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Pathologie fiscale
Au commencement était la guerre. Hérodote disait que «la guerre est le père de tout», Cicéron que «le nerf de la guerre, c’est l’argent en quantité illimitée ». La guerre du Péloponnèse entraîna une hausse des dépenses athéniennes et, par conséquent, plus d’impôts. C’est à cause de la guerre que la statue d’or de la déesse Athena fut fondue pour frapper la monnaie.
Puis vinrent les révolutions. En cette année fatidique de 1789, Benjamin Franklin fit part à Jean- Baptiste Le Roy que «in this world, nothing can be said to be certain except death and taxes».
Dans le monde du Covid- 19, le premier Budget de Renganaden Padayachy sera coloré par une pathologie fiscale liée au coronavirus – la même certitude avec laquelle on s’attendait à des morts causés par la pandémie. C’est un état anormal où le gouvernement a toute latitude de taxer sans se demander si c’est bien ou mal, mais seulement s’il y aura des résistances. Francophile, le ministre des Finances ne fera pas la distinction entre «inevitable» et «unavoidable», ces mots anglais se traduisant tous deux par «inévitable»…
Qu’est-ce qu’un mot, diriezvous ? Eh bien, il peut en dire long en économie. Le terme «économie de guerre» est inapproprié pour qualifier la situation actuelle qui ne souffre d’aucun dégât matériel. Le gouvernement n’aura pas à reconstruire des infrastructures, et même le capital humain du pays reste intact. Mais il profite du langage empoisonné de la parole publique pour adopter des lois liberticides et pour faire du keynésianisme, c’est-à-dire dépenser et endetter le pays.
Maurice n’a pas de l’or, mais des réserves en devises étrangères, désormais considérées comme une source de revenus pour le gouvernement. Cependant, elles ne sont pas inépuisables. Dès lors, il cède au fantasme de financer des mesures fiscales par de l’émission monétaire. Mais si c’est une belle idée pour «stabiliser l’économie», pourquoi ne l’a-t-on pas fait dans le passé, et pourquoi le faire exceptionnellement ? L’État pourrait vivre dans un monde sans endettement !
En vérité, l’endettement public est désormais illimité, puisque la loi Covid-19 vient d’abolir le plafond de la dette du secteur public – la seule règle fiscale qui pouvait mettre un cran d’arrêt à la folie dépensière de l’État. Sa suppression est une indication que le recours à l’endettement sera plus répandu que la taxation. Ce serait un clin d’oeil à David Ricardo qui défendait la dépendance du gouvernement à l’égard des prêts en temps de guerre, car «il n’est aucun impôt qui ne gêne la production».
En effet, plus l’État prélève, plus il grossit : il peut ainsi intervenir dans les activités économiques privées qu’il réglemente, dessinant les contours d’une économie progressivement collectivisée et improductive. Ce faisant, il ralentit l’activité, ce qui lui fournit moins de revenus et lui fait décider de nouveaux impôts ou des taux d’imposition existants plus élevés, et ainsi de suite dans une spirale infernale. Une véritable addiction que notre gouvernement contractera, car les recettes publiques sont en chute libre.
Altruisme
Nous n’échapperons pas à la pression fiscale dans la mesure où la dette publique est un impôt futur. Se référant au Funding System (1820) de Ricardo, dans lequel il expliquait que le financement du déficit budgétaire par la dette n’affecte en rien le niveau de la demande, Robert Barro développe, dans un article de 1974, le théorème de l’équivalence ricardienne : il est indifférent que l’État finance ses dépenses par l’impôt ou par l’emprunt. Dans le premier cas, les ménages supportent une baisse de revenus. Dans le second cas, ils anticipent parfaitement, et intègrent dans leur contrainte budgétaire les impôts futurs associés à l’augmentation de la dette, et donc ils freinent leur consommation, ce qui annule tout effort de relance.
Ce comportement de précaution dictera les choix inter-temporels des ménages. Il suppose un altruisme intergénérationnel, qui est tout à fait plausible si tant est que le coronavirus ait réveillé les consciences des Mauriciens pour penser au bien-être de leur descendance, le changement climatique et l’endettement procédant du même raisonnement. La rhétorique de guerre sied bien à la logique de l’épargne ! Ils y croiront en constatant le déficit abyssal des finances publiques et les engagements budgétaires de la pension de vieillesse.
Personne ne sous-estimera le fait que le financement d’un déficit par une nouvelle couche de dette a pour effet d’aggraver le déficit lui-même. Le stock de dette publique contribuera à inhiber la croissance économique, car il suscitera un pessimisme fiscal défavorable à l’initiative, par crainte d’impôts futurs. Il n’y a pas de meilleure solution que de couper dans les dépenses.
Dans le discours budgétaire de demain, les uns verront un ancien messianisme, les autres une nouvelle eschatologie. Car le verbe se noiera dans une étrange dialectique entre fougue guerrière et élan révolutionnaire.
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