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L’appel du 29 août
Même si Pravind Jugnauth tente maladroitement ces jours-ci de minimiser l’ampleur de la marche citoyenne, il ne peut aucunement occulter le fait que désormais ce n’est plus du «business as usual» au sein de son gouvernement. Le vent a commencé à tourner. Il est aujourd’hui ouvertement et frontalement attaqué par des citoyens en colère, largement représentatifs de la société mauricienne. Et déterminés à avoir dorénavant recours aux manifestations de rue pour dénoncer sa gestion hasardeuse de la crise sanitaire et économique et aujourd’hui le désastre écologique suivant la marée noire du MV Wakashio à Pointe-d’Esny.
Ce réveil citoyen découle d’une accumulation de frustrations, la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase étant sans doute l’inaction du gouvernement et particulièrement celle du Premier ministre à cette tragédie environnementale qui se jouait devant les yeux de la population dans le Sud, largement médiatisée dans la presse internationale et dont les dommages collatéraux dépassent largement les pêcheurs, plaisanciers et autres opérateurs économiques de la région. Jugnauth-fils pourra balancer mille preuves pour justifier la bonne gestion de ce dossier en s’appuyant sur les avis des experts et demain sur le jugement de l’Investigation Court, il ne pourra malheureusement se faire excuser.
Le mouvement populaire spontané accompagnant l’initiative de la marche citoyenne de Bruneau Laurette du 29 août et auquel a adhéré une large frange de la population, toutes communautés et classes sociales confondues, témoigne nécessairement du désir naturel d’une population de se dresser contre la gouvernance au plus haut sommet de l’État et celle de ces institutions-clés, d’une corruption institutionnalisée et des nominations scandaleuses, rappelant curieusement que les nominés doivent appartenir à des proches du pouvoir et accessoirement à une même famille. Bref, à un dysfonctionnement de l’appareil de l’État.
Si le Premier ministre déclare lundi soir avoir entendu l’appel du 29 août, rien n’indique qu’il en tirera les leçons. Une démarche qui pourrait lui coûter cher car aujourd’hui plus que jamais la gestion de ce gouvernement sera dans le viseur de la société civile et d’une population disposée à quitter sa zone de confort pour dénoncer les gabegies des dirigeants de ce pays et de leurs excès.
Parfait anonyme hier, sorti de nulle part, Bruneau Laurette, qui devrait logiquement décrocher le titre de l’Homme de l’Année, mesure sans doute la lourde responsabilité qui repose sur ses épaules. Il a tenu la gageure de réunir une foule de plus de 75 000 personnes dans la capitale, ce que les politiques n’ont pu faire depuis ces 38 dernières années.
Face à une classe politique largement décrédibilisée, c’est la société civile qui dicte aujourd’hui ses choix à travers Bruneau Laurette, un héros malgré lui, qualifié, samedi, par la foule de sauveur. Dans les jours à venir, il aura à gérer ce succès populaire et il n’aura pas droit à décevoir cette marée humaine qui est venue lui apporter son soutien.
En même temps, il reviendra aux dirigeants de l’opposition de surfer sur la vague de protestations et construire une force politique alternative crédible en 2024 ou même avant avec un casting à être constitué, qui puisse susciter l’adhésion d’une majorité de la population.
Entre-temps, il ne faut pas s’attendre à ce que sa conduite à la tête du gouvernement soit un long fleuve tranquille. Depuis samedi dernier, le contrat de confiance liant la population avec son gouvernement est rompu.
Face à des enjeux économiques qui nécessitent d’autres compétences que celles disponibles actuellement au sein de ce gouvernement, avec une contraction du PIB de 13 % d’ici la fin de l’année et des risques de 100 000 chômeurs, suivant des licenciements massifs à prévoir à l’horizon, Wage Assistance Scheme ou pas, et ce alors même que la reprise pourrait être largement hypothéquée l’année prochaine, le pays sombrerait à coup sûr dans un marasme économique. Certains spécialistes parlent déjà de banqueroute économique.
La situation se complique davantage quand les movers and shakers du monde des affaires voient dans le premier Budget de Renganaden Padayachy des signaux contradictoires pour d’une part relancer l’économie et d’autre part introduire de nouvelles charges sous forme de Solidarity Levy et de la Contribution sociale généralisée (CSG). Ajoutée à cela, l’incertitude autour de la réouverture des frontières qui hante toujours les esprits des hôteliers alors même que la déclaration du Premier ministre lundi n’a donné aucune précision sur la date, rappelant sommairement son calendrier à cet effet.
Pris en sandwich entre les pressions populaires et les exigences sanitaires et économiques, Pravind Jugnauth marche sur des œufs. Son leadership, voire sa compétence, comme chef du gouvernement est rudement mis en cause. Saura-t-il remonter la pente dans un bateau en pleine tempête pour changer de trajectoire et éviter le sabordage comme le Wakashio ?
La réponse lui appartient ; pour le reste, l’histoire s’en chargera…
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