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Le piège de la dette

30 juin 2021, 08:35

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Les économistes ne sont pas impressionnés par les trillions de dollars de dette accumulés dans le monde. C’est à l’aune du produit intérieur brut (PIB) que se jauge la viabilité de la dette du secteur public. Celle-ci explose à Maurice, passant en un an de 83,4 % à 95,0 % en juin 2021. 

Lors des débats budgétaires, le chef du gouvernement et son ministre des Finances ont relativisé cette dégradation des finances publiques, ce dernier soulignant que «le niveau d’endettement de Maurice post-Covid se compare encore favorablement à celui d’un certain nombre d’économies développées». Une telle comparaison est intenable et ne sert que d’alibi à l’envolée des dépenses et des dettes afin de consolider le pouvoir de l’État, mais au risque pour le pays de se faire piéger par le cercle vicieux de la dette. 

On ne compare pas une petite économie insulaire en développement avec des économies avancées telles que Singapour ou le Japon, qui ont des actifs de qualité et les meilleures notations de crédit. Mesurons-nous plutôt avec nos pairs du continent africain. 

Selon l’édition d’avril 2021 du Regional Economic Outlook du Fonds monétaire international, la moyenne de la dette publique de l’Afrique subsaharienne était de 57,8 % du PIB en 2020, largement en dessous du taux mauricien. Celui-ci est même supérieur à la moyenne du COMESA (59,3 %) et de la SADC (73,1 %). Sur 44 pays de la région, 36 ont un endettement public moins élevé que Maurice. 

Un individu ou une entreprise qui continue de dépenser plus que ses revenus finit par faire faillite et doit donc ajuster ses dépenses. L’État, en tant qu’agent économique, a exactement le même problème, sauf qu’il n’est pas obligé de vendre ses actifs pour rembourser sa dette domestique. 

Il existe un point où la dette publique devient irrécouvrable. Le FMI établit ce point critique au moment où un pays accumule une dette publique égale à 2,2 fois ses rentrées fiscales. Il est bon de savoir que des pays africains et asiatiques sont tombés en faillite après que leur dette a dépassé respectivement 2,9 fois et 4,8 fois leurs recettes fiscales. Or, pour Maurice, la dette publique représente 5,1 fois les revenus fiscaux… 

Elle a progressé plus vite que le PIB depuis 2012, ce qui réfute la thèse d’Olivier Blanchard : notre endettement public ne suscite pas suffisamment de croissance malgré des taux d’intérêt très bas. Dans l’éventualité où ceuxci repartent à la hausse – le rendement des obligations d’État à 5 ans a augmenté à 3,2% –, le poids de la dette pèsera encore plus lourdement sur la capacité de l’économie à croître. Du reste, dès que le ratio de la dette publique franchit la barre de 90%, l’économie cède deux points de croissance potentielle, affirment Reinhart et Rogoff dans leur remarquable étude This Time Is Different (2009).

L’impact néfaste de la dette publique sur la croissance économique s’explique par l’effet d’éviction : les crédits bancaires sont déviés du privé vers le secteur public. Ainsi, selon les données de la Banque mondiale, les crédits domestiques au secteur privé mauricien ont reculé par rapport au PIB, de 106 % en 2013 à 80 % en 2019. Certes, les entreprises se désendettent, mais en même temps l’accroissement de la dette publique les prive de fonds prêtables, ces deux situations ayant en commun de réduire la création de richesse. 

Une dette de l’État n’est pas une tare si elle finance un investissement productif et favorise la croissance économique, mais elle est improductive quand elle incite au malinvestissement. Cela dit, un projet de développement public est-il un type d’investissement ? S’il ne génère pas de revenus aux prix du marché, ce n’est pas un investissement mais une dépense. C’est pourquoi le meilleur indicateur de la croissance future de l’économie est l’investissement privé : il a piétiné autour de 14 % du PIB même avant le Covid. 

De 2010 à 2019, période pendant laquelle la dette gouvernementale a presque doublé, la formation brute de capital fixe dans le secteur privé ne s’est accrue en termes réels que de 7 %, et la productivité globale des facteurs que de 10 %. De fait, la production par travailleur a ralenti, d’une croissance de 7,4 % en 2011 à 3,1 % en 2015, s’est accélérée à 6,0 % en 2016, mais a décéléré à nouveau jusqu’à 2,0 % en 2019. Si le gouvernement s’était moins endetté, l’investissement privé aurait été plus vigoureux, la productivité plus forte, et la croissance supérieure. 

On peut faire valoir que, si l’on exclut l’effet Covid, l’accumulation de la dette publique n’a pas affecté trop sévèrement les variables macroéconomiques. En particulier, l’inflation demeure relativement faible – c’est du moins ce que prétendent les chiffres officiels. Cependant, la dette est dépréciée par la perte de la valeur de la roupie. Et puis, la non-linéarité en économie fait que les relations de cause à effet restent inopérantes un certain temps avant de se manifester avec une force inouïe. Le pays se verra alors refermer sur lui le piège de la dette.