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Avec ou sans?

7 novembre 2021, 08:46

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Je voudrais partager avec vous un rêve qui avait pour l’occasion revêtu des habits monochromes.

À peine avais-je étalé ma chevelure sur l’oreiller et plongé à pieds joints dans un sommeil abyssal que je m’éveillais dans un curieux monde. J’étais toujours dans ma chambre, mais celleci avait changé d’apparence. J’avais certainement basculé dans une autre dimension ou un truc de ce genre. Un univers avec une quasi-absence de couleurs. Je ne reconnaissais plus le lieu où je m’étais couché la veille. Plus un tableau aux murs. Mes rideaux jadis en technicolor avaient été remplacés par de la toile écrue et ma couette était loin d’être aussi chouette. Et mon armoire? Qu’était-il arrivé à mon armoire? Le beau meuble en bois, artistiquement sculpté, avait été remplacé par des madriers posés sur des briques. Que c’était moche!

Horreur! Les dinosaures colorés sautillants sur le tissu de mon pyjama avaient pris le maquis! Je m’en dévêtis et saisis dans mon simulacre d’armoire un pantalon en toile écrue, un t-shirt taillé style «sac à patates» et inspectais le reste de la maison. Je réalisais avec horreur que tous les objets de la maison avaient changé d’apparence ou avaient carrément disparu. La télévision était aussi laide et massive que les télés de mon enfance. Je l’allumais et un fond gris apparut à l’écran dans un silence angoissant. Soudain, l’appareil émit une sorte de crissement et un homme apparu devant un fond uni et se mit à énoncer dans une voix monocorde les informations du jour. Ce journal télévisé sans jingle n’offrait pas une seule photographie, pas une vidéo, mais simplement une personne déblatérant une liste de faits-divers et d’informations. Puis l’homme disparut pour laisser de nouveau place à l’écran gris. À mon grand étonnement, il n’y avait aucune chaîne sur laquelle zapper. Mais où étaient donc passées mes chaînes câblées? Toujours empêtré dans mon rêve, je donnais un coup de fil à un ami pour lui demander si nous n’avions pas subi une hypnose planétaire et j’eus la conversation la plus étrange qui soit. Cet ami ignorait le sens des mots : films, cinéma, Netflix, documentaires, séries télé et (je prends mon courage pour l’écrire ici) il n’avait jamais entendu parler de «La petite maison dans la prairie» !

Je déposais le combiné et sortis de chez moi en courant et là, comme Godefroy de Montmirail et Jacquouille la fripouille dans le film «Les Visiteurs», je tombais sur un monde détonnant! Ma ville avait aussi changé d’aspect. La stationservice, comme la plupart des magasins, avait perdu ses couleurs et son logo; elle portait un panneau en «plywood» sur lequel était écrit «filling station» à la peinture noire. Devant le magasin «Ena tou», les enceintes hi-fi qui généralement vomissaient de la musique pour tout le quartier avaient disparu. En vérité, je n’entendais plus de musique nulle part. Des passants que j’interrogeais m’informèrent avec sérieux qu’ils ignoraient le sens même du mot : musique!

Je préfère ne pas vous parler des voitures! Elles étaient aussi horribles que les bâtiments aux alentours. De véritables boîtes de corned-beef avec des roues! Il faut absolument que je vous parle du supermarché du coin; pas une seule étiquette sur les produits, simplement des autocollants avec le nom du produit écrit au feutre noir. Le design et la publicité ne semblaient pas exister dans ce monde de brutes.

Au fur et à mesure, je réalisais que j’étais tombé dans un monde sans art ni création. Plus de musique, de séga, de cinéma, de littérature, de théâtre, de comédies musicales, d’architecture, de design, de stylisme, de peinture, de sculptures, de joaillerie, de jeux vidéo, de sites internet ou de musées… Et je songeais : quelle tristesse, sans les arts, les dinosaures colorés ne gambaderont plus sur le tissu de mon pyjama…

Puis, ce coquin de Morphée lâcha son étreinte et à mon réveil, l’esthétique avait regagné mon monde. Je réalisais alors que cet art que nous tenons pour acquis n’habitait pas seulement dans les musées ou les bibliothèques. Il était partout autour de nous alors que les créatifs étaient trop souvent la cinquième roue de la calèche économique.

Alors, votre monde, vous le prenez avec ou sans art ?