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Fet Mama

25 mai 2018, 18:31

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Je me souviens du tout premier cadeau que j’ai acheté pour ma maman, c’était un bol qui n’avait rien comme attrait autre que le fait de pouvoir contenir des choses. 

Quelques jours auparavant, mon papa m’avait demandé ce que je comptais offrir à ma maman pour sa fête mais je n’y avais pas pensé. J’avais 7 ans à l’époque et je n’avais aucune idée qu’il fallait donner un cadeau à sa maman pour sa fête. 

Mon papa a alors promis de me donner tous les jours un peu d’argent à mettre de côté pour pouvoir, le jour venu, acheter le cadeau de mon choix pour ma maman. En ce temps-là, il n’y avait pas de grandes surfaces commerciales à Maurice et les enfants n’avaient pas non plus la possibilité de sortir pour aller faire du shopping. Il n’y avait que la boutique au coin de la rue pour acheter des trucs. 

J’y suis donc allé faire un tour et c’est ainsi que j’ai remarqué ce bol de couleur bleue dans la vitrine. J’ai demandé le prix au boutiquier et il m’a dit que le bol se vendait à Rs 6,25. J’ai compté le nombre de jours qu’il me restait et, avec l’aide de mon papa, j’ai commencé à économiser mon argent pour arriver à cette somme. 

Le jour de la Fête des mères, je me suis levé très tôt le matin pour recompter mon argent, constitué de pièces de 50 sous et de 25 sous, et je me suis rendu à la boutique du coin dès qu’elle a ouvert ses portes. J’étais le tout premier client et le boutiquier a sorti le bol de la vitrine, l’a emballé dans un papier journal et me l’a donné. J’ai placé les pièces de 50 sous et de 25 sous sur le comptoir et j’ai regardé le boutiquier les compter. Ensuite j’ai pris le bol et je suis tout de suite rentré à la maison pour le cacher afin que ma maman ne puisse pas le voir. 

Plus tard, choisissant le moment propice, je suis allé dans la cuisine, je lui ai tendu le bol, toujours emballé dans son papier journal, et je lui ai dit: «Hein Ma, get ki mo inn asté pou ou. Ouver li ou gété.»

Je ne sais pas comment ma maman a pu faire pour donner l’impression d’être contente en ouvrant le papier journal et voir un bol. Elle a souri et m’a remercié. J’ai alors ajouté, «Aster ou pou kapav met kitsoz ladan.»

C’était la toute première fois de ma vie que j’ai donné un cadeau à quelqu’un et je me suis senti comme un grand. Les paroles «Tu le sais bien, quand je serai grand, je penserai à toi, Maman» de la chanson «Maman O Maman» qui passait sans arrêt à la radio avait subitement tout son sens pour moi.

Des années après, un vendredi après-midi, je m’apprêtais à quitter le bureau pour la maison lorsqu’une collègue m’a demandé, «i kado to pou donn to mama pou fet mama?». C’était le weekend de la Fête des mères et je n’avais encore rien trouvé. J’ai répondu, «mo pa koné». Elle m’a tout de suite dit, «ki kalité twa, to pankor asté nanyé pou to mama pou so fet?».

J’ai réfléchi un moment avant de lui dire : «Tu sais, depuis que je suis tout petit, aussi longtemps que je m’en souvienne, chaque matin lorsque je me réveillais, ma première pensée a toujours été pour ma maman. Dès que j’ouvrais les yeux, je disais, “Ma? Kot ou été?” Et là, elle répondait, “Mo la mem, mo pé fer dité.” Ou soit “mo pé répas linz.” Entendre sa voix voulait dire que tout allait bien dans le monde, et je pouvais me rendormir pour 10-15 minutes de plus. Par contre, si je n’entendais pas sa voix, je bondissais pratiquement du lit pour la chercher, “Kinn arivé? Kot mama été?”»

C’était le scénario identique tous les jours pour mes frères, on se réveillait le matin et notre première pensée était toujours vers notre maman. De la même manière, le soir lorsqu’on rentrait de l’école, on courait tout de suite à la cuisine pour avant tout aller voir notre maman, «Ma, ki ou pé fer?».

Ce n’était qu’après l’avoir vue qu’on pouvait boire notre thé et aller regarder des dessins animés. Des années après, lorsque je suis allé faire mes études à l’étranger, chaque fois que j’appelais à la maison, dès que quelqu’un décrochait le téléphone, ma première phrase était toujours, «Kot mama été? Less mo koz avek mama.»

