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La silencieuse révolution

29 janvier 2020, 03:46

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Dans les hautes sphères économiques, dans les grands-messes qui rassemblent le gratin du pouvoir mondial, le discours n’est plus le même.

Ce n’est ni moi ni l’express qui le dit, mais le Financial Times de Londres. Un journal qui, après avoir fait le tour des discussions et des personnalités au Forum de Davos 2020, tente d’en faire un bilan : quel est le fait saillant de l’évènement ? Réponse : l’environnement et les enjeux de société. Des thèmes qui auraient autrefois été relégués au chapitre de la distraction tiennent désormais le devant de la scène.

D’où vient ce retournement de veste ? Certains pointent vers Greta Thunberg. Elle y est, certes, pour quelque chose. Mais quand les journalistes creusent davantage, ils découvrent bien plus qu’une gamine peu instruite. Ils comprennent que ce sont les jeunes diplômés, les ingénieurs ayant devancé tous leurs rivaux aux plus prestigieux concours, les jeunes managers dynamiques, ceux-là n’envoient plus leurs cv aux compagnies pétrolières. Les multinationales flamboyantes seraient-elles condamnées à se contenter des diplômés de grade B ? Sans faire de bruit, les élites jeunes ont réussi ce que des décennies de manifestations civiles n’ont pas atteint. 

Si les élites de demain se tiennent à distance de la crème d’aujourd’hui, quel est le destin de la crème ? Aurait-elle tourné ?

On ne mesure pas encore l’ampleur de la silencieuse révolution. Mais on ne peut que constater les comportements nouveaux. Notamment ces 32 000 étudiants français qui en septembre 2018 ont signé le Manifeste pour un Réveil Écologique. Ceux-là même qui en août 2019 se sont invités aux journées du patronat (Medef) pour réveiller les patrons, pour dénoncer le «greenwashing» qui ne passe plus. Les rapports annuels sont passés au peigne fin. Les engagements non-tenus dénoncés. Les discours creux raillés.

Si tous ceux qui ont signé le Manifeste adhèrent aux mesures proposées, savent-ils cependant où l’ensemble de ces mesures, si elles étaient adoptées, mènerait ? Au Manifeste pour la décroissance ! En fait, les  jeunes  occidentaux  veulent  de  la décroissance, sauf que ce n’est pas encore tout à fait correct d’en parler.

Parlez de décroissance aux économistes, ils vous rient au nez. C’est ce qu’a suggéré le Secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, à Greta Thunberg. D’aller apprendre l’économie... Sauf qu’elle n’en a cure. Elle s’inspire d’autres économistes. Ceux-là ne travaillent pas tout à fait comme les autres qui tirent leurs salaires des grandes banques. La spécificité de leur recherche est de confronter leurs modèles avec ceux des climatologues et autres scientifiques. Ils veulent comprendre ce qui se passerait si tout à coup on faisait entrer la physique des systèmes dans les modélisations financières. Le résultat n’était pas vendable politiquement. Il a été banni des enseignements en économie. Raison pour laquelle Greta Thunberg n’apprendrait rien si elle se fiait aux seuls économistes des facultés.

Ce nouveau coup d’œil plus large, plus systémique, où la science économique n’est plus reine, où elle s’incline devant les sciences dures, dérange à Davos. Tous redoutent ce moment où ils n’auront d’autre choix que de changer leurs modélisations mathématiques. Pour l’heure, les modélisations fonctionnent dans un sens précis : le but est de créer de la croissance. Et si les modèles fonctionnent, si l’économie ‘performe’ et la croissance est au rendez-vous, les températures augmenteront. Ils y sont resignés. Sans doute de deux ou trois degrés... pourquoi pas ?

Que se passerait-il si les modèles étaient construits avec un autre objectif ? Si le but du jeu était vraiment de contenir la hausse des températures à 1,5 degré ? Il faudrait alors ne plus trop s’inquiéter du chiffre de croissance. La croissance pourrait être obtenue... ou pas. On devrait pouvoir s’en passer et se débrouiller alors pour satisfaire les besoins matériels de nos populations avec moins de ressources financières et matérielles. 

À Davos, à en lire l’arrogance de Steven Mnuchin, c’est un point de vue qui ne passe pas. Pas encore. Du côté de Christine Lagarde, ancienne patronne du FMI et présidente de la Banque centrale européenne, ou de Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, le ton reste posé, poli. Mais le choix des mots traduit un embarras certain.

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