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Construisons moche !

1 août 2021, 08:36

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Construisons moche !

L’aspect repoussant de certaines maisons mauriciennes interpelle le spectateur noninitié à l’architecture moderne. C’est clairement par manque de connaissances dans le domaine de l’inesthétique. Afin d’apporter mon «bloc» à l’édifice, je me permets de fournir ici un dossier détaillé pour réaliser la maison dont vous ne rêverez jamais. 

Certains vous diront que même si vous n’avez pas obtenu un permis de construire des autorités compétentes, vous devriez commencer la construction et que si vous avez soumis un plan à la municipalité ou au district council, en respecter les conditions est matière à une délibération très personnelle. Il faut savoir qu’un plan de construction est truffé d’éléments futiles qui ne feront qu’augmenter votre budget. Au lieu d’un entrepreneur onéreux, engagez plutôt un voisin, un parent ou un ami qui a de l’expérience dans le «battage du ciment» et qui vous aidera à réaliser votre monstruosité. Pour édifier une maison hideuse, vous aurez besoin : de briques, de quelques «pokets» de ciment, de beaucoup de «rocksand», de quelques barres de fer coupées en morceaux, d’un minimum de savoir-faire et de 12 chiens. 

Si vous avez demandé un permis aux autorités, il y a de gros risques que vous receviez la visite d’un inspecteur des travaux. Voici comment procéder en cas de visite : la veille du rendez-vous, passez chez un boucher et procurez-vous 50 kilos d’os de boeuf ; tibias, quelques côtes, une colonne vertébrale et, si possible, un crâne et éparpillez les restes de l’animal sur votre chantier. Quelques heures avant le rendez-vous, attachez à un des bras ou une des jambes de vos travailleurs volontaires des pansements fictifs abondamment arrosés de peinture rouge et empruntez à vos voisins une douzaine de roquets particulièrement menaçants que vous attacherez tout près de l’entrée du terrain. Quand l’inspecteur arrivera, invitez-le à visiter le chantier et insistez sur le fait que vos chiens ne sont pas méchants et que le boeuf qu’ils ont dévoré la veille les a repus. Vous aurez alors 99,8 % de chance que l’inspecteur se mette à observer la construction de loin et qu’il vous dise : «manier mo gété, tou dan lord.» 

Beaucoup vous diront qu’il est très important de battre le ciment dans la rue, qu’elle est là pour ça, n’appartient à personne et que vous êtes libre d’y travailler ou d’y jeter les déchets de chantier sans modération. La trace de ciment artistiquement imprimée sur l’asphalte sera votre contribution personnelle à la beauté du lieu. Ajouter des fers dans les constructions en béton est une coûteuse aberration et n’aurait pas vraiment d’utilité ; les pyramides de Gizeh n’ont pas de fer et ont tenu 5 000 ans ! Néanmoins, semez aux alentours quelques tronçons de fer de construction pour donner l’illusion que vous vous en êtes servi et prévoyez de faire dépasser de la dalle des barres de fer de 30 centimètres à chaque coin de votre maison afin de tromper l’ingénieur du gouvernement qui, par peur des chiens, inspectera de toute façon votre bâtisse, depuis la rue. 

Quand vous aurez presque terminé votre «poutou», il n’y a pas lieu de crépir les murs, car le crépissage est source d’ennuis et de dépense. Afin de ne pas payer de taxe municipale annuelle, les experts disent qu’il est impératif que votre maison n’ait jamais l’air terminée. Pour ce faire, pourquoi ne pas entreprendre la construction d’un étage que vous n’achèverez jamais ? Rien n’est plus attrayant qu’une maison avec un étage en construction permanente. 

Et finalement, il n’est pas nécessaire de peindre sa maison. Le gris est passepartout et s’intègrera bien dans le paysage. Au cas où vous décideriez d’installer un «dalo» pour écouler les eaux de pluie, nul besoin d’étendre ce tuyau jusqu’au sol, car cela vous priverait de la trace vert «gomon» que l’eau du toit dessinera généreusement sur votre devanture. Notez bien que l’eau accumulée sur le toit n’est pas la cause majeure de dalles pourries. 

Et si un philosophe de passage vous dit : «La qualité esthétique, c’est parler de nuances d’à peine un millimètre, de graduations subtiles, ou de l’harmonie de plusieurs éléments visuels fonctionnant ensemble…» 

… n’hésitez pas à lâcher les chiens !