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Ces journaux qui bâtissent une nation
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Ces journaux qui bâtissent une nation
Maurice, forte de ses 252 ans d’histoire journalistique, offre un exemple assez rare d’une presse qui non seulement rapporte des faits et des opinions divers, mais façonne aussi une société et une nation en construction permanente. Les journaux mauriciens, des premières feuilles commerciales de 1773 aux quotidiens d’aujourd’hui, sont à la fois témoins et acteurs de cette nation en mutation.
Depuis les annonces de Nicolas Lambert au 18ᵉ siècle jusqu’à l’engagement politique de l’express pour l’Indépendance, les journaux mauriciens sont bien plus que de simples relais d’information. Ils portent des luttes sociales et politiques, amplifient les voix marginalisées et dénoncent les abus de pouvoir.
En 1843, Rémy Ollier (photo), fondateur de La Sentinelle de Maurice, écrivait : «Signaler les abus avec courage et modération ; redresser les torts, encourager le mérite, appeler tous les Mauriciens à une unité intelligente.» Ces mots résonnent encore aujourd’hui dans une société fragmentée par des divisions ethniques et politiques. La presse libre mauricienne sait, malgré tout, préserver son rôle de veilleur et de critique.
Même dans les heures sombres – boycott publicitaire, menaces politiques et transformations numériques –, des journaux maintiennent leur engagement envers leurs lecteurs. Ils rappellent que, dans un monde en quête de sens, le rôle du journalisme va bien au-delà des chiffres ou des algorithmes : il consiste à éclairer, à informer et à rassembler.
À l’opposé de cet engagement, les réseaux sociaux, dépourvus de codes d’éthique et de secrétaires de rédaction, représentent une fracture dans la mission d’information. Là où les journaux s’efforcent de rapporter des faits vérifiés et contre-vérifiés, Facebook devient un champ de bataille et de palabres pour la désinformation. Les algorithmes ne savent pas contrôler, brider, les contenus polarisants et les fausses nouvelles des excités du clavier, amplifiant les divisions plutôt que de les combler.
Comme le souligne Jacques Attali, «la vérité doit être éclairée par le courage de la responsabilité. Facebook, au contraire, exploite la peur et l’ignorance pour alimenter le chaos». Contrairement aux journalistes, soumis à une hiérarchie éditoriale et à des procédés rigoureux, chaque quidam, devenu rédacteur en chef de son propre chef, ou dans sa tête, peut publier sa «vérité» douteuse sur Facebook, brouillant allègrement les frontières entre opinion et information.
Aujourd’hui avec l’abandon officiel des fact-checkers au profit de notes communautaires, Meta abdique sa responsabilité en matière de contrôle des contenus. Ce choix, présenté comme une défense de la liberté d’expression, masque une réalité plus sombre : un alignement opportuniste à des fins personnelles. En privilégiant les récits divisants et sensationnalistes, