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Vaccination obligatoire et développement

22 juin 2021, 12:15

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Le gouvernement mauricien a rendu obligatoire la vaccination contre le Covid-19 pour les personnels de la santé et de l’éducation. Une telle mesure pose un dilemme éthique en ce sens qu’il convient de garantir à la fois la liberté personnelle de choisir et le respect de la vie d’autrui. Or, tous les philosophes de la liberté le disent, il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Adopter l’attitude du passager clandestin faisant courir le risque de non-vaccination aux autres est irresponsable. Avec l’hostilité aux vaccins, même s’ils sont disponibles, comment pourrait-on atteindre l’immunité collective ?

L’obligation vaccinale n’est pas une nouveauté chez nous. Autant la loi rend la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, autant le vaccin est obligatoire pour les nourrissons, et on est bien obligé de se vacciner pour voyager dans certains pays. Éventuellement, il faudra étendre la vaccination obligatoire à d’autres professions qui travaillent en contact permanent avec le public.

L’île Maurice n’est pas un pays atypique en matière de vaccination : une étude de l’université canadienne McGill, publiée en 2020, indique que 54 % des 193 pays étudiés rendent obligatoire au moins un vaccin, et que 62 pays sanctionnent le non-respect de la vaccination obligatoire. Celle-ci vient d’être recommandée en France par l’Académie nationale de médecine qui a proposé de commencer par les professionnels ayant le plus de contacts avec le public. Et le Royaume- Uni emboîte le pas.

Il n’est pas acceptable que les hôpitaux et les écoles deviennent des foyers de contamination du coronavirus, et donc un danger pour la vie des patients et des étudiants. Les autorités devraient même encourager la vaccination des personnels de la restauration et, de ce fait, imposer l’affichage de «Staff Vaccinated» à l’instar de celui de «VAT Registered». L’employeur serait libre d’avoir des employés non vaccinés, mais alors les gens le sauront et choisiront en conséquence leur prestataire de service. Tout comme il aurait le droit de ne traiter qu’avec des clients vaccinés, sur présentation de la carte vaccinale. La concurrence fera le reste.

À défaut d’exiger la vaccination sous peine de licenciement pour faute, il faut tout faire pour persuader les employés de se vacciner, tout en respectant le libre arbitre et les convictions religieuses ou éthiques de chacun. Pour convaincre, il est impératif de sensibiliser la population au fait que les scientifiques reconnaissent désormais qu’il est bien moins risqué de se faire vacciner que de ne pas être vacciné. Le vaccin protège non seulement la vie du vacciné mais également celle d’autrui.

Enjeu économique

Au-delà de son aspect philosophique, la vaccination à grande échelle comporte un enjeu économique. Il est évident que, sans elle, il n’y aura pas de retour à la normale de l’économie mauricienne. La vaccination n’en est pas l’unique facteur, mais tout de même un prérequis.

La santé contribue au développement économique. Le rapport entre les deux joue dans les deux sens. Le développement économique conduit à une amélioration de l’état de santé de la population, lequel favorise l’essor de l’économie. L’espérance de vie continue de croître (71 ans pour les hommes et 77,8 ans pour les femmes en 2020), et la mortalité de décliner (8,7 sur 1 000 habitants en 2020) : personne ne souhaite que ces deux tendances s’inversent avec le coronavirus ! Aussi, il existe une étroite corrélation entre hausse du niveau de revenu (PIB par tête) et baisse de la mortalité.

Cependant, les partisans d’une politique de santé soulignent qu’on ne peut pas compter sur le seul développement pour réduire la morbidité (maladie) et la mortalité (décès), et qu’il faut aussi des politiques spéciales de nutrition, de prestations sanitaires et d’assainissement du milieu. De plus, le développement provoque des atteintes à la santé (obésité, diabète).

La santé élargit les potentialités humaines. Chacun peut tirer un bénéfice immédiat d’une meilleure santé. Une élévation de l’état sanitaire des jeunes se traduira, à l’avenir, par une population plus saine.

Une amélioration de l’état de santé des travailleurs augmente leur force, leur endurance et leur capacité à se concentrer pendant leur travail. Une amélioration de l’état sanitaire et nutritif des enfants générera directement des gains de productivité en aidant les enfants à se transformer en adultes plus forts, plus résilients. En outre, elle constitue un apport indirect en renforçant l’aptitude des enfants à acquérir, grâce à la scolarité, des techniques et des attitudes productives. Les enfants sains et bien nourris sont plus assidus et aptes à une meilleure concentration à l’école, et ils progressent dans leurs études.

Les dépenses de santé constituent des investissements dans le capital humain. Les services sanitaires, comme la formation, rehaussent la qualité, tant immédiate que future, du capital humain. Selon Statistics Mauritius, le nombre de médecins employés par le ministère de la santé est passé de 663 en 1996 à 1 568 en 2019, parmi lesquels 354 spécialistes. Entre-temps, les médecins de pratique privée ont quadruplé, de 417 à 1 722. Le pays comptait un médecin pour 367 habitants en 2020, contre 1 137 habitants en 1997.

Alors que les dépenses éducatives n’augmentent que la qualité des ressources humaines, les dépenses de santé accroissent également le volume futur de ressources humaines en allongeant la vie active. Les dépenses de santé complètent l’investissement éducatif, car leur combinaison se traduit par une meilleure productivité au travail et par une rémunération plus élevée. Les dépenses de santé façonnent, quantitativement et qualitativement, le capital humain.

Il est possible d’évaluer les effets quantitatifs de l’amélioration de l’état sanitaire en années de vie active supplémentaires ou en an- nées de travail additionnelles. En revanche, il est difficile de mesurer les effets qualitatifs (en valeur) des dépenses de santé en termes d’accroissement des gains de productivité des travailleurs. Si le budget pré-Covid de la santé a progressé jusqu’à Rs 13,6 milliards, ou 3% du PIB, en 2019- 2020, la qualité des services reste encore à s’améliorer, sans compter les gaspillages et les achats publics qui font scandale. De même, le fait que les dépenses de santé font grimper la production nationale n’est pas une indication de la valeur des services sanitaires.

Ces derniers, mis à rude épreuve par le Covid-19, ont toutefois plutôt bien géré la crise sanitaire. Si la vaccination gagne du terrain, l’économie se refera une santé.