Publicité

Devenir résilients

3 avril 2020, 03:50

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

On voudrait la voir, l’envisager. On l’attend. Plus on voudrait la tenir dans les mains, plus elle s’éloigne. Devant nous, l’incertitude. L’obligation de gérer la crise. 

La crise, c’est l’effondrement de la demande dans de nombreux secteurs, son repli à l’essentiel dans d’autres. Les entreprises, grandes et petites, ne savent plus à quel saint se vouer. Ou plutôt vers quel banquier se tourner. Malgré les aides gouvernementales, les salaires de mars ont été difficiles à payer. Les loyers aussi. Les intérêts aussi. Toutes les charges fixes non-négociables sont des boulets pour des secteurs d’activité qui voient leur chiffre d’affaires réduit parfois à zéro.

Dès le début d’avril, il faudra penser au-delà du confinement. Poser les hypothèses d’activité éventuelles pour trois, six, douze mois, voire plus. Séparer les compétences essentielles de celles qui ne sont plus utiles. Faire le tri dans les équipes, les activités. Et prendre des décisions en conséquence. C’est là que les choses se compliquent. 

Les plus optimistes attendent le retour du «business as usual» . Un doux rêve. Les plus pessimistes voient le monde s’écrouler. Un cafard déconnecté du réel. Les plus résilients savent que le cours de la vie reprendra demain. Comme elle a toujours repris. Différemment.

Dans cette transition d’une économie à l’autre, imposée par les circonstances, nous devrons nous délaisser de ce qui n’est plus utile pour adopter de nouvelles habitudes. Pour devenir résilients. 

La première habitude à ranger au placard est l’obsession de la performance. C’est un mode de pensée devenu lourd, encombrant. Le culte de la performance nous impose d’opérer dans une fenêtre de conditions étroite. Le champion de golf n’est pas forcément bon gestionnaire. Le super-gestionnaire piètre créateur. Le concepteur de bitcoin peu communicant.

Ce sont des clichés, bien sûr, qui traduisent une réalité plus large de la fragilité de systèmes devenus trop complexes, dépendants de conditions de réussite très spécifiques. Une seule de ces conditions déraille et la machine est à l’arrêt. On l’aura vu l’année dernière avec le problème de l’essence de voiture dotée d’un taux trop élevé en manganèse. Les super-voitures vendues pour leur performance ont pris le coup de plein fouet. Les voitures les plus simples ont été moins affectées. Plus résilientes.

Le choix d’économie que nous avons fait dans le passé a été le choix de la performance. Nous nous sommes concentrés sur des métiers : le tourisme, la canne, la finance, le textile, dans lesquels nous nous sommes fixés pour objectifs d’atteindre le statut de «world-class». Nous avons donc choisi d’opérer dans une zone de compétence très étroite, délaissant les autres compétences que nous pensions plus utiles d’importer à moindre prix. À l’heure actuelle, notre dépendance alimentaire est maintenant exposée à vif. 

Les scénarios de reprise les plus réalistes (évidemment pas ceux «business as usual») seront construits différemment. Ils seront aussi pensés différemment. En mode résilience.

Que veut dire le mode résilience ?

Penser en mode résilience oblige de laisser tomber un mode de fonctionnement construit sur des objectifs. Oui, finis les KPIs, les ratings, et les casse-cou pour se rapprocher de la norme… Trop étroit, le mode de pensée par objectifs ne permet pas à celui qui l’adopte de s’ouvrir à l’inconnu. Or, nous naviguerons dans l’inconnu. 

Lâcher les objectifs ne veut pas dire naviguer dans le vide. Mais imaginer l’avenir sous le mode de scénarios. S’ouvrir au pire, au meilleur et à la voie du milieu dans le même temps. Et gérer en fonction de scénarios réajustés en permanence. Avec de la créativité et aussi… le droit à l’échec. Ce fameux droit à l’échec strictement interdit dans un système de culte de la performance. Un droit à l’échec absolument essentiel pour se donner la chance de se réinventer. Ceci exigera de nous une gymnastique mentale différente. Ce «muscle» de notre cerveau a été mis au repos prolongé depuis plusieurs décennies. Le réactiver se fera avec quelques petits cris de douleur.

La pensée en scénario nous oblige aussi à appréhender l’impensable. À la reconversion pour certains, dont les secteurs d’activité seraient brutalement affaiblis, ne laissant aucune perspective d’activité prolongée. 

Les champions d’hier ne seront probablement pas les meilleurs leaders de demain. Une nouvelle génération s’apprête à émerger de la crise. Plus résiliente. On verra naitre une nouvelle économie aussi. Plus proche de l’efficience. Qui n’est pas la recherche de la performance à tout prix. La vraie efficience consiste à utiliser ses ressources dans la juste mesure de ses moyens dans le temps. Pas à mettre en péril sa santé, sa société, sa planète, au nom d’une idéologie de la performance.

Publicité