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Conflit GRA/MTC/MTCSL : Une lutte de pouvoir qui dépasse le cadre hippique

30 avril 2022, 10:54

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Conflit GRA/MTC/MTCSL : Une lutte de pouvoir qui dépasse le cadre hippique

La décision de la mairie de Port-Louis de révoquer tard mercredi après-midi le bail du Mauritius Turf Club (MTC) sur l’hippodrome du Champ-de-Mars a marqué une véritable escalade dans le conflit entre la Gambling Regulatory Authority (GRA) et la Mauritius Turf Club Sports and Leisure Ltd (MTCSL).

Etant l’un des plus vieux hippodromes au monde, le Champ-de-Mars est considéré comme un patrimoine national et la décision de la mairie de résilier le bail du MTC, club vieux de 210 ans, n’a pas manqué de susciter de nombreuses réactions aussi bien parmi le public turfiste que les Mauriciens dans leur ensemble. Cette nouvelle a même eu un retentissement international car elle a été relayée dans la presse réunionnaise et sud-africaine.

La mairie de Port-Louis, qui a agi sous la directive du ministère des Collectivités locales, de la Gestion des catastrophes et des risques, a justifié sa décision unilatérale en expliquant que la MTCSL ne peut pas organiser les courses étant donné qu’elle ne dispose pas d’une licence de «Horse Racing Organiser». Cette décision est, en fait, le dernier épisode d’un feuilleton à rebondissements qui dure depuis quelque temps déjà.

Depuis la semaine dernière, la GRA/HRD (Horse Racing Division) et le MTC/MTCSL se renvoient la balle pour justifier le renvoi de la saison hippique, dont le coup d’envoi aurait dû être donné le samedi 23 avril. Au-delà de l’aspect légal et technique des relations entre le régulateur et l’organisateur, le conflit entre le MTC et la GRA a pour toile de fond une lutte de pouvoir pour contrôler l’organisation des courses à Maurice.

Force est de constater que depuis quelques années, la GRA a réussi à marginaliser et mettre au pas le MTC en lui retirant graduellement ses prérogatives d’organisateur de courses, à travers des amendements savamment apportés à la GRA Act. Le MTC a essayé tant bien que mal de réagir et dès son élection à la présidence l’an dernier, Jean-Michel Giraud s’est érigé en dernier rempart contre les tentatives du régulateur d’empiéter sur les prérogatives du club et parallèlement ses intentions d’avoir la mainmise sur l’organisation des courses à Maurice.

Il n’est un secret pour personne que dès le départ, le profil et le style de Giraud n’ont jamais plu à la GRA et c’est un fait que depuis le retour aux affaires de l’ancien homme fort de la United Basalt Products (UBP) à la tête du MTC, les relations entre la GRA et le MTC, qui semblaient pourtant s’être normalisées sous l’ère de l’ancien président Kamal Taposeea – qui était, à première vue, plus ouvert à une contribution participative de l’Etat dans les affaires hippiques – se sont nettement refroidies.

Giraud, jugé proche du MMM, n’a jamais été tenu en odeur de sainteté par la GRA plus particulièrement par Dev Beekharry, Senior Advisor du Premier ministre sur le board de la GRA, qui l’a toujours eu dans sa ligne de mire.

D’ailleurs, à ce jour, le président du MTC n’a toujours pas obtenu son PML (Personal Management Licence), un document qui lui aurait permis d’assurer sa fonction de président de la compagnie organisatrice des courses, la MTCSL, qui, de par les nouvelles lois votées dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme, est la compagnie publique habilitée à organiser les courses en remplacement du MTC, qui demeure un club privé.

Plusieurs raisons ont été évoquées pour justifier ce refus: documents manquants, ramifications politiques, affaire au CID, entre autres. Malgré tout, Giraud ne s’est pas laissé faire et il a demandé à la cour de trancher sur cette décision à travers une demande de Judicial Review, qu’il a, d’ailleurs, fini par obtenir en février dernier. Pour en revenir à la décision de la mairie de résilier le bail du MTC, on notera qu’elle est survenue après le refus de sa compagnie subsidiaire, la MTCSL, d’accepter certaines conditions relatives à l’obtention de sa licence d’organisateur de courses à la veille du coup d’envoi de la saison vendredi dernier.

