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L’effet d’une guerre

Nous avions connu, en octobre 2008, cet air de fin du monde. Avec les marchés en chute libre, les pertes de business, les pertes d’emploi. Nous avons aussi connu le rebond, lent mais réel, de l’activité économique.
Pourtant, cette fois-ci, c’est un autre type de récession qui se profile. Sans vouloir plomber le moral des entrepreneurs, une récession dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elle est d’une nature plus profonde.
En 2008, nous avions affaire à une crise financière. Les entreprises, les banquiers, les gouvernements s’étaient comportés comme des gamins... Ils avaient exagéré dans la gestion des affaires financières et monétaires. Les entreprises et les consommateurs, trop endettés, avaient épuisé leur crédit. Ils ne pouvaient plus produire pour des consommateurs qui, s’ils avaient une chance, n’attendaient que l’opportunité pour consommer. C’était une crise de la demande.
Et si on leur donnait une chance ? Aux entreprises comme aux consommateurs? Si on leur donnait de l’argent (quasi gratuit), recommenceraient-ils à consommer ? Oui. La solution de 2008 est venue des banquiers, des gouvernements et des institutions monétaires. On a laissé courir les déficits budgétaires, créé de la monnaie. Ayant ainsi rempli les poches des entreprises et des consommateurs, le système économique est reparti.
Cette fois-ci, poches remplies ou pas, le consommateur ne consomme plus. Riche ou pauvre, personne ne veut prendre le risque de la maladie. On reste chez soi, ne prend plus l’avion, ni le train, ni la voiture au-delà de la course au supermarché. Ne va plus au restaurant, ni en vacances, ni au bureau parfois. La demande pour les biens et services économiques recule brutalement. C’est une crise de la demande.
De plus, faute d’approvisionnement en matières premières, les usines ferment, les cargos ne circulent plus. C’est aussi une crise de l’offre.
L’économie est soumise aux pressions doubles de l’offre et de la demande. Quand les banques centrales annoncent qu’elles lâchent les taux d’intérêt (en clair: qu’elles remplissent les poches des entreprises et des consommateurs), c’est le panadol contre le coronavirus... la confiance est ébranlée plutôt que confortée. Les marchés n’y croient plus. Ils chutent de plus belle.
Avec une autre donnée inconnue : la durée de la crise. Les Chinois semblent dire que tout va bien, que tout repart. Les scientifiques nous disent que nous sommes à 18 mois du vaccin. Encore une fois, il serait plus sage d’écouter les scientifiques que les politiciens.
Désolée pour mes lecteurs qui s’attendaient que je leur remonte le moral... ça ne marche pas.
La situation nous oblige à sortir de notre habitude de tâter le pouls du ‘moral’ des consommateurs pour réinventer le nôtre. La crise nous oblige à penser différemment. Nous vivons actuellement une situation de conflit paradigmatique.
Qu’est-ce qu’un conflit paradigmatique ? Une situation par laquelle un système de pensée qui paraissait solide, cohérent et inattaquable, est remis en cause par de nouvelles recherches, connaissances, systèmes de pensée. Du style : la terre est ronde quand on pensait qu’elle était plate. On assiste alors à un basculement inimaginable. Après le point de bascule, les scientifiques, la société adoptent durablement de nouveaux schémas de pensée.
L’ancien schéma de penser est de chercher le toujours plus. En croyant que la somme de nos individualismes créera par la magie des marchés le bien-être collectif. Le nouveau schéma de pensée est de reconnaître que les besoins de la collectivité l’emportent sur les besoins individuels. La quarantaine, la fermeture des frontières devant le désir de se détendre, de voyager, ou même de travailler plus que de raison et produire. Malgré la brutalité des situations économiques et financières, une vie humaine compte plus qu’une réussite professionnelle, financière, sociale et matérielle.
Dans ce nouveau schéma, les expériences de sobriété matérielle, que s’auto-imposaient des personnes jugées ‘extrêmes’ ou ‘idéalistes’, deviennent le nouvel ordre de la société. Plus la récession dure, plus ce schéma de pensée a des chances de s’installer. Créant ainsi les conditions d’une... récession prolongée, mais aussi celle d’un détachement par rapport aux attentes de croissance ou de magie des marchés.
Avec surprise, les commentaires laissent penser que la société est déjà prête à permettre à la sérénité de l’emporter sur le moral en berne. Cette sérénité est très certainement un luxe offert à ceux dont le défi est de se passer du superflu. Quid des PME ? Des pauvres ? De ceux qui prendront la crise de plein fouet ? Pour qui l’essentiel sera rogné ? Sérénité ne veut pas dire se défiler de ses responsabilités. Il nous reviendra alors de réinventer notre mode de relation à l’autre, de redessiner les frontières de la gestion économique nationale, du politique, du social. En ce sens, les mesures adoptées pour atténuer la crise sont toutes les bienvenues.
Pour autant, après le coronavirus, nous ne penserons plus l’économie de la même façon. C’est l’effet des guerres sur les sociétés qui les ont subies.
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