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Ordination le 4 août
Cédric Lecordier: de lauréat à nouveau prêtre à 35 ans
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Ordination le 4 août
Cédric Lecordier: de lauréat à nouveau prêtre à 35 ans
Cédric Lecordier, compagnon de Jésus.
Certaines conversions sont fulgurantes comme celle de St Paul. D’autres sont plus lentes et aiguillées par des appels du pied, et qui soudainement font sens. Cédric Lecordier, 35 ans, ancien lauréat de la Bourse d’État, tombe dans cette deuxième catégorie. Ayant choisi d’intégrer l’ordre de la Compagnie de Jésus, il sera ordonné prêtre le dimanche 4 août. Son portrait en marge de cet engagement qui lui procure un bonheur comme jamais ressenti auparavant.
Sous ses airs de jeune homme sage et bien sous tous rapports se cache un esprit pragmatique et une franchise rafraîchissante. Jugez-en vous-même. Non, il n’était franchement pas emballé à l’idée d’étudier en Angleterre. «J’éprouve une certaine résistance personnelle à y aller. Je crois que ça vient un peu de l’affaire des Chagos. Je suis dégoûté par cette affaire. En tout cas, pour être plus poli, je n’ai jamais été pressé d’y aller… Mais à un moment les choses s’apaisent ! C’est une longue traversée. Aujourd’hui, je suis sans doute moins buté ou borné ; en plus, le gouvernement a changé».
Il n’a jamais mis les pieds à Rome non plus. « Pour l’instant, j’éprouve encore de la colère vis-à-vis de l’Eglise de Rome en raison des complicités de la hiérarchie par rapport à la pédocriminalité. Certains ont protégé l’Institution au lieu de protéger les plus faibles. C’est quelque chose que le pape François dénonce depuis le début de son pontificat. […] C’est une colère paisible qui m’anime ; elle est latente.» De toutes les façons, dit-il, on fait un mauvais procès à la colère. «La colère est aussi une émotion divine contre l’injustice. Si on n’est pas en colère contre ce scandale-là et contre tout ce qui est injuste, res lakaz !».
Cédric ne veut pas qu’on parle de lui comme d’un «ti monper», voire qu’on l’appelle «monper». «Je suis Cédric. Ne comptez pas sur moi pour appeler les fidèles ma fille ou mon fils. Je ne suis le père de personne. Je ne suis pas là pour infantiliser les adultes.» C’est dit.
Le premier élément qui a sans doute contribué à orienter son choix de carrière est le fait d’avoir grandi dans une famille où la constance n’a jamais été un vain mot. Par exemple, au niveau professionnel, sa mère Nadine est restée fidèle au domaine du tourisme et de l’hospitalité. Et depuis que son père Christian a adhéré au Mouvement militant mauricien, il n’a jamais dévié de cette trajectoire.
Cédric a grandi à la rue Père Laval à Beau-Bassin. Son éducation religieuse a surtout été prise en charge par ses grands-parents paternels Georgy et Daisy Lecordier, qui l’emmenaient à la messe quand qu’ils le pouvaient. Et bien qu’il n’ait pas eu de réel ancrage paroissial, cela n’empêchait pas ses parents d’avoir une foi profonde et les fois où ils allaient à la messe en famille, c’était à l’Immaculée conception à Port-Louis. Le jeune Cédric ne pouvait s’empêcher d’être impressionné par le père Henri Souchon qui faisait son homélie avec la Bible dans une main et le journal du jour dans l’autre.
Enseignant tyrannique
Après une scolarité jusqu’à la standard V au Lorette de Vacoas, ses parents lui ont fait prendre part à l’examen d’entrée dans la section d’élite du collège du St Esprit, qui prépare au Certificate of Primary Education. Un démarrage qu’il vit mal car il subit l’autorité oppressive de l’enseignant responsable de classe. Un jour qu’il ne trouve pas ses cahiers, l’enseignant l’envoie directement s’expliquer au bureau du recteur. On le punit en l’obligeant à écrire une rédaction de son choix. Ayant déjà un caractère fort pour son âge, Cédric se lâche en développant le thème de la tyrannie de l’enseignant, qu’il décrit comme un monstre. Ce qui vaut à ses parents d’être convoqués à l’école où le recteur joue à l’autruche. Malgré les années qui ont passé et l’eau qui a coulé sous les ponts, Cédric n’en démord pas. «Il faut défendre les enfants et les adultes doivent prendre leurs responsabilités.»
Ce qui l’aide à s’épanouir c’est son intégration parmi le mouvement des scouts catholiques de Rose-Hill. Il y apprend non seulement la débrouillardise et l’entraide mais la promesse scoute s’avère le deuxième élément crucial dans sa vie. «La promesse scoute t’apprend à aller au bout de la parole donnée, à t’engager sur ton honneur. Je trouve qu’elle a un aspect religieux. D’ailleurs, je considère que les péchés les plus importants sont cette incapacité à aller tout le temps jusqu’au bout de la parole donnée et la complicité avec le mal qui ne vient pas toujours de là où l’on pense.»
