«Ton T-shirt n’est pas un peu serré?» me demandait ma femme. Cette phrase d’apparence innocente semblait ne pas impliquer l’impact rétrécissant du séchage sur le coton… Elle renchérit : «Pourtant il n’y a pas si longtemps, ce T-shirt flottait sur toi…» Tel un boa constrictor, ma femme accentuait sa pression, alors que moi, Bibendum en détresse, j’essayais en vain de changer de sujet. «Euh… si l’on partait en voyage, tous les deux, en amoureux, on pourrait visiter Athènes?» Et ma femme me jeta cette fois un regard de cobra et m’asséna la morsure fatale : «Pourquoi ne pas attendre que tu accouches, mon chéri, nous partirions plus légers...»

Et voilà, le sujet était sur la table et il était lourd à digérer. J’avais pris du poids. Adieu Athènes et la Grèce antique, bonjour bedaine et la graisse en trop. «Ton avenir est dans tes mains, moi je m’en lave les miennes…» m’avait lâché ma femme avant de se rendre à son cours de Pilates. Oui, c’est vrai que j’avais peut-être accumulé quelques kilos avant le rude hiver, un peu comme le grizzly avant l’hivernation, mais je comptais bien les perdre ensuite, un jour, bientôt peut-être. Comme dit ce proverbe possiblement amérindien, «heureux les plantigrades, ils n’en ont jamais gros sur la patate», l’ours n’est jamais montré du doigt par son ourse, qu’elle soit grande ou pas.

Il fallait me résoudre à faire un régime et cette pensée révulsait déjà mes triglycérides. Une question demeurait cependant ; quel régime choisir? Il y a quelques années, j’avais essayé le régime de bananes et étais resté baba devant son efficacité, mais cela avait créé des bouchons que même un autopont ne pouvait résoudre. Que dire aussi de ce régime à base de papier mâché qui avait fait un carton dans les années ‘70, mais qui s’était finalement révélé ne plus être à la page.

Je songeais avec mélancolie aux combattants sumos qui étaient vénérés comme des dieux au pays du soleil levant où le kilo était béni et la tonne adulée. J’enviais ces sumotoris qui pouvaient manger leur macaroni accompagné d’un «dekti» de riz et de plusieurs miches de pain sans culpabilité. Pourquoi n’étais-je pas né baleine ou éléphant pour lesquels l’obésité est la norme?

Une svelte amie qui prêtait une oreille charitable à mon abattement me proposa de l’accompagner dans ses activités athlétiques et m’assura que je perdrais rapidement du poids en transpirant comme un bœuf. Elle me proposa son programme de redressement et de rééducation physique durant lequel j’allais devoir escalader des montagnes sur une jambe et descendre des rapides en brasse papillon tout en pourfendant mes bourrelets. Un régime totalitaire avec Gulag, mais sans jamun.

Ayant vite rejeté cette option sportive, je prenais rendez-vous avec mon ami Dr Lathan à qui je disais d’emblée : «Charles, j’ai besoin de ton aide pour perdre du poids.» Il me parla longuement d’un régime à base de grains secs ; lentilles, dhal, tout en privilégiant les petits poids aux gros poids. Charles me mit néanmoins en garde contre les effets «aérophagiques» d’un tel régime alimentaire avant de me souhaiter bon vent. «Va en pet», me dit-il en riant alors que je quittais son cabinet.

Ce surpoids commençait sérieusement à me peser. Dans la rue, on me regardait comme une curiosité, un drôle de gras et certains me demandaient même si je n’étais pas un lointain parent au sergent Garcia. Alors, je me mis à enchaîner les régimes ; sans sucre, sans farine, sans riz, sans fruits ou avec exclusivement des fruits. Je fis des régimes constitués uniquement de viande ou seulement de légumes, mais je retrouvais par la suite un kilo pour chaque once égarée. Je choisissais ensuite de jeûner les lundis comme Gandhi. Cela avait bien marché pour le Mahatma, mais je découvris rapidement qu’il y avait trop de lundis dans un mois et que cette démarche avait pour moi un parfum de grève de la fin.

Finalement, je me résolus à garder mes kilos amassés avec amour durant toute une vie. Ma femme revint à la charge, mais je refusais son ultime proposition de régime marin riche en oméga 3 pour une question de principe…

… je suis contre la pêche aux gros.