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Dette publique: entre obsession et crainte

12 avril 2023, 06:00

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À l’approche de l’échéance budgétaire, économistes et spécialistes de la finance auront les yeux braqués sur au moins un paramètre économique. Et non pas un des moindres, car il s’agit de la dette publique du pays. Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, aura-t-il une marge de manœuvre suffisamment grande pour équilibrer l’état financier de la nation et ne pas faire exploser la dette publique ?

Hier, comme aujourd’hui et probablement encore demain, l’endettement public d’un État reste un indicateur privilégié pour cerner ses finances publiques et sa capacité financière à relever les défis économiques à moyen et à long termes. Les économistes diront, pour schématiser, qu’un endettement public élevé est susceptible de freiner les investissements privés, accroître la pression budgétaire, réduire les dépenses sociales et limiter les capacités d’un gouvernement à mettre en œuvre des réformes.

Entendons-nous toutefois ; la dette publique, comme un instrument-clé de la politique économique d’un pays, est souvent galvaudée dans son utilisation, trop politisée, devenant au fil des années la thématique préférée des politiciens de l’opposition pour interpeller la population, en rappelant à tort ou à raison le poids de cette dette sur les épaules de chaque individu.

Qu’on ne se trompe pas. La dette publique, au-delà de la sphère économique, s’intègre plus dans l’espace public, porté dans le discours social et politique des principaux stakeholders du pays. Car sa progression démesurée enregistrée au sein d’un État peut soulever des passions et de violentes critiques comme elle peut aussi relever d’une logique économique.

À Maurice, le dernier rapport de l’Audit est venu mettre en exergue la progression de la dette publique et pointer du doigt le Trésor public pour sa gestion. En quatre ans, la dette publique a augmenté de Rs 150 milliards – de Rs 300 milliards en 2018 à presque Rs 450 milliards en 2022. Entre-temps, elle s’est détériorée pour atteindre Rs 475 milliards à la fin de l’année dernière, plus 84 % du PIB. Encore que le dernier chiffre pourrait prendre l’ascenseur sur la base des dernières données compilées par le ministère des Finances pour le mois de mars 2023. Sans compter l’effet de l’appréciation du dollar sur la dette étrangère estimée à la même période à plus de Rs 111 milliards, presque 20 % de la totalité de la dette publique.

À plus de 84 % du PIB officiellement aujourd’hui et excluant la multiplication des SPV (Special Purpose Vehicles), pour exécuter certaines transactions hors du budget, la dette publique, estiment les spécialistes, a dû dépasser largement les 100 % du PIB. Or, c’est là toute la problématique de la dette publique. Quel est le taux accepté et toléré par les institutions financières internationales ? La Public Debt Management de 2008 avait défini un plafond de 65 %, ce qui n’a jamais été respecté par tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir ces dernières années, lequel taux avait été d’ailleurs abrogé dans le sillage de la crise pandémique en 2020. Cependant, l’année dernière, le ministre Padayachy a fixé l’objectif de ramener ce taux à 80 % du PIB à plus brève échéance.

Niveau d’endettement

Si une dette publique plus élevée peut contribuer à promouvoir une croissance économique d’une manière plus conséquente au fil des années, ce n’est pas en soi une mauvaise chose, soutient l’expert financier, Imrith Ramtohul. Car il ne faut pas oublier «qu’une forte croissance économique peut naturellement se traduire par des recettes fiscales plus élevées, d’où l’idée d’investir dans des projets productifs».

Mais l’autre pendant de cette réflexion l’amène à préciser qu’une étude conjointe des économistes Ken Rogoff et Carmen Reinhart, en 2010, a démontré sur la base de preuves empiriques qu’une dette brute dépassant 90 % du PIB devrait impacter négativement la croissance économique. Du coup, il pense qu’avec une dette publique supérieure à 80 % du PIB aujourd’hui, des mesures correctives s’imposent pour augmenter le PIB ou, à défaut, savoir contrôler le niveau d’endettement public. «On ne peut infiniment mettre tout sur le dos du Covid», insiste Imrith Ramtohul.

L’économiste Pierre Dinan pousse la réflexion plus loin. S’il est d’accord pour affirmer qu’une dette publique s’approchant de 100 % du PIB est certes inquiétante, en revanche, si le niveau d’endettement est en hausse, vu que pays est dans un processus de renforcement de ses ressources économiques (nouvelles industries ou renouveau d’industries existantes), il ne faut pas crier au loup, dit-il. «Attendons voir les résultats des investissements nouveaux résultant d’emprunts additionnels. L’austérité pratiquée sans la recherche d’alternatives à ce qui ne va pas est une perte de temps, ce n’est pas une politique soutenable à terme.»

Toutefois, l’économiste soutient que si la dette publique s’enfle pour le financement de travaux publics coûteux qui sont certes beaux à voir (routes nouvelles, infrastructures sportives…) ou/et pour l’octroi de cadeaux et de prébendes à des catégories bien ciblées de citoyens (pensions universelles, logements sociaux…), il faut se demander «si le pays a les moyens d’offrir ces cadeaux à des électeurs dont le nombre, relativement grand, est susceptible de faire pencher la balance électorale aux généreux prometteurs».

