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Indiscipline sportive

8 août 2021, 07:23

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Indiscipline sportive

 

La guerre portant des risques potentiellement mortels, l’Homo sapiens dut trouver une autre façon d’évacuer la pression sans systématiquement massacrer son prochain. Cela donna sans doute à «l’homme sage» l’idée d’inventer le sport. Pourquoi notre ancêtre se mit-il à courir ? Est-ce la fuite devant un tigre à dents de sabre sur la queue duquel il avait marché ? Ou pour échapper à une de ses bellesmères armée d’un gourdin ? Nous ne le saurons jamais. Le sport se développa dans de nombreux pays et rapidement, on courait sans fuir, on se cassait la gueule sans grief, on lançait des javelots sans raison et l’on se disputait un ballon (alors qu’il aurait été si simple d’en donner un à tous les participants). Quoi qu’il en soit, tigres furax ou bellesmères belliqueuses furent peut-être les déclencheurs d’une noble activité, devenue au fil des temps à but très lucratif. Je m’étais essayé au lancement du disque dans ma jeunesse, mais mon sang ne fit que 33 tours et je me suis finalement rangé à l’avis de l’écrivain Stephen Leacock : «Évitez soigneusement de faire du sport, il y a des gens qui sont payés pour ça.»

À Maurice, nous avons développé des domaines sportifs très particuliers qui, à la queue leu leu, attendent de rejoindre la liste des disciplines olympiques.

L’alpinisme hiérarchique est un sport pratiqué par un grand nombre de nos concitoyens. Grimper l’Annapurna social plus vite et plus ostensiblement que son voisin est pour beaucoup d’une importance capitale. On se cramponne, on s’encorde afin de passer sur la tête de ses collègues et à chaque étape, il est primordial d’exposer à la vue du voisin en question les signes de richesse glanés au cours de l’ascension; montre de luxe donnant l’heure exacte sur Pluton, berline pouvant accueillir five sitting, four standing, double rangée de dents en or ou villa aux îles Caïmans. Utiliser le «téléphérique politique» permet souvent au participant d’arriver au sommet en un temps record, mais, comme dans le jeu de serpents et échelles, il peut arriver que l’alpiniste écrase la tête du politicien et la vitesse de sa chute est alors proportionnelle à celle de l’ascension. Adieu vache, cochon, couvée et caïmans.

Un autre sport pratiqué à Maurice est le lancer de déchets par la fenêtre. Ce sport est aussi appelé «jeu du triple sot». Le but du jeu est de se débarrasser le plus rapidement possible de bouteilles en plastique, de conteneurs de fast-food ou de nombreux items non dégradables en les jetant dans la nature d’une voiture, d’un bus ou d’un camion. Alors que cette indiscipline sportive est un joyau national en or dur et grâce à nos champions du zet salte, le monde, lui, entonne Luis Mariano : «Maurice tu es, la poubelle du monde…»

Le politicien a aussi ses sports de prédilection. Rodbout and jump est un sport pratiqué par certains politiciens avec maestria. Les règles sont simples : chaque parti politique met en jeu un nombre limité de motivations aussi appelé bout (la prononciation du «t» est importante). Le politicien qui n’a pas obtenu un bout de son parti d’origine, jette ses convictions au sol, les piétine avec une désolation feinte avant d’effectuer un saut vers un autre parti. S’il n’obtient pas de bouts dans le nouveau parti non plus, il claque une porte avec fracas et crée un nouveau parti. Certains politiciens qui sautent de parti en parti à la vitesse d’un TGV obtiennent l’appellation tant convoitée de bout-en-train.

Si le politicien est député, il peut participer à un sport créé au XIIIe siècle, le pugilat. Trois équipes de forces inégales s’affrontent dans une arène en forme de panier à salade et s’invectivent sans relâche. L’équipe majoritaire doit passer des projets de loi à travers les filets de l’équipe opposante, alors que la troisième équipe (celle des contribuables), observe passivement la manœuvre. Un arbitre impartial a pour rôle d’expulser les députés d’une des trois équipes à un rythme soutenu tout en montant sur de grands chevaux et en hurlant des phrases répétitives. Le combat peut durer plusieurs mois avant que le capitaine de l’équipe majoritaire ne décide unilatéralement d’une pause.

Notez qu’au pugilat made in Mauritius, la troisième équipe est toujours perdante.