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Éclairage

Budget de rupture : Changement de cap, retour à la réalité

28 mai 2025, 14:00

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Budget de rupture : Changement de cap, retour à la réalité

Le 5 juin, le gouvernement de l’Alliance du changement dévoilera son tout premier Budget. Un exercice qui, dans le contexte économique et politique actuel, revêt une signification bien plus grande qu’une simple présentation annuelle de chiffres. Il s’agit d’un moment charnière, où se croisent attentes populaires, contraintes budgétaires, stratégie économique de long terme et gestion des perceptions.

Dans un pays où chaque discours budgétaire est attendu comme un happening majeur, ce premier Budget sera un test politique autant qu’un signal économique. Et, cette fois, le pays ne s’attend pas à un simple ajustement technique, mais à un véritable changement de cap.

Les dirigeants de l’Alliance du changement l’ont laissé entendre à plusieurs reprises : ce Budget ne sera pas un Budget de continuité. Il marquera une rupture avec la politique économique menée sous l’administration JugnauthPadayachy, accusée de populisme budgétaire, de maquillage statistique et de dérapages fiscaux.

Le rapport The State of the Economy publié en décembre dernier décrit sans ambages un héritage fait de déficits chroniques, de dette galopante (près de 90 % du PIB), et d’une politique sociale jugée «électoraliste», fondée sur la distribution de prestations sociales gratuites qui, à long terme, se sont révélées financièrement insoutenables.

C’est donc dans ce contexte que Navin Ramgoolam, qui cumule aussi le portefeuille des Finances, s’apprête à présenter un «Budget difficile», non pas pour punir, mais pour redresser. Les défis sont colossaux : déficit budgétaire de l’ordre de Rs 70 milliards, une dette publique étouffante de Rs 628 milliards au 31 mars, des risques inflationnistes à l’horizon et un ralentissement des moteurs classiques de croissance.

Une marge de manœuvre : Illusion ou stratégie ?

Sans doute, l’un des paradoxes les plus marquants de cette séquence budgétaire concerne la marge de manœuvre réelle du gouvernement. D’un côté, les responsables politiques laissent entendre que les finances sont à sec. De l’autre, des économistes influents comme Ali Mansoor, ancien secrétaire financier et ex-cadre du Fonds monétaire international, affirment que l’État dispose encore d’«outils de long terme», tels que la fiscalité, les réserves financières ou même la création monétaire pour créer de l’espace budgétaire.

Cette dichotomie soulève une interrogation majeure : s’agit-il d’un cadrage volontairement dramatique pour mieux gérer les attentes – une forme de management de l’opinion publique ? Ou bien le gouvernement est-il réellement à la merci de contraintes rigides, malgré la manne du Chagos Deal ? Cette dernière ne représente qu’environ Rs 10 milliards cette année, sur Rs 170 milliards étalés sur 99 ans, soit à peine 1,4 % du PIB, une aide bien mince pour contenir un déficit de près de 9,5 %, encore qu’elle sera comptabilisée dans l’exercice budgétaire de 2026-27.

Le débat sur la marge budgétaire touche aussi au cœur de la stratégie gouvernementale : veut-on faire un Budget d’assainissement ou de relance ? Faut-il privilégier l’austérité ou injecter des fonds dans les secteurs porteurs ? Là réside toute la complexité de l’exercice.

Fin d’un cycle de gratuité

Ce Budget marquera à coup sûr un changement de paradigme profond dans la relation entre l’État et les citoyens. L’époque où le Budget était perçu comme un outil de distribution de cadeaux pourrait toucher à sa fin. L’Alliance du changement veut instaurer une culture de la responsabilité, du travail et de l’effort, aussi bien chez les jeunes, les actifs que chez les retraités.

Des signaux forts ont déjà été envoyés. Les programmes emblématiques du précédent gouvernement – fonds de soutien de Rs 10 milliards pour stabiliser les prix des produits essentiels, internet gratuit pour les jeunes, subventions étendues sur les médicaments, abolition de la redevance télé ou encore l’abolition de la taxe sur les revenus de moins de Rs 1 million et sur la Basic Retirement Pension, entre autres – pourraient être repoussés dans le temps sans pour autant être remis en question. La Contribution sociale généralisée, qui finance plusieurs prestations sociales, affiche un déficit de Rs 122 millions pour les dix premiers mois de l’année fiscale en cours, rendant le maintien du statu quo intenable.

Le discours est clair : il ne s’agit pas de supprimer brutalement les aides sociales, mais de les cibler davantage, de les conditionner à l’insertion, à l’éducation ou à la formation, dans une logique d’autonomisation plutôt que d’assistanat. L’effort sera mis sur la revalorisation du travail et la création d’emplois productifs.

Ce tournant ne sera pas seulement idéologique. Il est aussi économique. Le programme gouvernemental 2025-2029 trace les contours d’un nouveau modèle de développement, moins dépendant de la consommation intérieure et des importations, et davantage orienté vers la production, la diversification des exportations et les secteurs à forte valeur ajoutée.

Il y a eu des chantiers annoncés : la transition écologique, la réindustrialisation par substitution aux importations, l’accélération de la digitalisation, l’attractivité pour les talents de la diaspora, et le repositionnement de Maurice comme hub régional dans l’océan Indien. Ces ambitions nécessitent des investissements publics ciblés et des partenariats privés structurants. Ce qui implique de libérer des marges budgétaires autrement qu’en multipliant les aides sociales.

Cependant, cette nouvelle orientation économique ne peut ignorer un facteur fondamental : la frustration grandissante d’une partie de la population. Beaucoup ont cru au retour d’un État plus juste, plus généreux, plus protecteur. Or, les réformes envisagées pourraient, à court terme, apparaître comme des reculs sociaux. D’où l’importance pour le gouvernement de faire preuve de pédagogie économique, en expliquant la logique, la nécessité et les bénéfices de long terme de ses décisions.

Il y a un équilibre délicat à trouver entre rigueur et empathie, entre austérité et justice sociale. Une chose est certaine : la crédibilité du gouvernement dépendra de sa capacité à tenir ses engagements tout en évitant une nouvelle spirale populiste.

Le Budget 2025 n’est pas comme les autres. C’est un moment de vérité pour l’Alliance du changement, pour le pays et pour le contrat social mauricien. Il marquera la fin d’un cycle où l’État était perçu comme le pourvoyeur inépuisable de ressources et de subventions. Il ouvrira, espérons-le, un nouveau chapitre axé sur la production, la résilience, la responsabilité collective et la méritocratie.

Entre l’urgence de la consolidation fiscale et la promesse d’un renouveau économique, le ministre des Finances marche sur une ligne de crête. Il doit faire preuve de rigueur sans décourager, de courage sans arrogance, et de vision sans dogmatisme. Ce Budget ne sera pas jugé qu’en fonction des chiffres, mais à l’aune de la cohérence, de l’honnêteté et de la capacité à mobiliser un pays en quête d’une reconstruction de son économie.

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