C’est à partir de la Form II, sous le rectorat de Jacques Malié et sous le regard bienveillant d’un Octave Pascal et d’Eileen Yvon, notamment, que le collège lui parait de moins en moins hostile. Il définit ce qu’il considère le rôle de l’enseignant. «Il faut beaucoup de vocation pour faire grandir quelqu’un. Il faut pouvoir regarder un jeune et se dire qu’il est unique et faire jaillir l’étincelle en lui. S’il n’y a pas d’étincelle, il faut le faire tenir et l’aider à traverser. L’enfant doit se sentir approuvé et validé.»
Avantage en maths
Si au départ, il dit avoir un rapport assez éloigné avec les mathématiques, une enseignante va le débloquer et c’est Lily Fanchette. «Il y a eu un déclic. Une porte s’est ouverte et j’ai pris goût à l’abstraction. Lily Fanchette a cru en moi et c’est le rôle de l’enseignant de croire en ses élèves.» Emballé, il devient vite très bon en mathématiques. Il prend aussi des leçons particulières «comme tout le monde» et s’en réjouit. «C’est très important, pas pour les cours en tant que tels mais pour la vie sociale. À Maurice, de nombreuses écoles ne sont pas mixtes. On vit entre garçons une journée et ça pue la testostérone. Cela fait du bien de se retrouver avec les filles. C’est bon pour l’équilibre psychoaffectif.» En grandissant, il vit pleinement sa vie de jeune. «Lavi zenes, ni plus ni moins, avec les sentiments amoureux classiques, même si les filles n’étaient pas ma priorité.»
Ayant obtenu huit unités en Form V, il opte pour les mathématiques, la comptabilité et l’économie en Form VI. Or, le troisième élément qui va orienter ses choix de vie est la réflexion d’un copain de classe nommé David Précieux lors du premier trimestre. Celui-ci lui fait réaliser qu’il n’est pas heureux. «Il m’a dit : ki arive ? To figir paret mang. Il y a des paroles qui n’ont pas de prix». Il réalise alors que malgré qu’il ait de très bonnes notes en économie et en comptabilité, il n’aime pas ces matières. Peu après, un dimanche après la messe lorsqu’il rentre à la maison, il annonce à ses parents qu’il va changer de filières et abandonner l’économie et la comptabilité au profit des littératures anglaises et françaises. Son père est surpris car il souhaite la sécurité matérielle pour son fils qu’il voit à l’avenir comme avocat ou diplomate. Cédric tient bon et ne veut plus faire ce qu’on attend de lui. «Les enfants ne sont pas là pour réaliser le rêve des autres.»
Le changement lui plaît énormément, même s’il a beaucoup de textes à apprendre et de compositions à écrire. Étant très doué en mathématiques, il est conscient de son avantage «comparatif» dans une filière réputée artistique. Il part avec une petite longueur d’avance et devient lauréat. Il retombe toutefois dans le travers de faire ce qu’on attend de lui en s’embarquant pour l’Australie pour des études de sciences de l’actuariat à l’université de Melbourne. Il est content de quitter le pays à un moment où ses parents se séparent.
En Australie, il découvre qu’en fait, il n’aime pas les mathématiques. «À Maurice en mathématiques, on apprend à résoudre des problèmes. Lorsqu’on arrive dans la vraie logique, on perd pied.» C’est son cas. Il vit son premier échec au niveau universitaire et laisse tomber le BCOM en actuarial science au profit d’un diplôme en économie et finance. La situation familiale lui pesant malgré tout, ajouté à la démotivation intellectuelle, il connaît un passage à vide, voire une déprime. Ce qui le sauve c’est un emploi dans un bar puis dans le restaurant où son cousin est chef. Il continue à aller à la messe, «même avec une gueule de bois.»
Révélation
Pour régler ses insomnies, il consulte un médecin qui lui promet de lui restituer sa vie alors que le psychologue l’aide à dédramatiser. «Si vous me demandez si on peut se laisser sauver par les autres, ma réponse est oui. Il ne faut pas croire toutefois que le prêtre est un sauveur. Si on le croit, c’est le début des problèmes. Il faut arrêter de demander aux gens d’être des saints mais d’être des personnes intègres et de faire du mieux qu’elles peuvent.»