Si, officiellement et statistiquement parlant, ce cap n’a pas été franchi, faut-il pour autant s’y résigner comme une fatalité et dire que les carottes sont déjà cuites aux yeux des institutions financières comme Moody’s, qui a déjà dégradé la note souveraine de Maurice de Baa2 à Baa3 et qui pourrait baisser d’un cran lors d’une prochaine notation.

Sans doute, personne ne souhaite que Maurice devienne la Grèce et subisse une crise de la dette publique, telle qu’elle l’a connue en 2008 dans le sillage de la crise financière. Cela, pour deux raisons : elle fait craindre aux investisseurs la capacité du pays à rembourser sa dette publique et le poids du service de la dette qui a atteint, en juin 2022, Rs 128 milliards. Il était de presque Rs 22 milliards en 2018. Une hausse spectaculaire qui fait tiquer.

Sujet de polémique

Aujourd’hui, la dette publique demeure un sujet de polémique et divise les décideurs économiques. Faut-il s’endetter à coups de milliards pour financer le développement d’un pays ou doivent-ils, au nom d’une doxa économique, fixer un cap pour freiner la progression de la dette publique ? Il va de soi qu’il n’y a pas forcément de réponse claire et nette face à cette problématique de la dette publique, sauf le bon sens et la logique qui dictent souvent la prise de certaines décisions rationnelles.

À l’international, aujourd’hui, la proportion de la dette dans la stratégie de développement de certains États peut choquer plus d’un et vient accréditer la thèse défendue par certains spécialistes, qui prônent sans complexe le recours à la dette pour investir dans des projets infrastructurels afin de produire des avantages comparatifs et se démarquer des compétiteurs.

C’est le cas de la dette américaine qui a bondi en 20 ans, multipliant le montant par six, tout comme d’ailleurs la Grande-Bretagne, alors que le Japon gère de son côté une dette publique qui a dépassé largement les 200 % du PIB depuis plusieurs années. On peut, dans la foulée, constater que dans les économies développées, la dette publique représentait en 2021 autour de 120 % du PIB en moyenne, un ratio deux fois plus élevé que dans les pays émergents.

Doit-on alors en faire une obsession dans le cas de Maurice si on a dépassé le seuil critique ? Pierre Dinan est catégorique : la petite économie de Maurice ne peut guère se comparer à celle des pays développés, notamment d’Europe, d’Asie et du Nouveau monde. «Ne nous croyons pas en mesure de jouer dans la cour des grands. Mais en même temps, nous avons la capacité et la possibilité de bien gérer notre économie, si nous sommes pleinement conscients de ses limites et que nous nous appliquons à la gérer de manière rationnelle. Apprenons à marcher avant de nous mettre à courir.»

Le PIB, ajoute-t-il, est constitué des montants qui rémunèrent ses facteurs de production, comme les salaires perçus par la main d’œuvre et les gestionnaires ou encore les loyers engrangés pour la mise à disposition d’outils de production. Ainsi, si le poids de la dette gonfle d’année en année, son volume augmente plus vite que les différentes composantes du PIB.

Du coup, l’économiste estime qu’il est légitime de s’interroger sur l’utilisation des emprunts additionnels contractés chaque année. «Si la cause principale vient d’une consolidation des ressources économiques en vue d’une amélioration de l’outil de production des différentes industries présentes dans le pays, il y a de l’espoir et l’on est sur la bonne voie. Par contre, si la hausse du PIB est accompagnée d’une baisse répétitive du taux d’épargne, on est sur la mauvaise voie. Tout le monde sait que la consommation mauricienne a un effet direct sur les importations ainsi que la dégradation de la balance commerciale et celle des paiements extérieurs.»

Pressions des crises économiques

D’une manière générale et aussi étrange que cela puisse paraître, les pays riches demeurent visiblement les plus endettés, sans doute pour plusieurs raisons. D’abord, les crises économiques des dernières décennies qui ont contraint des États à travers le monde à bail out des entreprises et des ménages en injectant des fonds puisés des emprunts. Qui n’a pas entendu le ministre des Finances répéter à plusieurs reprises que face à l’ampleur du choc du Covid, Maurice a mis un tiers du PIB mauricien dans le soutien de l’économie.

D’ailleurs, selon le FMI, la crise financière de 2008 couplée à celle du Covid-19 ont doublé la dette publique dans le PIB mondial, entre 2007 et 2020. Ce qui fait dire à des observateurs, qu’aujourd’hui, ce sont les crises économiques, et non les guerres, qui justifient le recours aux emprunts massifs et que la réponse à la crise incite les gouvernements à privilégier les dépenses publiques à l’austérité.

Si l’échéance électorale suivra celle du Budget, faut-il s’attendre à ce que le Trésor public poursuivre avec sa stratégie «du quoiqu’il en coûte» en sachant qu’en dehors des considérations politiques partisanes, aucun Mauricien ne souhaite voir le pays s’enfoncer dans une crise de la dette publique.