Puis mes frères se sont mariés et ils sont tour à tour allés habiter dans leur maison. Ils faisaient de sorte de passer chez nous aussi régulièrement qu’ils le pouvaient, et à chaque fois qu’on ouvrait la porte, leur question était toujours : «Kot mama été?»

C’est pourquoi, pour la Fête des mères, trouver un cadeau pour une personne qui compte autant que le soleil dans notre système solaire, est la plus difficile des tâches. Au fil des années, je me suis rabattu sur toutes sortes de cadeaux hétéroclites. Une fois, je me suis mis en tête que le cadeau le plus parfait, c’était un Moulinex que j’avais vu dans un magasin à Quatre-Bornes. Je l’ai acheté et donné à ma maman le jour de sa fête en disant, «Ma, get mo inn asté enn Moulinex pou ou, ou kapav kraz pom damour».
 
L’année ensuite, ce fut une planche à repasser car celui qu’on avait a cédé au cours de la nuit dans un bruit effroyable, manquant de nous causer à tous une crise cardiaque. J’ai acheté une planche à repasser à Rose-Hill et je l’ai donné à ma maman : «Ma, get mo inn asté enn planche à repasser pou ou. Lot-la inn kasé...»

Je lui ai également donné un grille-pain en cadeau à au moins trois reprises : «Ma, get mo inn asté enn grille-pain pou ou... Ou kapav griy dipin aswar.» Il y a aussi eu une bouilloire au moins de deux fois, possiblement trois. «Ma, get mo inn asté enn bouilloire pou ou... Ou ti pé dir ou péna bouilloire.»

Il m’a pris bien des années pour comprendre que ce qu’une maman veut pour la Fête des meres, ce n’est pas de travailler mieux mais de ne pas avoir à penser au travail pendant au moins un jour. Comme la Fête des mères tombe en hiver, des fois je lui ai donné des vêtements chauds : «Ma, get mo inn asté enn zoli palto pou ou... Pa bizin met sa vié palto-la ankor.» Parfois, c’était des molletons : «Ma, get mo inn asté enn gros molleton pou ou, pou ou pa gagn fré aswar.»

Souvent, à court d’idées, j’ai donné un sac. Ma maman a dû recevoir cinq sacs au moins au cours de différentes Fêtes des mères : «Ma, get mo inn asté enn sac pou ou, kan ou sorti ou kapav servi li.» 

Et puis, il y aussi eut des trucs pris au dernier moment, en désespoir de cause. «Ma, get mo inn asté sa... hein... Mo pa koné, mo krwar kapav gard bann zafer ladan.» Une année, ça a été un portable. «Ma, get mo inn asté enn portab pou ou. Kan ou al dan sant 3ème âge, ou kapav téléfoné pou nou vinn sers ou.»

De cadeau en cadeau, certains inspirés, d’autres pas du tout, les années ont passé. Parfois j’entendais ma maman dire aux autres, «get ki mo inn gagné pou fet mama» et cela me comblait de joie, content qu’elle soit fière de son cadeau. D’autres fois, elle ne l’utilisait même pas, ce qui me faisait me sentir un peu bête et je me promettais de faire mieux la prochaine fois.

Au-delà des cadeaux, la Fête des mères est l’occasion pour ceux qui ont toujours leur maman à leurs côtés de la gâter un peu plus que les autres jours. Parce que, parfois on oublie que ce qu’on possède de plus précieux au monde n’est pas notre smartphone mais notre maman ; que la meilleure éducation qu’on ait pu acquérir dans la vie ne vient pas des universités les plus réputées du monde mais l’éducation de la vie que nous a inculquée nos parents ; que l’endroit le plus confortable au monde n’est pas la banquette arrière d’une voiture climatisée mais n’importe où au monde à côté de notre maman ; que le plus joyeux des Happy Hours n’est pas dans un lieu branché avec nos amis, mais quand nous nous asseyons pour prendre une tasse de thé préparée avec amour par notre maman ; que ce qui nous servira partout où l’on va dans le monde ne sont pas les cartes de crédit dans notre porte-monnaie, mais des valeurs comme la résilience, le respect de soi et le courage que nous transmettent nos parents ; que la meilleure reconnaissance au monde n’est pas un prix décerné par une quelconque prestigieuse institution, mais l’expression de fierté dans les yeux de nos parents quand ils nous voient; que peu importe notre âge, la chose la plus précieuse qu’on puisse tenir dans la paume de notre main n’est pas un gros chèque mais la main de notre maman. 

Bonne et Heureuse Fête des Mères à toutes les mamans.