Un jour qu’il assiste aux vêpres solennelles à l’église de St François d’Assises, il a une révélation sous forme «d’une sensation forte d’être aimé comme jamais auparavant. C’est comme l’amour des parents mais à la puissance 1 000.» Il se dit que le moment est venu de commencer un accompagnement spirituel. Lors du dimanche du Bon Pasteur, il se retrouve dans la même église en compagnie d’un ami et ils écoutent attentivement le témoignage d’un séminariste, Andrew, qui confiait que sa vocation lui était venue d’un ami qui lui avait lancé un «Pourquoi pas toi ?». «En sortant de l’église, mon ami m’a demandé si j’avais compris le message du séminariste, mais j’ai fait semblant de ne pas comprendre».
Mais en secret, Cédric assiste à une journée portes ouvertes de séminaire de Carlton et en discutant avec les prêtres, il découvre qu’il en assez de «faire le tour des ronds-points. If happiness is this, I need to try.» Au retour dans le métro, la vie religieuse lui apparaît clairement comme une évidence. Il termine ses études qu’il réussit et regagne Maurice pour réfléchir. Après un deuxième stage au journal Le Mauricien – le premier c’était avant son départ pour l’Australie – et un trimestre de remplacement comme enseignant d’anglais au CSE, il décide, après un accompagnement spirituel à St Ignace et un parcours au Foyer La Source, de rejoindre la Compagnie de Jésus.
Cédric fait son noviciat de deux ans à Lyon et fait voeu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance et fait la promesse de vivre et de mourir au sein de la Compagnie de Jésus. Il est très heureux dans ses études. Il étudie encore pendant cinq ans et fait l’expérience communautaire à La Plaine St Denis. Il ne cache pas le fait que la vie communautaire n’est pas toujours facile. «On n’est pas toujours heureux comme un poisson rouge dans un bocal. Il y a le conflit intergénérationnel, des personnalités différentes etc. Le tout est de se demander si on a envie de vivre les difficultés, avec le Christ à nos côtés, et si on veut être fidèle à une histoire […] Par exemple, dans un couple, quand ça ne va pas, le mari peut être attiré par une autre femme. Il peut se demander s’il doit quitter sa femme ou pas. Or, mon histoire avec la Compagnie de Jésus est tellement riche que je n’ai aucune envie de bouger. Enn mari lamson ça !»
Il fait un stage apostolique dans un collège catholique à Marseille où 98,5 % des étudiants sont des non-chrétiens et agit comme surveillant dans la cour de récré. Une expérience qu’il aime. Et complète son mastère de théologie à Paris. Il est rentré à Maurice il y a un mois. Son ordination est pour le 4 août. Pour lui, cela représente la continuité. «Ce n’est pas l’ordination qui fait de moi un jésuite. Je suis jésuite depuis dix ans. Mon ordination sera une action de grâce.»
De quoi pourrait-il avoir peur lorsqu’il envisage sa vie de prêtre ? «De perdre ma capacité à dire non. J’ai consacré ma vie à Jésus certes mais parfois il est vital de se dire que tel ou tel jour, je dois prendre du repos. Le piège est de croire que l’on peut répondre à toutes les urgences.»
Ce qu’il trouve aberrant dans l’église, c’est qu’il est souvent dit que l’Esprit appelle les jeunes mais qu’ils ne répondent pas et que l’on fasse des anciens décider de la place que les jeunes doivent occuper dans l’église. «On ne peut laisser d’autres décider de l’avenir des jeunes dans l’église. Dans n’importe quelle entreprise, cela ferait rigoler. Il faut tirer profit de la sagesse des anciens mais il y a un équilibre à trouver avec l’enthousiasme et le feu des plus jeunes, qui doivent être consultés à tous les niveaux.»
Ce qu’il apprécie avec la Compagnie de Jésus c’est la liberté de pensée et de l’exprimer. «Ce que je dis ne sera pas toujours bien accueilli. On ne peut pas faire l’unanimité. Mais si l’on m’avait dit qu’il fallait que je m’autocensure, j’aurais dit au revoir et merci et j’aurais composé ma vie chrétienne autrement. J’aime la liberté que l’on m’a offerte. […]Chez les jésuites, on aime dire au jeune novice que la Compagnie n’a pas besoin de lui pour vivre, et que lui non-plus ne doit pas avoir besoin de la Compagnie pour se réaliser. Ça doit être libre et libérant, ça fait toute la différence.»
Le thème de son ordination est «révélé aux tout-petits» puisé de l’évangile de Matthieu 11, verset 25. Par tout-petits, Cédric comprend toutes les personnes qui n’ont pas droit à la parole. S’il conçoit que sa mission est d’accueillir tout le monde, sa priorité ira pour les plus faibles, «soit les enfants innocents, les femmes battues, les veuves, les hommes en détresse, etc. bref, toutes les personnes que l’on prive de parole. L’église est peut-être un peu vieille dans ses manières. Il faut une église mentalement jeune et ce n’est pas qu’une question d’âge…»
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