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Au bord du précipice
À peine onze semaines après avoir maintenu la note souveraine du pays à Baa2 avec une perspective négative, Moody’s a actionné le couperet jeudi dernier en annonçant la rétrogradation de notre cote à Baa3. Une décision qui a pris tout le monde au dépourvu, que ce soit les opérateurs et les pouvoirs publics, et qui n’a pas manqué de provoquer un vent de panique sur la place financière. Ainsi, lors de la séance boursière de vendredi dernier, l’action MCB Group perdait 3,41 % alors que celle de SBM Holdings chutait de 1,10 %. Or, le fait que la notation des principales banques du pays, le Groupe MCB, SBM Holdings et Absa, est resté inchangée devrait faire apaiser la tension sur le marché boursier.
Si la sanction de Moody’s a pris le monde de la finance de court, c’est parce que, quoique élevée, la dette publique est en recul. À 92,1 % en juin 2021, elle était calculée à 86,4 % en juin 2022. Un taux qui n’est pas tellement éloigné de la nouvelle cote d’alerte du Fonds monétaire international (FMI) qui est révisée à 80 %. Donc, l’empressement de l’agence de notation de sévir contre Maurice et d’abaisser sa note à seulement un cran au-dessus de la note Ba1, qui signifierait que les obligations d’État seraient alors considérées comme étant spéculatives (junk bonds), n’est que partiellement liée à l’état des finances publiques. D’ailleurs, justifiant sa décision, Moody’s explique que celle-ci est motivée par l’affaiblissement de la qualité et de l’efficacité des institutions et de l’élaboration des politiques. Ce sont là des facteurs clés qui entravent la résilience économique du pays et sa capacité à absorber les futurs chocs économiques.
Un message lourd de sens et qui appelle à des interrogations légitimes. Qu’est-ce qui s’est passé depuis le 12 mai (date de la précédente évaluation sur la cote de crédit du pays) pour que Moody’s juge que les institutions du pays se soient tellement affaiblies au point d’affecter les fondamentaux économiques ? Là, il est important de souligner que le débat sur la nécessité que les pouvoirs publics reviennent à des politiques plus conventionnelles et dissocient la politique fiscale et la politique monétaire n’est pas nouveau. Le FMI n’a eu de cesse de mettre le gouvernement devant ses responsabilités sur la question. Donc, faut-il voir plus loin ? Faut-il comprendre par là que le risque politique, un facteur essentiel que les investisseurs prennent en considération avant d’investir dans un pays, est tout à coup apparu aux yeux des techniciens de Moody’s comme une véritable préoccupation ? En évoquant l’efficacité des institutions est-ce que l’agence se réfère beaucoup plus au fonctionnement des instances législatives et exécutives ? En fin de compte est-ce que la mauvaise presse que le pays a eue avec l’affaire nébuleuse de capture des données au profit d’une puissance étrangère dont on essaie toujours de démêler l’écheveau n’est pas la vraie raison qui l’a emporté sur la décision de l’agence ? Il y a de fortes raisons que ce soit le cas.
En procédant au déclassement de la dette souveraine du pays, l’agence de notation nous envoie un avertissement : il faut mettre bon ordre dans les finances publiques et ramener la dette publique sous le seuil de 70 % du PIB à fin juin 2023, insiste Moody’s. De même, le Trésor public ne peut plus puiser allègrement dans les réserves de change de la Banque de Maurice pour financer la politique budgétaire. Toutefois, alors qu’on reconstruit l’économie, il est primordial que le gouvernement se ressaisisse. Bien entendu, Moody’s ne dit pas précisément ce qu’elle reproche au gouvernement. Mais il apparaît évident que l’agence s’alarme du fait que le risque politique du pays est devenu plus élevé et que ce facteur non négligeable pourrait sérieusement nuire à la résilience économique.
Les analystes diront que quand il y a trop de distractions politiques, c’est néfaste pour les affaires. C’est donc au gouvernement d’agir. Le processus d’assainissement des finances publiques est déjà en cours avec les autorités formulant des objectifs à moyen terme pour ramener la dette publique à un taux raisonnable, accroître les réserves internationales de sorte qu’elles couvrent 22 à 24 mois d’importations et atteindre un niveau de croissance soutenable de 5 % par an, note l’agence internationale.
La prochaine étape sera de rendre sa pleine indépendance à la Banque de Maurice. Et l’ultime étape sera de reconstruire la crédibilité de l’État. Il s’agira d’agir vite avant la prochaine évaluation de Moody’s. Un autre déclassement serait hautement préjudiciable pour le secteur financier bancaire et non bancaire. L’on est au bord du précipice, même si l’on se trouve dans une position jugée stable. Il faut savoir que la note souveraine sert de référent pour toutes les autres notes de crédit, que ce soit celles des banques, des entreprises ou des PME. Si celle-ci est considérée comme étant de nature spéculative, il y aura une augmentation des primes de risque dans la mesure où les risques de défaut de paiement seront considérés comme étant plus élevés. Donc, les coûts pour lever des capitaux et faire des affaires vont augmenter crescendo. Ce n’est pas tout : nombre de fonds de pension pourraient déserter notre juridiction car c’est contraire à leur politique d’investissement de se tourner vers un centre financier ayant le statut de «junk». Pour le moment, Maurice est le seul centre financier à l’échelle de l’Afrique qui a conservé son Investment grade. Les six autres centres financiers de la région, à savoir, Casablanca, Cape Town, Johannesburg, Nairobi, Kigali et Laos, ont déjà été clouées au pilori par Moody’s. Quant au Botswana, le seul pays africain à conserver son Investment grade, il n’est pas un IFC. Dans cet océan de mauvaises nouvelles, c’est la seule consolation à laquelle on peut s’accrocher.
Cela ne doit pas nous faire oublier qu’un tsunami financier nous guette si les mesures correctives appropriées ne sont pas prises pour rétablir notre réputation. Après tant d’efforts pour sortir de la liste noire de l’Union européenne, c’est tout le secteur financier qui risque de se retrouver à nouveau à la case départ.
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