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Soeurs d’armes
Je suis née d’une femme pourtant je porte seulement le nom d’un homme. J’ai cinq ans : avec d’autres mamans et d’autres enfants, nous faisons route vers l’école. Je croise des ouvrières d’usine pressées de commencer leur journée. Je ne sais pas encore qu’elles gagnent un salaire et qu’elles se sont affranchies des fourneaux. Ma maman ne travaille pas. Elle nous conduit chaque jour à l’école ma soeur et moi et chaque jour, elle nous attend à la sortie avec son immense sourire et une gourde de bon lait chocolaté. Je ne sais pas la chance que j’ai.
Je ne comprends pas pourquoi les mères qui attendent leurs enfants en bavardant s’appellent non pas par leur prénom mais par celui de quelqu’un d’autre en ajoutant «Madame» devant. Elles ne sont que la Madame de quelqu’un.
J’ai dix ans, je découvre les aventures de Fantômette à la bibliothèque paroissiale où ma cousine est bénévole. Je découvre émerveillée le pouvoir de l’imaginaire, la puissance des mots, la quête de justice. Je veux conquérir le monde.
J’ai 13 ans, mes règles sont arrivées. J’hérite d’un corps dont je ne veux pas. Je ne peux plus jouer dehors, monter à vélo ou courir dans la rue. Je demande à comprendre. On me dit seulement que je suis grande maintenant et que je ne dois pas le dire. Une fille ne dit pas. Alors, je cache ma serviette hygiénique même à l’école où on est entre filles. J’ai honte.
J’ai 16 ans, je prends le bus pour me rendre au collège. Les receveurs me lancent des regards qui me gênent. Un homme s’assoit à côté de moi. Il s’étale. Il prend toute la place. Je me recroqueville ; j’essaye de me faire toute petite. Mon surpoids ne me facilite pas les choses.
Une autre fois, un homme s’est masturbé à côté de moi. C’est dégoûtant ! Je pense que c’est de ma faute. Je dois faire quelque chose mais je ne bronche pas. Mon corps ne répond pas. Je suis tétanisée. Une autre fois, en rentrant un peu tard de mes leçons, un homme s’est jeté sur moi. Je sens encore son haleine alcoolisée, ses mains qui tentent de s’imposer sur mon corps. J’entends encore mon coeur qui cogne dans ma poitrine. Je le repousse de toutes mes forces. Je cours comme une dératée jusqu’à la maison. J’ai eu la peur de ma vie pourtant je n’en dis rien. Je suis du sexe de la peur.
Au collège, entre filles, on ne se parle pas. On joue au volley, on chante du Patrick Bruel, on discute littérature mais on ne parle pas de nous ou de ces choses qui nous terrifient quand on est dehors ou dedans. Parmi mes camarades, combien sont victimes d’abus chez elles ? Combien ne mangent pas à leur faim ? Combien ont peur ? Je suis trop jeune, je ne le sais pas.
Nous portons le même uniforme. Nous nous ressemblons ; mais nous ignorons tout les unes des autres. Nous sommes amies, pas soeurs.
Adulte, je mesure ce que c’est que d’être une femme grâce à des rencontres, des conversations et à des lectures éclairantes. Je comprends enfin que je ne suis pas seule.
J’ai 45 ans et je suis en colère. Mes lectures et mon métier m’ont construite féministe. Je me rends compte que le chemin vers l’égalité est encore tortueux. Je rêve d’une société paritaire. J’attends des réponses fermes aux discriminations pérennes et collectives que femmes, nous subissons : discriminations salariales, en politique, dans l’espace public, au travail, à la maison. J’espère que comme moi, vous refusez le statu quo.
Ce l’express des Femmes est notre porte-voix. Il veut nous accompagner dans la conquête de nous-même. Il se saisit des mots pour élever les débats et défricher le terrain de l’égalité femmes-hommes qui est l’un des dix-sept objectifs de développement durable d’ici 2030. Il veut être en lien avec chacun.e d’entre nous.
J’ai 45 ans, je suis autonome. J’espère ce qui me revient de droit. J’étais du sexe de la peur, je ne le suis plus.
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