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L’économie silencieuse

On dit de cette élection qu’elle a été gagnée par les électeurs silencieux. Qui sont-ils ? On sait que les zones rurales ont donné à l’Alliance Moricien menée par le MSM le socle de sa majorité. Les zones urbaines, probablement les plus défavorisées, lui ont donné ses huit autres sièges, soit sa marge de manoeuvre confortable pour gouverner.
Les électeurs urbains ont été surpris. Aigreur, condescendance et insinuations d’illégitimité fusent de toutes parts. Tentons plutôt de comprendre. Pourquoi ont-ils voté MSM ?
À cette question, le document de l’agence de sondage Verde est le commentaire le plus factuel et pertinent dont nous disposions. Il décrit des élections qui ne se seraient pas jouées sur des critères d’émotivité, pas sur des grandes joutes outragées ou passionnées. Mais sur les pensions, les subventions. Et sur la capacité à «amenn dévlopma». Autrement dit, sur deux critères : les revenus et les emplois.
En théorie, ce sont les emplois qui garantissent les revenus des fins de mois. Et les allocations à ceux qui ne travaillent pas pour subvenir seuls à leurs propres besoins sans l’aide de leurs familles. Tel n’est pas le cas à Maurice. Les pensions ici sont des allocations familiales gérées par les aînés. Elles couvrent aussi les leçons particulières des petits enfants, les factures impayées de CIM Finance, les besoins essentiels des enfants dans des familles éclatées. De plus, la «Negative Income Tax» est aussi une forme d’allocation familiale. Il lisse un système qui fait de l’employé d’âge moyen un «working poor».
Quand un électeur accorde autant d’importance aux pensions, le message qu’il envoie est que l’emploi ne suffit plus à assurer la prospérité de la famille. Est-ce surprenant ? Dans les zones rurales, les usines de textile ont fermé. Les planteurs ont abandonné leurs champs. Les grandes sucreries aimeraient bien licencier. Restent les hôtels : ces entreprises qui n’ont pas augmenté leurs prix en euros depuis dix ans et recrutent maintenant des travailleurs étrangers… L’insatisfaction est palpable.
À Maurice, il n’y a pas de gilets jaunes dans les rues. Il y a des électeurs dans les isoloirs. En quoi un gouvernement qui viendrait au pouvoir en disant que le pays est en ruines et en blâmant son prédécesseur serait-il utile à ces électeurs ? Le MSM, pour sa part, a pris de l’avance. En champion du partage de richesses, il apporte une réponse à une vraie problématique. Cela, le Parti travailliste l’avait vite compris. Navin Ramgoolam n’a-til pas réduit au silence l’économiste Éric Ng qui criait au scandale sur les pensions que promettait le MSM ? Paul Bérenger aussi s’est bien gardé de critiquer trop vertement cette proposition. Il a axé sa campagne sur la propreté : un «luxe» urbain aux yeux de ceux pour qui le ralentissement est déjà une réalité de fin de mois.
Telle a été la perspicacité du MSM : être passé en cinq ans de la promesse de miracle au pragmatisme de la redistribution dans une économie qui s’essouffle. Un virage… macroniste !
Reste à gérer cette économie qui s’essouffle. À créer des emplois. Ces électeurs qui disent avoir voté pour le développement espèrent encore en trouver. Or, le vote traduit un paradoxe. C’est dans les régions où le gouvernement aura apporté les signes les plus visibles de développement que sa performance a été la plus faible. On peut repérer les votes d’opposition en plaçant un «tracing paper» de géographie sur le tracé du métro léger. L’échangeur de Phoenix n’a été guère mieux accueilli. Devons-nous en conclure que les Mauriciens veulent bien du développement à condition que ce ne soit pas dans leur arrière-cour ?
Allons-nous vers une économie où l’alliance du capital et des «working poor» de tous les pays crée une richesse nationale; vouée à être redistribuée à une vaste classe se voulant moyenne mais qui ne satisfait pas des emplois ou du mode de vie qui lui est proposé ? Une redistribution vouée à peser sur les élites et les entreprises si la croissance ne suit pas ? (Ce qui est fort probable). Voilà la cause de l’aigreur des électeurs urbains.
Ce scénario de division, de réalités multiples rappelle étrangement les lendemains d’élections en Amérique, en Angleterre. Il est le produit du système dans lequel nous évoluons. On peut y voir les premiers signes d’une prise de conscience : le modèle économique actuel conduit silencieusement à un non-sens. On tente de le contenir en maîtrisant les insatisfactions qu’il génère. On soigne le symptôme, pas le mal. C’est un signe que le système se rapproche de ses limites. Il s’apprête à être réinventé au gré des perturbations de l’économie mondiale.
Comment ? Aucun des trois grands partis ne le savait. Ce qui est gênant, ce n’est pas le vote. C’est qu’aucun des trois grands partis n’avait de plan B.
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