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Le problème, c’est la presse !
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Le problème, c’est la presse !
Bien sûr ! Car sans sa presse libre, un pays ne saurait jamais qu’il patauge dans l’incompétence, la corruption et des abus de toutes sortes ; et il s’en porterait donc, inévitablement, bien mieux ! Le pays aurait ainsi le moral bien plus haut qu’aujourd’hui. Et baignerait allègrement dans une euphorie quasi permanente de «feel good», qui assurerait, du moins pour un temps, notre bonheur à tous, quand ce ne serait pas surtout celui de nos princes ! Bien sûr !
Car ce n’est pas le facteur qui est responsable de ce qu’il y a dans le colis, mais bien celui qui s’est évertué à lui constituer un contenu ! La logique alternative est saugrenue et ne peut qu’émaner de ceux qui souhaitent se dédouaner de la réalité encombrante, dont ils sont eux-mêmes fréquemment responsables !
La presse partisane est une presse de propagande et souffre donc de strabisme. La presse libre, par contre, n’invente rien et a le regard clair. À la recherche de la réalité nue, elle montre ce que les décisionnaires, qui ont clairement des comptes à rendre, SONT et ce qu’ils FONT, ce qui n’est pas toujours ragoutant. Même si elle ne peut prétendre être infaillible, cette presse est de bonne foi dans sa recherche des faits et de la vérité et elle protège l’intérêt public. Si, pour avoir le bonheur d’être catalogué de ‘patriotique’ par le Premier ministre, no less, il fallait systématiquement tordre le cou à ce qui est gênant pour les autorités princières qui nous dirigent, la presse libre de ce pays perdrait toute crédibilité vis-à-vis de l’opinion publique et serait clairement dépouillée de sa raison d’être.
Shenaz Patel énumère, dans le Week End de dimanche dernier, une abondance d’exemples pour illustrer le problème qui nous occupe ici. Elle a raison. Maniant l’ironie avec dextérité, elle fait le point que ce n’est pas la faute de la presse si un sentiment de peur s’est installé dans la population et que l’on se méfie désormais même de son facteur. Mais il y a aussi un autre angle sous lequel il faut soupeser le rôle de la presse libre, car, sans elle, l’opinion publique aurait dû se contenter de la seule version officielle, c.-à-d, une version largement aseptisée qui convient aux princes.
De cette manière-là, les citoyens en seraient encore à croire que la police ne torture aucun de ses ‘clients’ pour transformer leur soupçon en aveu, qu’elle n’a jamais battu Kaya en prison, qu’elle n’a jamais piégé personne qui était dans son viseur ou que l’on a délibérément, de lao, installé sur son radar. Sans presse libre et l’esprit fouineur du journaliste de l’express, Narain, on en serait encore à gober la théorie du suicide de Kistnen, retrouvé carbonisé dans un champ de canne. Sans presse libre, on ne saurait même pas que le rapport sur les 11 dialysés morts, souvent de négligence coupable, à l’hôpital de Souillac avait été publié, mais restait cadenassé et elle n’aurait pas pu apporter son appui pour que ce rapport soit rendu public pour ainsi rendre justice aux familles éplorées. Sans presse libre, où iraient les whistle blowers pour dénoncer le scandale du Molnupiravir, celui de Pack n Blister, celui de la carte platine de la présidente ou celui de Tous sali ? Où ? Sans presse libre, sans l’express encore dans ce cas, qui aurait su que Franklin avait été condamné à de la prison ferme à la Réunion, avec mandat d’arrêt en date du 13 juin 2019 ? ce qui décidait, au bout du compte, nos autorités locales à se décarcasser vers l’inévitable qui avait été longtemps… évité ! Sans presse libre, qui penserait que la police use et abuse de charges provisoires qui permettent de ‘mettre au frais’ des citoyens pendant des mois, voire des années, sans aucune conclusion fiable de leur dossier ou que notre port est 327e au monde ? Sans presse libre, serait-on aussi bien informé du Parlement qui refuse des questions, qui ne répond pas à d’autres et qui congédie ceux qui sont trop inquisitifs ou jugés trop impertinents ?
Sans presse libre, comment mettraiton d’ailleurs en perspective la performance de notre speaker au Parlement, comment pourrait-on souligner et amplifier les fautes et les abus grossiers relevés par l’Auditeur du gouvernement, dans l’espoir que l’argent public soit mieux respecté, comment entendrions-nous parler d’Angus Road, des poules qui ne pondent pas le dimanche, des comptes de clinique impayés de ministres, des talents tellement recherchés de Madame Boygah qu’un conseil d’administration entier a dû être évacué pour lui faire de la place… ? Par Tik Tok, YouTube ou Facebook, cela suffira-t-il ? Sans commentaires ? Sans mises en perspective ? Que vaudrait une conférence de presse… sans presse ?
