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Extrême vulnérabilité
Le 26 décembre 2004, un séisme sous-marin sans pareil dans l’histoire de l’humanité d’une magnitude de 9,1 sur l’échelle de Richter, frappe les côtes du Sumatra. Dans les heures qui suivent, des vagues géantes atteignant jusqu’à 9 mètres, voire plus, traversent l’océan Indien. Situé à plus de 5 000 kilomètres de l’épicentre, Maurice est épargné par cette catastrophe. Mais, plus près de chez nous, aux Maldives, l’on compte plus d’une centaine de morts. Au total, plus de 230 000 personnes dans 14 pays ont perdu la vie ce jour-là.
Deux semaines après cette catastrophe naturelle, Maurice accueillait la deuxième Conférence des petits États insulaires en développement (PEID), organisée sous l’égide des Nations unies. Pour la première fois, la grande vulnérabilité des PEID face aux événements climatiques extrêmes est mise à nu. Ceux-ci sont amplifiés par la crise climatique, dont l’une des principales conséquences est l’élévation du niveau de la mer. Un cocktail explosif qui fait peser une menace constante sur les États insulaires de l’océan Indien, de l’océan Pacifique, des Caraïbes, de l’Atlantique du Nord-Est et de la Méditerranée, où vivent plus de 680 millions d’âmes.
La Conférence de 2005 a donné lieu à la Déclaration de Maurice, adoptée par les 2 000 délégués présents au centre de conférences Swami Vivekananda. Depuis, des systèmes d’alerte rapide ont été mis en place pour anticiper d’éventuelles secousses sismiques. À ce niveau, il y a eu certes des avancées, mais, entre-temps, le réchauffement climatique résultant de l’activité humaine n’a fait que s’accélérer.
Dans le cas de Maurice, le changement climatique a eu un double impact sur la pluviométrie. Le premier effet se rapporte au volume des précipitations qui, année après année, diminue comme une peau de chagrin. Car les périodes sèches s’allongent. Si bien que depuis une dizaine d’années, l’UN-Water catégorise Maurice comme un pays soumis au stress hydrique (water-stressed country). Techniquement, cela implique que notre approvisionnement en eau est inférieur à 1 700 mètres cubes par tête d’habitant. Si les saisons humides continuent à se raccourcir, l’on pourrait, dans un proche avenir, reculer de nouveau d’un cran et devenir un État pauvre en eau (water-scarce country), avec l’approvisionnement en ressources hydriques passant sous la barre des 1 000 mètres cubes. Le début de sécheresse qu’on a connu avec le niveau de remplissage des réservoirs chutant dramatiquement autour de 32 % à la mi-janvier avant de grimper à 58 % suite aux pluies torrentielles de la semaine dernière est révélateur de ce phénomène de raccourcissement des saisons pluvieuses.
«Les trombes d’eau qui se sont abattues sur l’île vendredi dernier nous rappellent que nous sommes sujets à des conditions climatiques imprévisibles et qu’il est temps de passer de la parole aux actes»
Une situation inquiétante à plus d’un titre car l’assèchement des réservoirs, des nappes phréatiques et des aquifères pose non seulement un problème sanitaire, mais encore, il impacte lourdement l’activité économique. Une étude menée par le chercheur Virendra Proag en 2006 révélait qu’à l’époque, nous avions besoin de 440 millions de mètres cubes d’eau dans l’agriculture et de 160 millions de mètres cubes pour l’usage domestique, l’hôtellerie et le secteur industriel.
Si l’agriculture pèse moins dans le poids de la richesse nationale, par contre, la pénurie d’eau pourrait, à long terme, avoir une incidence sur la qualité de service dans le secteur touristique, qui contribue directement et indirectement autour de 23 % du PIB. Clairement, plus on accueillera de touristes, plus cela mettra un stress sur l’approvisionnement en eau.
Conscients de la nécessité d’approvisionner les touristes de façon ininterrompue, plusieurs hôtels appartenant à Beachcomber et Lux, notamment, se sont tournés vers le dessalement. C’est le cas de Lux Le Morne qui a investi dans deux unités de dessalement ayant une capacité de production de 250 000 litres par jour. L’eau de mer est puisée depuis un forage de 40 mètres de profondeur avec l’aide d’une pompe avant d’être traitée via le processus d’osmose inverse. Ce procédé est onéreux : le coût de production est de Rs 38,75 le mètre cube alors que les services publics dépensent Rs 13 par mètre cube pour le traitement et l’assainissement de l’eau potable. Mais quand on opère dans une industrie où l’on doit privilégier l’excellence à tous les niveaux afin de satisfaire le client sous peine de le voir migrer vers des destinations concurrentes comme les Maldives et les Seychelles, l’on n’a d’autre choix que d’investir. Pour la direction de l’hôtel, le dessalement est une solution plus pérenne que de se tourner vers les camions-citernes. Sachant qu’en période de sécheresse, il faut au moins huit camions-citernes de 25 mètres cubes chacun au prix de Rs 250 par mètre cube.
Si la diminution des précipitations met une pression folle sur les ressources hydriques, par contre, depuis ces 15 dernières années, le changement climatique donne lieu épisodiquement à des phénomènes météorologiques extrêmes. L’on se rappellera le flash flood de mars 2008 et du drame de Mon Goût ou encore des crues soudaines de mars 2013 (152 mm de pluies avaient été enregistrées en l’espace de trois heures), ayant causé la fin tragique de 12 personnes, dont six dans le tunnel du Caudan.
Les trombes d’eau qui se sont abattues sur l’île vendredi dernier nous rappellent que nous sommes sujets à ces conditions climatiques imprévisibles et qu’il est temps de passer de la parole aux actes. On le sait, notre sale habitude de tout bétonner jusqu’à faire disparaître les drains favorise la montée des eaux quand il y a des pluies diluviennes.
L’aveu du Chairman de la Drain Infrastructure Construction selon lequel les drains ne sont pas adaptés et que c’est maintenant qu’on va planifier la construction de structures plus adéquates pour répondre aux besoins du pays pour les 60 prochaines années est pour le moins inquiétant. Qu’a-t-on fait depuis 2008 ? Une question qui s’adresse aussi bien aux gouvernants actuels qu’à l’ancien régime.
La prochaine étape, on la connaît : il s’agit de construire des structures mieux adaptées aux conditions climatiques extrêmes, comme des murs contre les inondations et des digues ou encore déplacer certaines infrastructures des zones inondables, dont on attend toujours la cartographie.
Le coût de ces solutions d’adaptation est également connu : c’est environ 4,5 milliards de dollars jusqu’en 2030, soit 70 % des Contributions déterminées au niveau national pour permettre au pays de mieux lutter contre le changement climatique.
Grosso modo, les investissements dans les solutions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique représenteront l’équivalent d’environ 6 % du PIB. Mais c’est une nécessité absolue. Il y va de notre résilience sociale et économique.
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