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La Cerbère des Finances

17 juin 2020, 08:54

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Ceux qui avaient proposé ou soutenu le recours à la monnaie hélicoptère pensaient naïvement que le Grand argentier, en les suivant, n’allait pas alourdir la fiscalité et l’endettement public. Mais le Budget de 2020-2021 a jeté l’économie dans «the worst of three worlds» : plus de progressivité fiscale, plus de dette publique et plus de création monétaire. C’est la Cerbère, l’horrible chien à trois têtes, du ministère des Finances.

Dans la mythologie grecque, Cerbère, le chien d’Hadès qui garde les enfers, est un monstre au visage de femme dont le corps se termine, non par des jambes, mais par une queue de serpent. Business Mauritius avait cru voir en Renganaden Padayachy, ancien cadre de la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice, un visage pro-secteur privé. Mais, sans crier gare, il a sorti de son escarcelle un serpent de mer, la Contribution sociale généralisée, une nouvelle taxe progressive pour les employés et les employeurs.

Outre de frétiller sa queue, la Cerbère des Finances relève sa première tête répugnante qui est l’impôt progressif sur le revenu. Au lieu d’une «relance économique agressive», annoncée par le Premier ministre, la progressivité, c’est-à-dire l’inégalité fiscale, devient agressivité. Un taux d’imposition marginal qui double, de 20 % à 40 %, pour les individus à hauts revenus (plus de Rs 3 millions annuellement), et une nouvelle taxe de solidarité sur le revenu brut, plutôt que sur les bénéfices, des sociétés au chiffre d’affaires de plus de Rs 500 millions (le tourisme et le Global Business exclus), et voilà que la tête de l’Exécutif mord la main qui nourrit le pays, soit la fiscalité légère.

L’impôt sur le revenu est ce qu’il y a de commun entre une guerre et une révolution. Il fut instauré en Angleterre en 1798 par William Pitt le Jeune pour mener les guerres contre Napoléon. Puis, dans leur Manifeste communiste publié en février 1848, Marx et Engels présentent l’impôt progressif comme un moyen révolutionnaire de transformation sociale. La même année, cependant, dans ses Principles of Political Economy, John Stuart Mill qualifie la progressivité de «graduated robbery». L’impôt progressif vole les contribuables concernés en ce sens qu’il leur fait payer un service dont ils ne bénéficieront pas.

Notre ministre des Finances fonde sa progressivité fiscale sur un «appel à la solidarité de nos opérateurs économiques les plus performants». Or, de prime abord, il faut être performant. Pour cela, la solidarité se manifeste essentiellement par la division sociale du travail : chacun a besoin de ce que produit l’autre, de ce qu’il ne sait pas produire, et réciproquement. Et cette solidarité dans la société n’implique aucun genre d’impôt sans contrepartie.

La solidarité est une valeur humaine incontestable, dont le vrai sens est d’aider ceux qui ne peuvent pas surmonter par eux-mêmes leurs difficultés, des situations provisoires pour lesquelles il est légitime que l’État se procure des ressources fiscales. Mais cette notion est pervertie lorsque les aidants sont spoliés par une fiscalité punitive – ce qui est contraire au droit naturel – et que les aidés sont considérés comme des êtres inférieurs (comme les esclaves d’Aristote), faute de réciprocité. Ce n’est pas par la médiation de la fiscalité, mais c’est en créant des entreprises performantes, en produisant des biens et services de qualité supérieure et à meilleur prix, que les individus sont solidaires de la société.

Derrière le deuxième vilain visage de la Cerbère des Finances se cache la dette du secteur public. C’est la première fois qu’un discours budgétaire n’aborde pas celle-ci, ce qui trahit l’embarras du gouvernement : elle atteindra le taux de 86,4 % du PIB en juin 2021. On n’en serait pas là si l’on ne l’avait pas laissée filer en temps normal. Alors que le FMI craint que la crise mondiale dure jusqu’à 2024, le Budget Padayachy n’a malheureusement pas prévu d’espace budgétaire au-delà de l’exercice 2020-2021.

La Cerbère des Finances montre sa troisième face hideuse avec la planche à billets. Les 60 milliards de roupies que la Banque de Maurice donnera au gouvernement seront levées sur le marché des capitaux. Mais comme c’est un don, donc aucun actif en contrepartie dans son bilan, les fonds propres de la Banque centrale seront négatifs. Sans recapitalisation par le gouvernement, elle aura recours à la création monétaire.

Entre-temps, la production nationale chute, mais la croissance annuelle de la masse monétaire est déjà élevée, soit 12,3 % en avril dernier. L’indice des prix à la consommation a certes baissé en mai, mais la vraie inflation, c’est quand il y a «trop de monnaie chassant après trop peu de biens», comme le disait Keynes, pour une fois d’accord avec Milton Friedman.

L’enfer de la dépression est pavé des bonnes intentions d’une fiscalité trop progressive. Si le ministre des Finances paraît académique dans son approche, c’est parce que le chien Cerbère n’appartient pas au monde d’ici-bas.