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Homo Deus

4 juillet 2018, 03:34

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Homo Deus

Elle serait donc à vendre, notre citoyenneté ? Un acte qui a fait tiquer ceux qui estiment que la citoyenneté est d’abord une question de mérite. Car pour qui a été élevé dans le récit national de la mère patrie, on ne transige pas sur la citoyenneté. Tout juste peut-on l’acquérir à la suite d’un long et périlleux parcours où le héros est censé démontrer son allégeance aux devoirs de la nation qui choisit alors de le reconnaître comme un des siens.

Il est triste de penser, dans le monde ultralibéral dans lequel nous vivons, que les devoirs ne font guère les héros. Quand on voit le président Macron assister aux funérailles de Johnny, l’évadé fiscal, on comprend la confusion qui règne et qui profite aux élites. L’énergie des héros est portée vers des actions qui peuvent être traduites sous une forme de capital. Toute action qui ne puisse se chiffrer ainsi est vouée à l’insignifiance. Or, les Mauriciens, qui veulent prouver au monde qu’ils sont les champions, veulent affirmer leur valeur en capital.

C’est donc dans l’acceptation totale et inconditionnelle de l’impératif de réussite financière que le gouvernement nous propose ce projet de vente de citoyenneté. Il est fort probable que la réussite soit effectivement au rendezvous. Car le monde moderne est en ébullition. Les restrictions fiscales de plus en plus sévères poussent les contribuables les plus fortunés à émigrer. Loin des grandes civilisations qui, pour sauver un ordre social interne mis à mal par la décroissance démographique, pourchassent les grandes fortunes et offrent leur propre citoyenneté à des immigrants qui voudront bien travailler à bas prix sur leurs territoires.

Mais de quelle citoyenneté s’agit-il ? De la citoyenneté d’un pays ? De la citoyenneté mauricienne ? Dans ce même monde ultralibéral, les États sont affaiblis. Les gouvernements ne sont plus que des quémandeurs d’affaires, soumis aux exigences des apporteurs d’affaires. Dans ce monde d’apporteurs d’affaires, le titre le plus couru n’est plus celui de citoyen d’un pays, mais de citoyen du monde.

Le titre de citoyen du monde, on l’avait au départ imaginé comme un idéal humaniste. Or, le système capitaliste l’a transformé en un atout économique à celui qui peut s’émanciper des contraintes de la territorialité. Cette citoyennetélà n’est pas accessible à tous.

C’est ce phénomène que décrit l’essayiste Yuval Noah Harari dans son livre «Homo Deus». Dans sa vision, le XXIe siècle accoucherait d’une civilisation mondiale de deux catégories de citoyens. Les premiers sont les véritables citoyens du monde. Ils sont en fait les citoyens de communautés d’argent. Riches, éduqués, multilingues, ils sont mondiaux puisque mobiles. Ils choisissent leur espace de vie et là où ils vont, ils négocient leurs conditions d’appartenance afin qu’elles leur soient favorables le plus possible. Ils croient au transhumanisme, à la jeunesse éternelle et au droit de vivre ses rêves sans connaître les limites du matériel.

Les citoyens d’un territoire précis sont, à l’opposé, confinés à l’espace de leur territoire d’origine ou d’adoption. Ils n’ont pas accès à la mobilité, se heurtent aux limites du système qui leur vend le rêve de devenir, peut-être un jour, ou ne serait-ce que pour quelques jours, citoyen du monde. C’est dans l’acceptation froide de cette évolution très matérialiste et mondialiste du monde que l’île Maurice de demain tente de se frayer un chemin. Puisque Maurice ne peut prétendre à changer l’ordre du monde, le pays, fidèle à sa culture de pragmatisme doublé d’héroïsme, veut se forger le destin le moins mauvais possible. D’où l’idée de cette citoyenneté territoriale en vente à Rs 35 millions afin d’attirer chez nous les Homo Deus de cette planète, de leur offrir leur rêve de citoyen du monde.

Pour l’heure, le PIB par habitant à Maurice avoisine 10 500 dollars, soit 100 fois moins que le ticket d’accès à la citoyenneté du monde. En accueillant plus longtemps les Homo Deus et leurs enfants, nous nous assurons un flux de revenus plus durable. Le PIB par habitant pourrait grimper. Les mathématiques financières ne mentent pas. Gageons que la réussite financière sera au rendez-vous.

Reste à réinventer une citoyenneté territoriale durable à l’heure où les élites s’inventent une citoyenneté mondiale la moins contraignante possible ? C’est un défi mondial qui met les gouvernements traditionnels dans l’embarras. Et qui a ouvert une avenue aux partis extrémistes et aux idéologues religieux.

 

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