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Une monnaie politique
Le Covid-19 Bill apporte des amendements pernicieux à la Bank of Mauritius Act. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le Special Reserve Fund (SRF) sera utilisé pour des mesures fiscales au-delà du simple remboursement de la dette publique extérieure. Le comble est que la Banque de Maurice pourra, tel un investisseur, injecter du capital dans une compagnie en puisant dans les réserves en devises.
En somme, la politique monétaire devient purement une politique fiscale. Ce catalyseur de dépenses excessives que sera la loi Covid-19 est susceptible de débaucher la roupie, le gouvernement nous payant en monnaie de singe. Au lieu d’être une monnaie fiduciaire, fondée sur la confiance en un pouvoir d’achat stable, la roupie est maintenant une monnaie politique, dictée par une politisation outrancière de la banque centrale.
Le projet de loi précise que ces nouvelles dispositions sont applicables « on account of the Covid-19 virus having a negative impact on the economy of Mauritius ». Rien n’est moins sûr. Il suffit de rappeler le nombre de fois qu’a été repoussée l’échéance de la Public Debt Management Act 2008 par des gouvernements successifs, incapables de tenir leur promesse de ramener la dette du secteur public à 60% du PIB. Cette fois, le plafond est aboli, donc pas de discipline fiscale.
Faute d’un calendrier précis, la Banque de Maurice continuera à « approve such grant from the Special Reserve Fund to assist Government in its fiscal measures to stabilise the economy of Mauritius ». Que veut dire « stabiliser l’économie » ? Suffit-il qu’elle retrouve une croissance positive, même ténue, pour que les autorités décrètent l’économie stable ? Que feront-elles si la croissance reste négative même après que le pays est à l’abri du coronavirus ?
Des réserves en devises seront investies « in any corporation or company set up for the purpose of facilitating economic development ». Or la Banque de Maurice est tenue par la BoM Act « to achieve their security, liquidity and return ». Va-t-elle prendre des actions de société, qui sont non liquides ?
Ou bien s’agit-il de recapitaliser Air Mauritius ? Que l’Etat le fasse est dans l’ordre des choses, puisqu’il en est l’actionnaire majoritaire. Le transporteur national a d’ailleurs une importance stratégique dans le développement du pays. Mais il existe des moyens de financement qui sont économiquement efficaces, comme l’émission de nouvelles actions ou d’obligations convertibles, remboursables en actions.
De par son intention d’exploiter les réserves de l’institut d’émission, le gouvernement a clairement pour stratégie de régulièrement dévaluer la roupie. D’autant que plus les réserves en devises diminuent, moins le SRF sera alimenté en gains de change. Avec des transferts de fonds au Trésor public, la planche à billets fonctionnera à plein régime.
Les réserves officielles ont déjà baissé de 600 millions de dollars en trois mois, une tendance qui s’accentuera tout au long de l’année avec la chute des revenus d’exportation et du tourisme et avec les gros problèmes du secteur offshore. Elles s’effondreront comme neige au soleil. Il convient donc, pour le paiement des produits importés, de garder nos réserves en cash plutôt qu’en actifs non liquides. D’ailleurs, la Banque de Maurice n’a pas d’expert en gestion des réserves ou du capital.
Toute banque centrale digne de ce nom s’occupe de préserver la stabilité du pouvoir d’achat de la monnaie du pays par une gestion prudente et par une réelle indépendance vis-à-vis des politiciens, tout en s’interdisant de s’engager dans une politique budgétaire. Mais la Bank of Mauritius Tower se place carrément dans le camp de l’Hôtel du Gouvernement, se montrant favorable à la politique de dépenser beaucoup d’argent à bon marché, sans se soucier de la valeur de l’épargne (les taux d’intérêt réels négatifs sont une taxe sur le capital). Avec son conseil d’administration comme facilitateur volontaire, la Banque de Maurice trahit son obligation de neutralité politique.
Il est souhaitable que les dirigeants de la banque centrale ne dépendent pas du pouvoir politique. Mais l’indépendance de celle-ci n’est pas suffisante, car on peut être libre pour faire de mauvaises choses. On peut facilement accepter un changement de politique afin de conserver une bonne image auprès de l’autorité investie du pouvoir de nomination. C’est pourquoi il faut un mécanisme démocratique qui empêche les décideurs monétaires d’abuser de leur liberté d’action : un comité parlementaire auquel ils rendent des comptes.
Il y a cent ans exactement, John Maynard Keynes écrivait ceci avec une belle clairvoyance : « There is no subtler, no surer means of overturning the existing basis of society than to debauch the currency. The process engages all the hidden forces of economic law on the side of destruction, and does it in a manner which not one man in a million is able to diagnose. » Erroné, le diagnostic de nos autorités fiscales et monétaires.
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