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Éclairage

Budget 2024-2025 : En attendant le service après-vente

12 juin 2024, 09:02

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Budget 2024-2025 : En attendant le service après-vente

Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un Budget ait l’adhésion totale d’une population. Cela n’a jamais été le cas à Maurice comme ailleurs à l’étranger, aujourd’hui comme hier, et forcément demain. Car les intérêts des uns et des autres au sein d’une société sont nécessairement divergents et difficilement réconciliables.

Ce qui fait qu’un retraité peut facilement trouver, dans l’ultime Budget de Renganaden Padayachy, une source de satisfaction dans la perspective d’une pension universelle de Rs 15 000 en janvier 2025, alors qu’un jeune professionnel, lui, se voit obligé d’émigrer face à l’absence de mesures sérieuses pour le retenir. Il suffit de savoir où on place le curseur.

Le ministre des Finances peut récuser le terme populiste, ou électoraliste, associé à son dernier Budget depuis sa présentation vendredi, mais il ne pourra pas faire réfléchir autrement la population. Il faut être naïf pour ne pas comprendre que le tandem Jugnauth-Padayachy a voulu casser la baraque avec autant de mesures de protection sociale.

Dans l’imaginaire collectif de la population, personne n’a le souvenir d’avoir vu autant d’annonces dans un seul Budget ces dernières années. Évidemment, l’exercice était hautement périlleux face à l’imminence de l’échéance électorale : soit il passe, l’opération de séduction ayant pu amadouer différentes composantes de la population, soit il casse, avec des conséquences facilement imaginables pour le pouvoir en place, ayant mis la barre très haut et en faisant «du principe de distribution son mantra».

L’euphorie des premières heures passée, suivant la présentation du Budget 2024-25 vendredi, on a eu droit au décryptage coutumier des économistes sur les mesures annoncées, les dotations budgétaires ou encore des estimations des revenus et des dépenses, couplées aux analyses froides des firmes d’experts-comptables. Or, du moins ce qu’on peut dire, des détails ont commencé à émerger et ils peuvent pousser les uns et les autres à revoir leur grille de lecture.

Arvin Boolell a certainement raison dans sa première prise de parole en tant que leader de l’opposition à l’Assemblée nationale, mardi, dans sa réplique au dernier Budget de Renganaden Padayachy. À sa manière, il veut faire comprendre au ministre, comme au gouvernement de Pravind Jugnauth, qu’ils doivent faire preuve d’humilité en ne servant pas de superlatifs pour qualifier un Budget lourdement marqué par le social alors que c’est l’argent des contribuables qui est utilisé pour le financer. «The worse misdeed of this government is to hide from the whole population that essentially all the measures they have announced come from our money as derived from four sources – debt, tax, depreciation and inflation», dit-il. Une vérité qui ne souffre d’aucune contestation, mais qui mérite d’être davantage soulignée pour bien comprendre la philosophie budgétaire de ce gouvernement depuis qu’il s’est installé au pouvoir en 2014.

Un Budget est avant tout un exercice d’équilibrage où les impératifs économiques doivent être réconciliés avec les exigences sociales. Ainsi, il n’est pas interdit de penser que, comme dans toutes les démocraties du monde, qu’au-delà de ce son rôle comptable de la gestion financière d’un gouvernement, un Budget est avant tout un puissant instrument de redistribution des revenus et un accélérateur d’ascenseur social. Du coup, on peut comprendre la démarche d’un gouvernement d’aider les économiquement faibles à grimper l’échelle sociale, à condition qu’elle se fasse dans la responsabilité, la transparence et sans aucune arrière-pensée électoraliste.

Or, l’exercice budgétaire du 7 juin montre clairement que les bénéfices sociaux explosent et coûteront à l’État quelque Rs 85 milliards au terme de l’année fiscale 2024/25. Ce qui engloutit plus d’un tiers de ses dépenses courantes estimées à Rs 237 milliards. Et quand on y ajoute deux autres ministères à caractère social, nommément la Santé (Rs 17,7 milliards) et l’Éducation (Rs 21,6 milliards), c’est plus de 52 % des dépenses courantes, représentant un poids financier non-négligeable pour l’État providence, sous les risques d’une implosion dans les années à venir si le Budget de la sécu poursuit sa courbe ascendante et si aucune mesure n’est prise pour réduire le train de vie de l’État.

Face à ces dépenses courantes, le Trésor public joue le clavier fiscal pour renflouer la caisse de l’État. Normal, me direz-vous, vu que c’est un levier classique auquel tous les gouvernements à l’échelle internationale ont recours. Sauf qu’à Maurice, ce sont les consommateurs qui doivent passer à la caisse.

Partisan déclaré de la consommation comme vecteur de croissance, Renganaden Padayachy doit savoir que les allocations puisées de la CSG accordées à 320 000 salariés et indépendants, à 310 000 personnes âgées et à 110 000 travailleurs éligibles à un revenu minimum garanti vont certes doper leur pouvoir d’achat, mais qu’elles se retrouveront dans le circuit économique. Au final, c’est l’État qui en sera le principal bénéficiaire avec une TVA en hausse de presque Rs 10 milliards, pour atteindre Rs 65 milliards en juin 2025. Qui dit mieux.

Illusion monétaire

Cette taxe frappe indistinctement les riches comme les pauvres. Sameer Sharma, dans l’interview qu’il nous a accordée à la page 13, constate que «the tax system is far from optimal and is quite right leaning» et que «we make the poor and middle class pay much more than their fair share versus the rich to fund the poor and lower middle class». D’où l’idée émise par certains économistes et reprise par certains politiciens à l’effet que c’est de l’illusion monétaire qu’on a créée dans le pays face au sentiment d’avoir le portefeuille bien garni avec des bénéfices, mais qui n’en est pas un réellement car la réalité de prix dans les grandes surfaces, avec une roupie en chute libre depuis 2020, renvoie une autre image.

Trop longtemps associé au père Noël ou à un magicien dont les cartes s’épuisent, le ministre des Finances doit pouvoir cesser de créer des attentes qui font rêver une large frange de la population, chacune cherchant à gagner le jackpot.

La réalité des urnes fera prochainement parler d’elle. En attendant, on saura si ce dernier Budget est politiquement vendable, d’autant plus qu’on parle d’autres surprises à l’approche de l’échéance. Pour le moment, il faut faire son service après-vente.