Sur cette toile de fond, les autorités gouvernementales choisiraient peutêtre maintenant de visionner tant leurs adversaires que la presse à travers le prisme, ô combien déformant, de la sédition, cousine germaine du crime de lèse-majesté… Le doute est permis puisque dans sa déclaration au Parlement, le PM cite le CP’s order No 1 du 3 août 2022, qui décrit les attributions de la Special Striking Team comme incluant, outre des actions concertées contre le trafic et les trafiquants de drogues, le besoin de «(iii) Support Police, Divisional and CCID in the arrest… of persons wanted… in other offences likely to cause disaffection / hostility among the population», ce qui rappelle directement le paragraphe 283 de notre Code pénal qui traitait à l’époque de ‘sédition’ pour protéger le pouvoir colonial et qui malgré des révisions en 1993, en 1999 et 2008 prévoit toujours que «Any Person who… holds or brings into hatred or contempt or excites disaffection (tiens !) towards the Government… raises discontent or disaffection (tiens !) among the citizens of Mauritius… shall commit the offense of sedition…», même s’il est vrai que la sous-section (2) précise toutefois qu’il n’y a pas sédition si la personne interpellée «intended merely to express disapprobation of the Government with a view to obtain their alteration by lawfulmeans – ou si cette même personne souhaitait –«express disapprobation of the measures of the administration or other action of the government without exciting or attempting to excite hatred, contempt or disaffection (tiens !)».
Ça vous rassure tout ça ? Moi pas du tout ! Est-ce que je viens d’«attempt to excite… contempt or disaffection», par hasard ? Par exemple ? Qui sait ?
***
Ce gouvernement a un bilan qui pourrait valablement, en circonstance normale, le mener aux élections générales : salaire minimum, pensions et CSG, petits cadeaux de Rs 1 000, Rs 2 000, Rs 20 000, un métro qui a fière allure, des travaux importants de décongestion routière, une gestion de la pandémie de Covid qui pourrait se défendre. Son drame, c’est qu’en parallèle, il y a une presse libre qui, faisant son travail d’information, comme ne le fait pas la MBC, rapporte aussi pléthore de scandales, tout en creusant derrière tout, y compris les bonnes nouvelles.
Exemples. La ‘bonne nouvelle’ que le gouvernement s’acharne contre les trafiquants de drogue et a saisi pour Rs 13,7 milliards de drogues depuis 2015 s’achoppe, entre autres, sur l’étonnant cas Franklin, les charges provisoires qui ne se matérialisent pas (ex : Kistnah, arrêté depuis 2017(*) et dont le dossier n’est pas encore chez le DPP) et les accusations de planting de plus en plus fréquentes. Les bontés gouvernementales sur la CSG font semblant qu’il n’y a aucune bombe à retardement de financement devant nous avec le vieillissement de la population et des contributions CSG insuffisantes. Ils n’ont d’ailleurs toujours pas publié de projections financières éclairantes sur ce sujet ! Les petits cadeaux de Rs 1 000 ou Rs 2 000 aux salariés n’auraient pas été nécessaires si nous avions de l’inflation à un taux seychellois (**) et une roupie plus forte. Pour cela, il aurait fallu avoir ouvert le pays aux touristes bien plus tôt, comme nos voisins et exporter plus !
«Sans presse libre et l’esprit fouineur du journaliste de l’express, Narain, on en serait encore à gober la théorie du suicide de Kistnen, retrouvé carbonisé dans un champ de canne»
Quant aux scandales récurrents, les municipales renvoyées, le Parlement dévoyé, tout cela aurait dû laminer le bilan d’un gouvernement qui ne semble pourtant pas trop s’en faire, sauf pour le rôle de la presse-facteur, qui ne transmet pourtant que la réalité.
Pourquoi tirer sur le facteur ? Les mauvaises nouvelles ne sont pas de lui !
(*) https://lexpress.mu/article/421288/ rs-2-milliards-dheroine-saisies-en-mars-2017 -kistnah-detenu-en-cellule-policiere (**)https://www.bloomberg.com/news/ articles/2023-03-22/with-africa-s-lowestinflation-seychelles-is-set-to-holdrates - xj4y7vzkg
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