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Deux ans après
Cannabis médical : un projet en fumée ?
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Deux ans après
Cannabis médical : un projet en fumée ?

Longtemps réclamé par des patients, des professionnels de santé et des militants, le cannabis médical a trouvé sa place dans le système de santé avec un projet pilote à l’hôpital Victoria. Projet qui portait l’espoir d’une alternative thérapeutique pour ceux souffrant de douleurs chroniques, d’épilepsie ou de traitements liés au cancer.
En 2023, avec des amendements à la Dangerous Drugs Act, le gouvernement avait donné le feu vert à une première phase d’expérimentation. Un comité thérapeutique dédié au cannabis médical avait été créé et environ 16 médecins et trois pharmaciens avaient été formés pour évaluer, prescrire ou délivrer des traitements à base de cannabis. En décembre 2023, six dossiers de patients étaient à l’étude pour des pathologies spécifiques comme l’épilepsie résistante, les douleurs neuropathiques ou les effets secondaires liés à la chimiothérapie.
Deux ans plus tard, malgré des structures en place, aucun patient n’aurait encore été traité. Le projet, pourtant prêt, semble avoir été gelé, au détriment des malades. Aucune prescription, aucun suivi public, aucun bilan de l’expérimentation. «Tout a été mis en place, sur papier. Mais, dans la réalité, personne ne reçoit de traitement. On a formé des médecins, rédigé des protocoles… pourquoi, au juste ?», déplore un professionnel de santé.
Pendant ce temps, des patients souffrant de douleurs chroniques ou de pathologies graves continuent à quémander l’accès à un traitement que d’autres pays offrent déjà. Certains se tournent vers l’automédication ou le marché noir, au risque d’arrestations. «Mon fils fait des crises d’épilepsie incontrôlables. On m’a promis qu’un dossier médical pouvait être déposé, mais cela fait un an qu’on attend. Rien ne bouge. Je n’ai pas les moyens d’aller le soigner en Europe», témoigne une mère.
Malgré un cadre légal existant, les décisions concrètes semblent empêtrées dans un flou administratif et politique. Le changement de gouvernement en 2024 aurait ralenti la dynamique et le nouveau pouvoir adopterait une posture frileuse, invoquant la nécessité davantage d’études scientifiques. En avril 2025, le débat parlementaire sur la National Agency for Drug Control avait mis brièvement le sujet sur la table. Certains élus ont prôné la dépénalisation encadrée, mais la légalisation, même strictement médicale, ne semble pas à l’ordre du jour. Ce débat révèle des tiraillements idéologiques, entre conservatisme, peur de dérives et pression populaire.
Face à l’inaction, plusieurs collectifs citoyens engagés dans la réduction des risques ont organisé des mobilisations. Le 26 avril, une marche pacifique a rassemblé militants, patients et membres de la société civile pour réclamer l’accès au cannabis médical. Le mot d’ordre : réguler intelligemment, au lieu de criminaliser aveuglément. «Ce n’est pas une guerre culturelle. C’est une question de santé publique, de droits humains et d’équité sociale. On ne peut pas continuer à punir les malades», affirmait un travailleur social présent ce jour-là.
Le potentiel économique du projet reste également ignoré. La culture du cannabis thérapeutique aurait pu offrir une reconversion à des planteurs touchés par le déclin de l’industrie sucrière. Ce qui dérange le plus, c’est peut-être l’écart abyssal entre discours officiel et réalité. D’un côté, l’État criminalise des jeunes pour quelques grammes de zamal, les envoyant dans un système judiciaire qui détruit plus qu’il ne sauve. De l’autre côté, tout le monde sait que le cannabis illégal génère des millions dans l’économie parallèle – sans régulation, sans impôt, sans contrôle sanitaire.
Des voix s’élèvent pour dénoncer cette hypocrisie structurelle : tandis que des patients attendent désespérément un accès médical à la plante et que des planteurs souhaitent pouvoir cultiver légalement et dignement, d’autres – plus puissants, mieux connectés – profitent d’un marché noir florissant. «Il ne faut pas être naïf. Le cannabis circule. Il rapporte. Et pas à ceux qu’on met en prison», déclare un ancien travailleur social. «Le système protège ceux qui ont déjà le pouvoir, pas ceux qui souffrent ou essaient de vivre honnêtement.»
La version du Ministère de la santé
Un préposé du ministère de la Santé précise que le cannabis médical est utilisé à Maurice dans des conditions strictes. Un comité national, présidé par les directeurs des cinq hôpitaux régionaux, encadre ce dispositif. La procédure est claire. Un spécialiste hospitalier qui estime que le cannabis médical pourrait être bénéfique à un patient, peut le recommander. Le dossier est transmis au comité pour évaluer la pertinence médicale du recours au cannabis dans chaque cas. Si le comité donne son feu vert, le patient est autorisé à suivre ce traitement, sous supervision stricte.
Un suivi médical est assuré pour garantir un usage thérapeutique et sécurisé de la substance. Aucun texte de loi n’a été voté pour encadrer de manière transparente et inclusive ce recours au cannabis médical et le processus semble réservé aux cas hospitaliers encadrés. Reste à savoir si cette ouverture balisera la voie à une réforme plus large, plus équitable et plus accessible du cadre légal entourant le cannabis à Maurice.
N.F
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