La MTCSL a initialement refusé de signer sa demande de licence car elle a estimé que deux conditions sur les vingt-cinq imposées par la GRA étaient anticonstitutionnelles.

Pour la MTCSL, il n’est pas question de céder sa propriété intellectuelle sur les «fixtures» et «racecards» – considérés comme étant ses seules sources de revenus – à la HRD et c’est ainsi qu’elle a logé une affaire en Cour suprême contre la GRA la semaine dernière, réclamant à cette dernière la somme de Rs 7,3 milliards comme indemnités pour un «unconstitutional deprivation» de sa propriété intellectuelle (cette affaire sera entendue le 12 mai prochain).

La deuxième condition sur laquelle la MTCSL a tiqué concerne l’utilisation des équipements et d’autres facilités que l’organisateur doit mettre à la disposition du régulateur pour assurer le bon déroulement des courses. La MTCSL a réclamé un million de roupies comme «retainer fee» alors que la GRA estime que ce service doit être gratuit car aucune mention n’est faite pour un quelconque paiement dans la GRA Act.

Au sein du MTC et dans la classe politique, plus précisément dans les rangs de l’opposition, ils sont nombreux à penser que les manoeuvres de la GRA pour priver le MTC de revenus, trahissent quelque part la volonté du gouvernement de mettre à mal le club bicentenaire pour éventuellement favoriser les desseins du magnat des paris, Jean-Michel Lee Shim, que l’on dit proche du MSM.

Ce sentiment est renforcé par le fait que l’homme d’affaires aurait déjà construit un hippodrome à Petit-Gamin, localité située entre Arsenal et Balaclava dans le nord du pays, et qu’un de ses proches, en l’occurrence Khulwant Ubeeram, a soumis récemment une proposition à la GRA pour l’organisation des courses à travers la société People’s Turf Plc Ltd.

Du côté de la GRA, tout en maintenant une volonté d’explorer toutes les avenues possibles pour assurer l’avenir des courses, on ne manque pas de fustiger «l’arrogance» et «l’obsession de défier l’autorité» de la MTCSL.

Dev Bheekary a longtemps reproché à JeanMichel Giraud d’avoir un «agenda politique» et la fuite dans «une section de la presse» et sur les réseaux sociaux, à la fin de l’année dernière, des courriels envoyés par un membre du management du MTC à des membres de l’opposition pour des questions au Parlement, l’a quelque part conforté dans son opinion.

Du coup, il ne peut s’empêcher de douter continuellement de la bonne foi de la MTCSL et il persiste, désormais, à penser que contrairement à ce qu’on aurait fait croire, la MTCSL n’était pas disposée à débuter la saison le samedi 23 avril. Il s’est, d’ailleurs, interrogé sur le «timing» de la décision de la MTCSL de contester les conditions de sa licence alors que les amendements à la GRA Act avaient été promulgués le 21 janvier 2022.

Dans une déclaration à la radio, jeudi, Dev Bheekary est revenu à la charge en posant certaines questions: «Qui a fait la politique dans cette affaire ? Est-ce que la MTCSL avait pris toutes les dispositions pour organiser les courses le 23 avril ?». Avant d’affirmer que «la MTCSL n’avait contacté ni la police, ni la MBC et ni les partenaires du betting en Afrique du Sud et en Australie».

Dans ce climat de méfiance, la cohabitation s’avère finalement très difficile entre les deux partenaires de l’industrie hippique, et malheureusement ce sont les propriétaires de chevaux, les entraîneurs, les turfistes et surtout les 330 employés du MTC/ MTCSL qui en pâtissent.

Ces employés ont eu un choc jeudi quand la direction de la MTCSL leur a informé que la compagnie ne sera pas en mesure de payer les salaires pour le mois d’avril . Il faut également faire ressortir que pas moins de 2 000 à 2 500 emplois directs et indirects sont menacés après l’éviction du MTC du Champ-de-Mars.

Comme quoi, l’adage «Quand deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui en souffre» est plus que jamais d’actualité.