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Le pouvoir social
L’Etat s’est toujours cru dépositaire de la solidarité, en l’occurrence collective, donc forcée, via l’imposition fiscale. Pendant longtemps, il a miné la société civile en se servant de son monopole de coercition au prix de la liberté individuelle. Le drame du Wakashio est venu remettre le pouvoir politique à sa place en montrant les défaillances de la puissance publique, aussi visibles que celles qu’on attribue au marché. Le désastre écologique de la marée noire, faisant tache d’huile sur la carte postale de l’île Maurice, a peut-être renversé un rapport de forces : l’Etat, désormais mis au pas par la société civile, subira la pression permanente de ce que Alexis de Tocqueville appelait le « pouvoir social » – une lame de fond capable de balayer les lois liberticides dues au Covid-19.
Toute société est constituée de trois ordres : l’ordre politique, celui de la contrainte ; l’ordre économique, celui de l’échange marchand ; et l’ordre communautaire, celui de la solidarité volontaire et spontanée. Pour que règne l’harmonie sociale, aucun ordre ne doit piétiner les plates-bandes des autres. Or, à Maurice, l’ordre politique a mis sous sa coupe l’ordre économique, d’où le désarmement intellectuel des associations patronales, ainsi que l’ordre communautaire, comme en témoignent ces organisations dites socio-culturelles devenues des chevaux de Troie pour des politiciens.
La confusion des ordres, susceptible de conduire à une forme sournoise de totalitarisme, se produit lorsque le politique fait irruption dans l’espace économique (interventionnisme étatique) et la sphère communautaire (associations bidons corrompues par l’argent des contribuables). Des patrons politisés aux syndicalistes habillés en orange, c’est la recherche d’intérêt particulier. Cela rend respectables ces représentants autoproclamés de la population à l’occasion de crises : notre Subron national n’a pas pu s’empêcher de blâmer le pouvoir économique pour le déversement d’hydrocarbures ! Même Lindsay Collen doit s’en mordre les doigts pour avoir dit que « tourism is not an essential service » !
L’Etat, pourtant envahissant, s’est révélé impotent dans le domaine de l’environnement. Le « tout est sous contrôle », formule consacrée à rassurer la population, est en fait un aveu de faiblesse qui, sous le masque de l’arrogance ministérielle, marque l’incompétence coupable. L’approche légaliste des autorités par rapport à Wakashio ne peut justifier les douze jours d’inaction qui ont coûté très cher à l’économie du pays.
Il fallait une approche économique du bien environnemental. Mais le gouvernement, nul en gestion des risques, n’a pas tiré les leçons du naufrage du MV Benita en 2016. Il a dépensé des dizaines de milliards de roupies dans la construction tous les ans, mais pas un seul petit milliard dans des équipements pour protéger les lagons contre les conséquences de l’échouement d’un vraquier. Prétendre qu’on ne pouvait pas s’y attendre, c’est insulter le ministre de l’économie bleue qui sait que 30 000 navires naviguent dans les eaux mauriciennes chaque année.
Au vu d’un Etat défaillant et inefficace, des entreprises privées et des citoyens ordinaires se sont massivement mobilisés dans le dessein de limiter les dégâts causés à l’écosystème. L’effacement de l’Etat peut chagriner certains, mais si cela permet de revivifier la société civile pour rétablir la confiance entre les Mauriciens, améliorer la qualité de leurs relations et favoriser la compréhension entre eux, c’est la démocratie qui en sort renforcée. Autrement, la passivité, le désintérêt et l’indifférence des citoyens affaiblissent la démocratie.
Un commentateur de Mauritius Times, qu’on ne peut soupçonner d’être néo-libéral, se demande si notre « Etat omniprésent et prévaricateur » a peur « que les citoyens prennent leur destinée en main face à l’immobilisme des autorités et sans dépendre des politiciens qui ont créé une culture de l’assistanat dans ce pays. Un pays bouge en avant lorsque les citoyens passent à l’action, et non pas quand le gouvernement leur ordonne de faire quoi que ce soit. »
Le politologue Francis Fukuyama oppose les sociétés qui encouragent les hommes à se respecter et à collaborer, et celles où ils s’en remettent au pouvoir politique. D’un côté la confiance, de l’autre la puissance. C’est par la confiance que l’homme s’épanouit pour servir les autres : une société civile librement organisée par des règles informelles est le cadre naturel de l’initiative, associant la responsabilité à la dignité. La puissance étatique, elle, divise pour régner, ce qui aliène les gens et ruine la croissance économique.
Il est souhaitable que le gouvernement tienne une place subsidiaire dans la nation. Tel est le principe de subsidiarité, qui consiste à laisser faire la société civile et à ne déléguer au politique que ce qu’elle ne peut effectuer, réduisant ainsi l’ordre politique au minimum. Le pouvoir doit être social pour que chacun se sente responsable de la nature.
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