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Éclairage

Budget 2025-26 : Ramgoolam et Bérenger doivent redresser la barre sur un océan d’écueils

1 juin 2025, 05:00

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Budget 2025-26 : Ramgoolam et Bérenger doivent redresser la barre sur un océan d’écueils

Aux commandes du ministère des Finances depuis novembre 2024, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, intervient à un moment critique de l’histoire économique mauricienne. Fragilisée par cinq années de mesures populistes, un endettement galopant et une érosion constante du pouvoir d’achat, l’économie attend un discours budgétaire fort, lucide et structurant. Ce premier Grand oral post-électoral ne peut se contenter de demi-mesures : il doit poser les jalons d’une reconstruction durable tout en répondant à l’urgence sociale.

Contrairement aux spectacles budgétaires flamboyants de l’ère Padayachy, jalonnés d’effets d’annonce et d’allocation à gogo, le Budget Speech de Navin Ramgoolam, prévu pour demain après-midi, se veut sobre et centré sur le fond. Une posture assumée, censée incarner une rupture avec le passé. Fini les catalogues de mesures jetées en pâture dans un exercice de séduction électoraliste ; place à une tentative de rétablir la rigueur budgétaire et la cohérence politique. Ce changement de ton, s’il est salué, devra encore faire ses preuves dans la mise en œuvre concrète des réformes qui seront annoncées.

L’exercice s’annonce périlleux. Le déficit public devrait atteindre 9,5 % du PIB à la fin juin, tandis que la dette publique a dépassé le seuil symbolique des 90 %. Dans ce contexte, les marges de manœuvre du gouvernement sont limitées. D’autant que Moody’s et d’autres agences de notation scrutent de près les orientations budgétaires du pays, agitant la menace d’un déclassement de la note souveraine, avec pour conséquences une baisse de l’accès au financement international et une détérioration de la réputation du centre financier.

Mais les contraintes économiques ne sauraient occulter la priorité politique numéro un de l’Alliance du changement : le pouvoir d’achat. L’érosion du revenu réel des ménages a été au cœur de la campagne électorale de 2024. Les prix des produits de consommation courante ont bondi de 10,8 % à 114,4 % entre octobre 2019 et octobre 2024, en grande partie en raison de la dépréciation de la roupie – plus de 46 % depuis 2014 – et d’une spirale inflationniste nourrie par la création monétaire à partir de 2020, aggravée par les chocs successifs de la pandémie, de la guerre en Ukraine et des tensions logistiques mondiales.

Le constat est sans appel : malgré une relative stabilisation du taux de change autour de Rs 45-46 pour un dollar, les prix en rayons ne baissent pas. Le fameux «caddie à moitié vide» évoqué par Ramgoolam en campagne reste une réalité quotidienne pour des milliers de familles.

C’est dans cette optique qu’une des mesures phares du manifeste électoral – la création d’un fonds de soutien de Rs 10 milliards – pourrait occuper une place centrale dans le discours budgétaire 2025- 26. Ce fonds viserait à amortir le coût des produits de base et à stabiliser les prix de consommation courante. Il pourrait également marquer un changement de paradigme : passer des subventions généralisées (comme la bouteille de gaz subventionnée pour tous) à des dispositifs plus ciblés et structurels.

Une fiscalité de transition

Pour financer cet effort sans aggraver l’endettement, le ministre Ramgoolam devra recourir à des ajustements fiscaux ciblés. L’augmentation des droits de douane sur les véhicules importés – y compris les hybrides – et la révision de la TVA sur les articles de luxe, deux mesures budgétaires pressenties, s’inscrivent dans une logique de justice fiscale. Recommandées depuis longtemps par les économistes, elles visent à taxer la consommation ostentatoire plutôt qu’à pénaliser les classes moyennes et les plus vulnérables.

La frénésie d’importation de véhicules neufs – dont la valeur est passée de Rs 6,8 milliards en 2010 à plus de Rs 31 milliards en 2024 – a contribué non seulement au déficit commercial (Rs 204 milliards en 2024), mais aussi à la saturation des infrastructures routières. Cette fiscalité sélective permettrait à la fois de réguler une dérive et de générer de nouvelles recettes.

Au-delà des mesures d’urgence, le Budget devra esquisser une vision économique claire à moyen terme. La relance passe par la revalorisation des secteurs stratégiques et une diversification intelligente. Le tourisme, les services financiers, l’économie bleue et verte, l’agro-industrie et l’économie numérique sont aujourd’hui identifiés comme piliers de croissance. Il faudra s’attendre à une refonte des incitations fiscales et à une rationalisation des dépenses publiques pour mieux accompagner ces secteurs.

Comme annoncé ces derniers jours, le Budget compte également corriger certaines distorsions héritées du passé, en mettant fin au cycle de gratuité excessive, notamment au niveau de la Contribution sociale généralisée (CSG). Le fonds de la CSG, aujourd’hui quasiment à sec, ne peut plus financer durablement une multitude d’allocations sans une réforme de fond. La promesse d’un système de protection sociale plus juste, plus ciblé et soutenable reste à concrétiser.

Avec une croissance projetée entre 3 % et 3,5 % en 2025, les marges de relance restent étroites. Le pays ne pourra pas compter sur une expansion forte de l’activité économique pour combler ses déficits. Le duo Ramgoolam-Bérenger devra donc composer prudemment, en s’appuyant sur les outils classiques que sont l’emprunt, la fiscalité et la réduction des dépenses improductives pour recréer de l’espace budgétaire.

Mais c’est surtout sur la capacité du gouvernement à livrer ce qu’il promet – walk the talk – que se jouera sa crédibilité. Les attentes sociales sont immenses, mais les réalités budgétaires imposent des choix douloureux. Le succès du redressement économique dépendra de la cohérence des réformes, de la transparence dans la gestion publique, et d’une réelle volonté politique de s’attaquer aux rentes, aux gaspillages et à l’inefficacité institutionnelle.

Ce premier Grand oral budgétaire de Navin Ramgoolam est un exercice d’équilibriste : rassurer les marchés et les institutions internationales tout en répondant à une population épuisée par la vie chère. La feuille de route proposée tente de concilier redressement économique et équité sociale, mais sa réussite dépendra de la mise en œuvre rigoureuse des réformes annoncées et d’un nouveau contrat de confiance avec la population.

Plus qu’un simple Budget, c’est une tentative de refondation. Le chantier est immense. Les attentes sont grandes. Et les délais sont courts. Le duo Ramgoolam-Bérenger joue ici sa légitimité historique : celle de redresser la barre d’une économie à la dérive. Faute de résultats concrets, ce retour au pouvoir pourrait ternir leur héritage politique, fragiliser leur crédibilité et nourrir un profond désenchantement populaire.

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