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Délinquants en uniforme et la manne de la suspension

29 décembre 2018, 08:09

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La police et plusieurs institutions du pays font face à un double problème affectant leur personnel. Tout d’abord, policiers et gardeschiourmes surtout et autres fonctionnaires commettent impunément des infractions à la loi. Ensuite, la culture de la corruption reste très répandue.

On dit que la force policière fait l’objet d’attaques injustes car les délits seraient l’oeuvre d’une infime minorité. Argument valable quand on prend en considération le fait que le pays compte pas moins de 13 000 policiers, la grande majorité d’eux étant d’honnêtes citoyens ayant choisi de servir le pays sous l’uniforme. En fait, ce sont les événements négatifs qui attirent toujours l’attention.

Pourtant, chaque jour et nuit, les policiers jouent un rôle fondamental dans le maintien de l’ordre et de la paix et en assurant la sécurité routière. Ils travaillent quand les Mauriciens bénéficient d’un congé ou qu’ils s’amusent. Ainsi, le 25 décembre, pendant que les Mauriciens fêtaient la Noël ou se reposaient, les policiers ont contrôlé pas moins de 4 664 véhicules pour des vérifications d’usage. Et quelque 675 contraventions ont été émises par la suite. Les policiers ont aussi servi 491 Fixed Penalty Notices et appréhendé six conducteurs qui étaient sous l’influence de l’alcool.

Le coup le plus spectaculaire ce 25 décembre a été l’arrestation, à Camp-de-Masque, d’un infirmier et de son complice, un maçon, qui allaient perpétrer un hold-up sur un homme de 72 ans, propriétaire d’une station-service de Castel. Le gérant s’apprêtait à rentrer chez lui à Ecroignard avec la recette du jour. Oui, un infirmier en mode de bandit de grand chemin !

Il n’y a pas que criminels et corrompus à la police. Il faut aussi y compter des éléments bénévoles qui se dévouent aux plus vulnérables de la société. Comme ces policiers transformés en pères Noël dans le village de Cent-Gaulettes pour rendre heureuse une famille vivant dans la précarité. Ces policiers ont aussi maîtrisé l’art de la communication. Avec davantage de métier, la police aurait pu réaliser un grand coup médiatique avec l’infirmier planificateur de hold-up mais piètre opérateur car il conduisait une moto sans plaque d’immatriculation. Il ne lui manquait qu’un mégaphone pour annoncer qu’il suivait un entrepreneur afin de le dépouiller de son argent.

Pour monter son coup, l’infirmier n’a sans doute ressenti aucune inhibition. En principe, pour quelqu’un qui a choisi la noble profession de soigner les malades, quelle aura été la motivation d’aller voler le revenu d’une stationservice ? N’a-t-il pas craint d’être contrarié et arrêté ? On pourrait adresser la même question aux policiers répondant de plusieurs délits. L’infirmier, les gardes-chiourmes et les policiers poursuivis sont en principe suspendus de leurs fonctions. Il se passe souvent plusieurs années avant que leur cas ne soit jugé. Dépendant de ses moyens, le policier ou fonctionnaire, en cas de condamnation, pourrait s’engager dans de longues procédures d’appel qui pourraient même trouver le chemin des lords britanniques siégeant au Conseil privé à Londres.

Durant sa suspension, le policier-fonctionnaire touche son salaire normal. Il ne sera privé que de son boni et allocation transport. Par contre, une suspension crée aussi les conditions pour que le concerné touche un supplément de revenu, en sus de son salaire normal. Il peut s’engager dans plusieurs activités, se faire petit contracteur, se lancer dans la plantation ou l’élevage, gérer un pensionnat, rouler un taxi marron. Ce qui fait que le suspendu réalise qu’il est dans son intérêt que l’affaire devant le tribunal se prolonge ad infinitum. S’il sait qu’il finira par perdre son emploi, il va tout tenter pour prolonger le procès. Son avocat ne sera pas libre avant septembre 2019. Le jour du procès, soit le policier suspendu, soit l’avocat, tombera malade. On sera alors déjà en 2021. Par contre, si on aime son métier et qu’on a été injustement suspendu, on trouvera une incitation à faire que le procès aboutisse le plus vite possible.

Aussi longtemps qu’un mécanisme permettant d’accélérer les procédures légales dans le cas des délits commis par des fonctionnaires n’est pas trouvé, point de solution. Même un homme aussi déterminé et pugnace que sir Anerood Jugnauth, lui-même responsable de la police, reste quasiment paralysé face à ce phénomène de délinquants de tous genres qui attendent des procès tout en touchant leur salaire. Il ne serait pas possible, au vu du dispositif juridique et constitutionnel actuel, d’accélérer les procédures, par exemple de contraindre un accusé de trouver un avocat avec un agenda moins chargé et cela pour éviter l’abus des renvois. Maintenant qu’une instance des Nations unies s’intéresse même à la composition ethnique de la population carcérale, on peut imaginer ce qui se passerait s’il y a le moindre signe arbitraire dans l’administration de la justice. On comprend maintenant comment policier, garde-chiourme, infirmier, voire cadre supérieur, sont tentés par le gain facile. Même si on est arrêté, le salaire est garanti pour plusieurs années avec possibilité de revenu additionnel. Qui tranchera le noeud gordien ?