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Nouvel an

Célébrations du bon vieux temps

30 décembre 2023, 21:00

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Célébrations du bon vieux temps

(De g. à dr.) : Guy Radegonde, Anant Bheemick, Clency Lemince et Sylvain Farzole se souviennent encore de la table sur laquelle il y avait la traditionnelle carafe avec la bouteille de rhum et des petits verres.

Demandez à un Mauricien de plus de 60 ans comment le Nouvel An était célébré quand il était enfant, il vous répondra que cette convivialité qu’il y avait entre voisins n’existe plus aujourd’hui. Nos aînés étaient sans grandes ressources financières, certes, mais l’excitation, la joie et l’esprit de partage qui animaient leur cœur sont encore mémorables dans leur esprit. Les fêtes n’étaient pas commercialisées. Au contraire, on recevait des cadeaux de la part des commerçants ! Un groupe de quatre habitants de Pamplemousses et une femme partie vivre à Goodlands après son mariage, que nous avons rencontrés, se racontent…

Clency Lemince, 71 ans, habitait Cassis jusqu’à son adolescence. Il se souvient que le plat fétiche du Nouvel An était du poulet ou du canard sur pattes. «Mes parents élevaient les volailles et les canards qui étaient mis en vente. Mais le 1er janvier, c’est un bon curry que mes parents préparaient avec une salade de laitue ou de concombre. Des familles moins fortunées que la mienne avaient des macaronis ou du saumon en boîte sur la table.» Il se souvient que pour le réveillon de la Saint Sylvestre, ses frères et sœurs ainsi que leurs amis marchaient jusqu’au centre communautaire du village pour regarder la télévision nationale qui diffusait des émissions spéciales.

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Indira Beedassy

Sylvain Farzole, 74 ans, habitait Belle-Vue-Maurel dans une grande cour familiale où se trouvaient plusieurs maisons. Son père était gardien d’un établissement sucrier et s’adonnait à la chasse au lièvre et au cerf dans son temps libre. Quelques jours avant le Nouvel An, son père ramenait un cerf à la maison et comme il n’y avait pas de réfrigérateur à l’époque, le cerf, nettoyé et découpé était conservé dans «gro disel», précise-t-il. «Cela pouvait rester pendant une semaine, mais le 1er janvier, c’est un porc qui allait être tué pour être servi comme plat principal. Tout le voisinage se réunissait dans la cour et on s’amusait jusqu’à fort tard. Les aînés buvaient du rhum et du vin portant des noms célèbres comme Malaga, La Cloche, Contact ou Samos, vendus à des prix abordables.»

Anant Bheemuck, 65 ans, qui a grandi à Riche-Terre, se rappelle que, quelques jours avant le Nouvel An, quand ses parents allaient s’approvisionner à la boutique, le boutiquier leur offrait, de même qu’à tous ses clients, une bouteille de jus d’orange, une boîte de conserve, communément appelé saumon, une bouteille de Goodwill (rhum local) et surtout un calendrier chinois traditionnel d’une page par jour, qu’on ne voit que rarement ces jours-ci.

Chez les Lemince et les Farzole, leur mère cousait leurs chemises et shorts, le père d’Ananat Bheemuck se rendait chez un marchand tailleur à Ste-Croix pour y acheter des habits. «Mais ce n’était pas chaque année», devait-il préciser. Si chez lui, le 1er janvier, on ne consommait que végétarien, le curry bouc était un must le 2 janvier. «Quelques familles cotisaient pour acheter un bouc sur pattes et il y avait un partage de la viande à des voisins, moins fortunés.» Il se souvient que durant son adolescence, la compagnie Happy World commençait à commercialiser le poisson connu comme La Perle. Il se souvient qu’un van frigorifié circulait dans quelques endroits pour vendre ce poisson.

Guy Radegonde, 74 ans, a toujours habité Pamplemousses. Il se rappelle que son père, charpentier de son état, prenait leurs mesures à ses frères et lui à l’aide d’une ficelle pour leur acheter des shorts et des chaussures. «Lui seul se rendait dans la capitale. Il venait souvent avec des shorts en tussor.» Comme pour Sylvain et Clency, il était obligatoire pour Guy de se rendre à la messe le 1er janvier. Dans sa famille, il y avait un gramophone, appareil qui jouait des 33 et 45 tours et pour la Saint Sylvestre, on n’allait pas se coucher avant de connaître les disques de l’année. «Il y avait deux groupes qui clashaient entre Cliff Richard et Elvis Presley ; et un peu plus tard, c’était entre Mike Brant et Frédéric François. Les ségatiers les plus connus étaient Serge Lebrasse, Roger Clency, Roger Augustin et autres Francis Salomon.»

Indira, 71 ans, a habité ce village du côté de l’hôpital SSRN, jusqu’à l’âge de 22 ans quand elle s’est mariée et elle est allée habiter à Goodlands. «On était une dizaine de familles et le 1er janvier, tous les enfants se rendaient chez les voisins pour dire un ‘bonjour’. J’avais un oncle instituteur. Il achetait chaque année un bouc et la veille du Nouvel An, le boucher local, qui avait pour nom Ton Manickon, l’abattait. Tous les enfants – surtout les garçons – donnaient un coup de main pour nettoyer et découper l’animal. Si certains préparaient un curry le jour de l’an, nous, c’est le 2 qu’on allait consommer ce fameux curry de bouc.»

Mais le 1er, c’était la fête chez elle. Après 18 heures, ses oncles et des voisins venaient dans la cour pour prendre un verre, chanter et danser. Le 2 janvier, il y avait une plus grande effervescence dans sa famille car c’était le jour où tous les frères et sœurs, accompagnés de leurs parents, se rendaient chez les grands-parents à Fond-du-Sac, surtout pour aller au cinéma. Comme pour Anant et Sylvain, ce sont surtout les films de Dharmendra et de Shammi Kapoor qui étaient les plus appréciés. Sylvain se rappelle que tous se rendaient les jours suivant le Nouvel An au cinéma Baroda à Rivièredu-Rempart pour apprécier des acteurs et des actrices comme Meena Kumari, Viyantimala, Asha Parekh ou Nutan.

Tous – aujourd’hui grand-mère ou grandpère – se souviennent que les enfants appréciaient la limonade Merven et Faucon aux différentes saveurs. Au cours des traditionnelles visites chez les voisins, ils recevaient souvent une pièce de cinq sous ou une petite savonnette en cadeau.

Toutefois, dans les jours précédant la fête, c’était le moment de faire «louvraz lakaz». Il fallait à tout prix cirer le châlit rouge, laver le pavage, tapisser les chambres avec du papier journal ou de vieux magazines tels que ParisMatch, repeindre les lits en métal, refaire briller les objets décoratifs en cuivre, changer les rideaux et recouvrir les tables de nappes neuves. Mais le summum des réjouissances était de faire éclater les fameux pétards sinwa de couleur rouge et quelques beaux feux d’artifice.