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Le pro du proverbe
Je fais partie de gens qui s’expriment par des proverbes ou des expressions toutes faites. Ces formules exprimant des vérités prétendument universelles sont ce que le prêt-à-porter est à la haute couture et les plats tout préparés à la gastronomie. Nous avons tous dans notre entourage une personne prête à nous partager sa sagesse à deux balles. Mais attention, deux balles, ça va, trois balles, bonjour les dégâts. La dispense des proverbes et des citations doit être faite avec parcimonie. Comme je dis toujours : «Qui peut et n’empêche, pèche.»
Je suis sans cesse en compétition avec «l’Autre» que je n’ai jamais rencontré, mais dont je salue l’érudition. Une de mes connaissances balance ses proverbes en débutant ses phrases par : «Comme dirait l’Autre.» Mais qui peut bien être «l’Autre» ? Attila, le chef des Huns, étaitil aussi le chef des Autres ? Après d’âpres recherches, je suis arrivé à la conclusion que «l’Autre» s’apparenterait à l’invisible Contumace qui a la fâcheuse tendance à condamner les absents qui, bien entendu, ont toujours tort. Personnellement, je ne me cache jamais derrière «l’Autre» pour lancer mes traits, car : «Qui tire à garant et garant n’a, sa cause est perdue.»
Savoir jouer du proverbe est essentiel pour paraître sage, car un proverbe bien formulé fait toujours mouche. Dans le but précis de paraître intelligent, il m’arrive de mentionner des proverbes n’ayant rien à voir avec la conversation. Par exemple, j’ai dit récemment à une personne ayant perdu son chien : «Sage renard ne mange point les poules de son voisin.» Le gars ayant perdu son clébard ne souhaitant pas, de plus, perdre la face, fit semblant de comprendre ma lumineuse réflexion et répondit : «C’est bien vrai ce que tu dis là.» Dans le même registre et après plus de dix ans, des centaines de fans s’interrogent toujours sur la phrase énigmatique du joueur de foot Éric Cantona au cours d’une conférence de presse : «Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est qu’elles pensent qu’on va leur jeter des sardines.» Manchester United serait-il un chalutier ? «Consuetudinis vis magna est.»
Il est parfois amusant de combiner les proverbes et observer la réaction des gens. Une phrase du genre : «Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle n’amasse pas mousse» ou «il ne faut pas passer du coq à l’âne avant de l’avoir tué», peut créer chez le fameux Autre un certain je-ne-saisquoi. Les lettrés rabat-joie vous corrigent d’emblée alors que d’autres, convaincus d’avoir entendu quelque chose de semblable dans leur enfance, tentent inlassablement de rassembler leurs souvenirs afin de démêler le vrai du faux.
Lao Tseu disait : «Le sage, sans agir, oeuvre.» Quand je suis en société, je trouve toujours judicieux d’observer un silence mystérieux ; le genre de silence servant de marque-page à un livre d’Agatha Christie. J’attends alors le moment opportun où la conversation perd de sa vélocité pour lâcher une pensée capable d’ahurir les troupes. «Ce que pleut sur le curé, dégoutte sur le vicaire.» Immanquablement, il y a toujours quelqu’un pour me demander ce que j’entends par là. À quoi je réponds : «Je ne peux être plus clair», et je balance une deuxième maxime censée expliquer la première. «Le monde est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part.» Si la personne insiste, je l’époustoufle avec une série de locutions latines mises bout à bout : «Flagrante delicto fluctuat nec mergitur, gloria victis» qui veut dire, «en flagrant délit elle tangue, mais ne sombre pas, gloire aux vaincus». En général, la personne s’en va sans demander son reste.
Certains proverbes m’interpellent : «Après la pluie, le beau temps» cache le fait qu’après ce fameux beau temps survient toujours la pluie. Autant s’y faire ! Un autre proverbe utilisé à tout bout de champ est : «L’argent ne fait pas le bonheur.» Si vous êtes riche, il est énoncé sous forme de rappel, si vous êtes pauvre, il est formulé comme un avertissement. J’ai toutefois une préférence pour la version améliorée de Helen Gurley Brown qui dit ceci :
«L’argent ne fait pas le bonheur, mais il permet tout au moins d’être malheureux dans le confort.»
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