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D’une monoculture à une économie s’adaptant au nouvel ordre mondial
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D’une monoculture à une économie s’adaptant au nouvel ordre mondial
12 mars 1968. Le moment est solennel. Devant des dizaines de milliers de Mauriciens, le dernier gouverneur britannique, sir John Shaw Rennie, et le Premier ministre d’alors, sir Seewoosagur Ramgoolam, abaissent symboliquement l’Union Jack pour hisser le quadricolore national tout en haut du mât dressé au Champ de Mars.
L’île Maurice devenait indépendante. L’histoire était en marche. Passé l’euphorie nationaliste, il fallait se mettre au travail et bâtir l’économie mauricienne. La mission était colossale. D’autant plus que tous les pronostics étaient contre la jeune nation. D’ailleurs, dès 1961, le futur prix Nobel de l’économie, James Meade, prédisait que le pays était voué au tiers-mondisme et qu’il serait pris dans les mailles infranchissables du piège malthusien auquel sont astreints les petits États insulaires faiblement industrialisés. Mais c’était sous-estimer le génie entrepreneurial mauricien et la capacité des hommes et femmes de bonne volonté à se montrer visionnaires.
C’est ainsi que graduellement, le pays allait se défaire de sa sur-dépendance du secteur sucrier, qui comptait pour 60 % de ses exportations pour s’engager dans un processus de diversification de son économie. Tout commençait par le développement d’une industrie de substitution à l’importation. Peu après, s’inspirant du modèle de la Kaohsiung Export Processing Zone de Taïwan, Maurice jetait les bases pour la création de la zone franche suivant l’adoption de la Loi No 51 de 1970. Et grâce à notre adhésion au Marché Commun Européen en 1973, nous devenions bien vite une force de proposition pour les industriels hongkongais. Parallèlement, le secteur touristique se développait grâce à la vision d’Amédée Maingard qui ouvrit plusieurs hôtels de luxe.
La diversification de la base de l’économie donne rapidement des résultats probants avec le PIB gonflant de Rs 1,01 milliard à Rs 3,06 milliards de 1970 à 1974, selon les données du Central Statistics Office. Quant au revenu par tête d’habitant, il augmentait de Rs 1 446 à Rs 3 952 durant la même période.
Après la période calamiteuse de la fin des années 70 où Maurice subissait tour à tour de plein fouet les effets de la crise pétrolière et du passage des cyclones Gervaise et Claudette qui vont amenuiser nos réserves de change qui, en 1979, couvraient seulement deux semaines d’importations, le gouvernement se retrouve contraint de taper aux portes du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale et de procéder à deux dévaluations de la roupie. En 1980, l’économie mauricienne se contractait de 10,1 % alors que l’inflation atteignait un taux sans précédent de 42 %.
Après ces jours sombres, l’économie redécollait avec vigueur à partir de 1983. L’industrie touristique connaîtra ses plus beaux jours. Et la politique du gouvernement d’actionner le levier de la demande pour relancer l’économie au travers de la détaxe des produits électroménagers et de l’exercice de révision salariale sous le Pay Research Bureau donnera lieu à un boom économique.
En 1992, une autre étape est franchie dans le processus de diversification économique avec la création de l’offshore. L’internationalisation de l’économie mauricienne permettra d’attirer des volumes colossaux de capitaux et viendra renforcer le système bancaire. À ce jour, le stock global d’investissements étrangers négociés via Maurice s’élève à 560 milliards de dollars, dont la moitié est en Inde, selon Capital Economics. En dépit des vents contraires, le secteur financier a su faire preuve de résilience. Il a notamment survécu à la révision de la convention fiscale avec l’Inde et, plus récemment, au terrible choc de l’inclusion du pays sur la liste noire de l’Union européenne.
Quant aux années 2000, elles marqueront notamment la création de la Cybercité avec le démarrage du secteur des Tic-BPO qui, aujourd’hui, contribue autour de 6 % du PIB. Désormais, Maurice est une économie des services pleinement intégrée dans le courant de la mondialisation. Mais, dans ce cheminement, nous avons quelque peu négligé le secteur industriel.
Avec l’arrivée de 2020, l’espoir était grand. Il était notamment question de développer un modèle plus inclusif et plus durable, de positionner le pays dans l’ère du numérique et de consolider la base industrielle. Mais la survenance de la pandémie a tout fait voler en éclats. Rien que pour le tourisme, le manque à gagner résultant de la paralysie de ce secteur se situe autour de Rs 100 milliards. En clair, c’est la robustesse du secteur financier bancaire et non bancaire qui a permis à toute l’économie de ne pas sombrer, de préserver les richesses accumulées ces cinq dernières décennies et d’éviter que nous ne connaissions un sort semblable au Sri Lanka.
Aujourd’hui, alors que les frontières sont à nouveau ouvertes, que l’économie est pleinement fonctionnelle et que nous ne figurons plus sur la liste noire, une nouvelle menace laisse planer un épais nuage sur la reprise de l’économie mauricienne. C’est, bien évidemment, la guerre en Ukraine qui déstabilise déjà les marchés financiers et provoque un emballement des prix des produits pétroliers et des céréales. Étant un importateur net, Maurice ressentira les effets des perturbations sur la scène internationale avec, notamment, le baril du Brent qui flirte avec les 125 dollars. Le comité de politique monétaire, qui se réunit ce mercredi, est dans une posture délicate. Certes, les risques sur la croissance sont réels, mais il est temps d’agir contre l’inflation. Une amorce de resserrement monétaire ne serait pas illogique dans la conjoncture actuelle.
Cette guerre nous donne, par ailleurs, un aperçu de la redistribution des cartes sur le plan géopolitique. Au vu de ses intérêts commerciaux aussi bien avec ses partenaires de l’Occident, de l’Asie que du Moyen-Orient, Maurice devra être habile en gardant sa neutralité. Un nouvel ordre mondial se dessine sous nos yeux. Le couple Amérique-Europe s’est consolidé. Dans le même temps, la Russie, la Chine, l’Inde et les Émirats arabes unis ont confirmé leur proximité. Ce seront les alliés économiques de demain. Ils s’intéressent à Maurice car ils voient certainement en nous un partenaire stratégique leur permettant d’avoir un pied-à-terre dans l’océan Indien tout en se rapprochant de l’Afrique. Comment se positionnera-t-on dans ce nouvel ordre mondial ? La question est sensible car l’antagonisme est fort entre les blocs rivaux.
Cela dit, tout en préservant ses intérêts avec ses alliés économiques de l’Ouest et de l’Est, Maurice ne peut se défausser sur les questions géopolitiques et doit faire preuve de caractère, surtout quand sa souveraineté territoriale est en jeu ou quand il faut prendre position contre la guerre en Ukraine. Ainsi, le gouvernement a raison de rappeler constamment aux Britanniques qu’ils sont tenus de respecter l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice. L’expédition scientifique menée récemment dans l’archipel des Chagos peut être interprétée comme un acte de défiance à l’égard de l’impérialisme britannique, mais toujours est-il que nous agissons dans notre bon droit. De même, Maurice a eu raison de voter la résolution à l’assemblée générale des Nations unies exigeant que la Russie cesse de recourir à la force contre l’Ukraine. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’on coupe les ponts avec les Russes, mais qu’en tant que nation chérissant des valeurs républicaines, on n’est pas prêt à tout cautionner.
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