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Synthétiquement naturel

4 juillet 2021, 08:50

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Souffrant d’un mal se baladant entre le fémur et l’occiput, je décidais de consulter mon médecin de famille, le Dr Google, un des rares généralistes à faire des visites exclusivement à domicile. Après trente minutes de consultation gratuite, j’arrivais à la conclusion qu’il ne me restait plus que quelques semaines à vivre et que mes os, contre toute attente, pouvaient rouiller! Voilà ce qui arrive quand on prétend avoir une santé de fer! J’avais le choix entre des injections de WD40 (méthode américaine), la prise de bisphosphonates (heureusement par voie orale) ou l’usage quotidien de cannabidiol. La dernière option me parut stupéfiante, car je n’avais jamais songé au cannabis en tant que solution médicale.

Sans dire un mot à ma femme qui a tendance à décourager chacun de mes desseins, je fonçais chez un ami psychoactif, grand défenseur du divin chanvre, pour lui demander conseil sur la marche à suivre afin de me procurer ce remède miracle. Il m’expliqua en quelques mots que le cannabis était de plus en plus difficile à cultiver, car les autorités veillaient au grain et déracinaient sans remords les moindres pousses aux quatre coins du pays. Cependant, il m’informa qu’un substitut synthétique était désormais disponible sur le marché et que «c’était de la bombe!» Apercevant une loupiotte au bout de mon tunnel, je lui demandais si ce miracle de la science contenait le précieux cannabidiol, mais il ne put l’affirmer. Au secours Dr Google! Grâce à une série de cliques bien placée, nous découvrîmes avec surprise les ingrédients cachés dans «la bombe synthétique». Du thinner aussi connu sous le nom de «tiner» chez nous, du liquide utilisé pour déboucher les toilettes, de l’acide sulfurique, et de «la craie-cancrelat», entre autres, mais pas l’ombre du précieux cannabidiol. La déception se lisait sur mon visage et l’horreur sur le sien.

Quelques heures plus tard, je débarquais chez mon pharmacien pour lui demander des renseignements sur l’introuvable cannabidiol et il m’informa que la législation actuelle interdisait sa vente et sa consommation. Il m’expliqua aussi que les antirouilles comme mon WD-40 n’étaient uniquement qu’à usage externe et ne pouvaient être transfusés. Ô désillusion! Il me restait cependant les bisphosphonates. Faisant chauffer ma carte de crédit, je me procurais quelques boîtes du précieux médicament et m’empressais de lire la notice, une fois au chaud dans ma voiture. Dans la colonne des effets secondaires, je trouvais les effets suivants : fièvre, douleurs musculaires, fatigue, maux de tête, difficulté à avaler, cancer de l’œsophage… (je vérifiais la boîte pour m’assurer de n’avoir pas acheté par mégarde de la «craie-cancrelat»…) fractures inhabituelles, ostéonécrose de la mâchoire, problèmes oculaires… (je commençais à regretter le «débouche-toilette» ...) anomalies du rythme cardiaque et finalement douleurs osseuses et articulaires. Le médicament légal supposé soulager mes douleurs osseuses pou- vait m’infliger… des douleurs osseuses ! Et pas un mot sur ses effets contre l’oxydation des os…

Une seule voie s’ouvrait désormais à moi; militer pour la légalisation du cannabis. Fort de mes contacts en haute cuisine, le cousin-du frère-du clerc-de l’oncle-du voisin-de la tante-du comptable-du père du ministre en charge m’avait promis un rendez-vous avec le troisième adjoint au maire de ma ville pour exposer mes idées et obtenir l’autorisation d’organiser une marche pacifique sur la route royale à la fin du mois. Je lui expliquais durant une bonne heure les vertus du «gandia» thérapeutique, mais mes arguments se brisaient sur des récifs d’incompréhension. Le troisième adjoint fit appeler une collègue à qui j’expliquais à nouveau mon cas, puis on me demanda de repasser la semaine prochaine pour réexpliquer mon dossier à la seconde adjointe au maire. Ainsi, plusieurs mois passèrent et bientôt tous les employés de la mairie, excluant le maire, furent exposés à mes débats sur le sujet. Je fis à pied d’innombrables allers-retours à la municipalité et ma santé s’en trouva grandement améliorée. Et cela, finalement, grâce au cannabis que je n’ai toujours pas pris. L’échec de mon mouvement pour la dépénalisation du cannabis me procura néanmoins cette sombre pensée :

Chassez le naturel et il revient en synthétique!