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Les réseaux sociopathes
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Les réseaux sociopathes
J’étais récemment à un cocktail pour l’ONG «Aime ton voisin» où je racontais à un inconnu à quel point j’étais abasourdi par les réactions nerveuses de certaines personnes et qu’à l’époque où nous vivons, les gens avaient tendance à démarrer au quart de tour. Il semblait que le monde entier était «à cran» ! Pensant sans doute que je parlais de lui, ce dernier me jeta son verre de vin au visage et jura haut et fort de ne plus jamais m’adresser la parole ! Un bon Samaritain qui passait par là me dit : «Tout ça, c’est la faute aux réseaux sociaux, croyez-moi mon jeune ami, le diable se cache dans les ‘likes’ et quand on parle du bouc on voit sa face !»
Le savant Samaritain m’expliqua qu’aujourd’hui chacun se prenait pour un journaliste et qu’avec un téléphone portable en main, nous avions tous le pouvoir de déclencher des guerres ! Je l’écoutais avec attention alors qu’il me décrivait un XXIe siècle où les réseaux sociaux pousseraient la population à prendre des piques et des fourches pour jeter le pouvoir en place dans le carreau de cannes le plus proche. Avant que je ne puisse lui offrir mon opinion, il enchaînait : «Savez-vous que les ‘fake news’ sont fabriquées à grande échelle dans des fermes ?» (Son visage s’était mis à s’agiter et ses yeux sortaient de leurs orbites,) «...et par des hordes de trolls !» (Ça y est, il avait sombré dans la folie.)
Je tentais de m’éloigner tout en prétextant un besoin pressant, mais le délirant Samaritain me prit par le bras et me chuchota : «Ils nous entendent, vous savez ? Les trolls connaissent chacun de nos agissements…» Je coupais court à la discussion en lui indiquant que je ne croyais pas aux trolls et encore moins aux elfes, aux nains, aux farfadets ou aux autres créatures mythologiques, mais son enthousiasme ne fut en rien diminué. Il me demanda si mon portable avait une caméra et si je n’avais rien remarqué de suspect et m’informa que les caméras pouvaient être activées à distance par les trolls et que nous pouvions tous être filmés «à l’insu de notre plein gré !» L’extravagant samaritain se mit à regarder obsessionnellement autour de lui redoutant qu’un téléphone soit dirigé dans notre direction. «Nous pouvons tous être des victimes de la toile», dit-il en s’essuyant le visage, «prenez garde à ce que vous dites… mesurez vos paroles… prenez garde aux trolls…» Je décidais de fuir ce forcené, lui souhaitais rapidement le bonsoir et quittais le cocktail à bride abattue !
Le lendemain matin, je flânais au supermarché et parlais au téléphone en faisant mes achats. Je disais avec aplomb à ma femme : «Je déteste les blancs…», quand, surgissant du rayon produits ménagers, une personne se mit à m’invectiver. Elle me reprochait de répandre mon racisme primitif dans les lieux publics et que par ma faute le «mauricianisme» avait du plomb dans l’aile ! Les passants avaient aussitôt dégainé leurs portables, filmaient la scène et me promirent de publier les images sur les réseaux sociaux. C’est alors qu’un jeune homme intervint pour souligner qu’il était inutile de le faire, car il faisait un «direct» sur TikTok et qu’il était déjà suivi par plus d’une centaine de spectateurs… 123… 281… 371…
J’essayais de leur expliquer mes propos, mais, comme dans la chanson de Piaf, je fus rapidement emporté par la foule qui me traîne et m’entraîne, écrasés l’un contre l’autre, nous ne formâmes qu’un seul corps et le flot sans effort nous poussa vers la sortie et enchaînés l’un et l’autre nous débordâmes sur les parkings…
Finalement, je pus m’enfuir en courant et me terrais durant plus d’un mois avant que les réseaux sociaux ne se désintéressent de mon cas. Il me fallut me laisser pousser la barbe et me raser la tête pour pouvoir, enfin, sortir de chez moi.
Et je n’aime toujours pas les blancs de poulet ! Estce un crime ?
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