coincé, Karl choisit de mentir encore une fois : «Mo pou tir kas labank létan mo retourné.»

C'était le piège dans lequel il ne fallait pas tomber. Miko lui dit alors : «Tir 100 roupi pou mwa ousi alor. Plitar mo rann twa.»

Quelque temps après, le bâtiment sur lequel ils travaillaient fut complété. Les gars se séparèrent et ils eurent à chercher d’autres petits boulots à faire, chacun de leur côté. 

Un jour Karl rencontra Miko en chemin et ce dernier lui parla d'un travail qu'il avait sous la main. Il connaissait une dame qui cherchait une équipe pour réparer la dalle de sa toiture, parsemée de fuites. Karl était content de trouver du travail car il avait justement besoin d’argent. 

Les deux amis allèrent inspecter le travail et se mirent au boulot de bonne heure le lendemain matin. Ils passèrent toute la journée de samedi à travailler jusqu'à tard. Toutefois, à l’heure de recevoir leur argent, la dame s’excusa de ne pas pouvoir les payer tout de suite. Elle leur expliqua que l'avion de son mari avait pris du retard et qu’il arriverait dans la nuit. Elle leur demanda de revenir le lendemain matin à 7 heures, lorsque son mari serait là pour leur remettre l’argent. Karl regarda son ami et celui-ci lui fit signe que cela ne lui posait pas de problème. De toute façon, ils n'avaient pas le choix. Ils acceptèrent donc de venir récupérer l’argent le lendemain.

Ce soir-là, lorsque Karl rentra chez lui, quelque chose le tourmentait. En y réfléchissant, il se demanda pourquoi Miko s’est laissé aussi facilement convaincre de revenir le lendemain pour chercher l'argent. Avec le temps, il avait finalement compris que son ami était un trianger, tracer, mardayer, morder. Karl se questionna: «Li pa pé rod plonz mwa sa ?»

Il réfléchit dessus une bonne partie de la nuit sans arriver à avoir sommeil. Le lendemain, il se leva de bonne heure et se rendit à l'endroit où Miko et lui avaient travaillé la veille. Il arriva devant la maison à 6 heures et pressa sur la sonnette. Quelques instants après, le propriétaire vint lui ouvrir. 

Karl s'excusa tout de suite : «Sori boss, mo espéré mo pa’nn kas ou somey.»

Le type lui répondit : «Péna traka, mo ti fini levé.»

Karl lui dit : «Ofet, ou madam ti dir nou vinn pran lapey 7 h. Selma mo’nn gagn enn lot travay mo pé al fer. Kouma mo pé pas par lamem, mo dir les mo pran larzan-la enn fwa.»

Le monsieur lui expliqua alors : «Ou kamwad inn pasé inpé pli boner. Parey kouma ou, linn dir mwa li finn gagn enn travay. Kouma li pé pas par la, li finn pran ou larzan ousi.»

Le monsieur ajouta : «Mo madam inn dir zot vinn 7 h, mo trouvé ou inn vinn 6 h, ou kamwad, li, li finn pasé 5 h dimatin.»