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L’autre élection

20 novembre 2019, 03:58

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Le pays s’installe à nouveau dans un air d’apparente stabilité. Le gouvernement reprend ses marques avec un nouveau casting ministériel. Le business s’en accommode plutôt bien et se remet au travail. Cap sur les tripartites où le challenge des employeurs sera de convaincre, après le salaire minimum et les nouvelles lois du travail, que la charge patronale est déjà assez lourde.

En attendant, les yeux sont rivés sur une autre élection, celle du 12 décembre en Grande-Bretagne. Les Mauriciens se veulent rassurants : même en cas de Brexit désordonné, un accord d’entrée préférentiel de nos produits sur le marché anglais a été conclu. Il n’y a pas d’obstacle à l’entrée de nos exportations sur ce marché. Reste à savoir ce qui se passe, une fois que les produits auront passé les douanes britanniques : seront-ils vendus ? Ou resteront-ils sur les étagères ?

La véritable question du Brexit est l’effet de la nouvelle conjoncture sur la demande des consommateurs anglais. Si la demande pour l’alimentation (thon, sucre) pourrait rester stable, tel n’est pas le cas pour l’habillement et les vacances. Dans ces secteurs, la faiblesse de la demande se fait déjà sentir. Les arrivées touristiques en provenance de la Grande-Bretagne ont piqué du nez. La livre affaiblie a érodé notre compétitivité.

Tels seront les effets du court terme que nous devrons apprendre à appréhender. Faudrait-il baisser nos prix ? Faire glisser la roupie pour nous en accommoder ? La réponse dépendra de la durée du ralentissement qui s’annonce en Grande-Bretagne et chez ses voisins européens.

À plus long terme, la démarche du Brexit vient bouleverser davantage que les taux de change et les droits de douane. C’est une démarche qui remet en cause de manière fondamentale la place du commerce et du libre-échange dans la gestion des économies nationales. Affirmer au XXIe siècle que le libre-échange n’est pas essentiel, c’est comme dire à la Renaissance que c’est la terre qui tourne autour du soleil. Tout le monde ne l’avale pas tout de suite…

Le libre-échange est un des fondamentaux de l’économie libérale. La promesse de ce modèle est que les économies se spécialiseraient dans ce qu’elles savent faire de mieux. Et qu’en touchant le maximum de revenus de leurs spécialités, elles seraient plus à même d’acheter à meilleur prix des produits venant d’autres pays. Si je suis spécialiste du soleil, je vends mes plages au meilleur prix et j’achète ailleurs mes chaussures et mes voitures. Cela fait davantage de chaussures et de voitures dans l’économie que si je les produisais moi-même. Et davantage de soleil pour les Anglais. Tout le monde est supposé y gagner.

Tout le monde n’y a pas gagné autant ou aussi bien. L’ultra spécialité des productions crée des inégalités non seulement entre les pays mais à l’intérieur même des pays. Ainsi, s’il est effectivement agréable d’être un ingénieur en technologie informatique à San Francisco, le serveur du café du coin doit, pour sa part, dormir dans sa voiture faute de pouvoir se payer un loyer à proximité de son travail.

De par le monde, l’analyse de l’avantage-pays est trompeuse. L’économie libérale a créé des poches de richesse dans des grandes métropoles urbaines riches du monde entier et des poches de laissés-pour-compte en périphérie. C’est ce modèle qui est contesté par la périphérie, qui se dit qu’elle n’a rien à perdre d’un ralentissement économique. Et ce quand bien même, dans la conjoncture actuelle, ces habitants de périphérie seraient les premiers à perdre leurs emplois. Ils se disent qu’au final, ils n’ont rien à perdre à tenter l’expérience d’une nouvelle relation à l’emploi, à la consommation et à la production dans un pays aux frontières fermées.

Si, en 2016, les Anglais ont voté sur la base d’informations erronées sur l’impact économique, ils ont eu trois ans pour se réapproprier les dessous de l’histoire. Quand bien même les conservateurs continuent de vendre de fausses promesses, les Anglais savent bien que les années post-Brexit ne seront pas de tout repos. En 2019, ils voteront en connaissance de cause. Peut-être pour un ralentissement voulu et assumé.

Dans une démocratie, c’est le jeu du nombre qui fait les élections. Si les perdants de l’économie sont les plus nombreux, ce sont eux qui font l’élection.

C’est le nouvel état d’esprit auquel nous devrons nous habituer : comment gérer des relations commerciales avec des acheteurs qui opteraient de plein gré pour une économie moins frugale ? Faut-il nous tourner vers d’autres partenaires ? Faut-il réinventer notre propre modèle ?

 

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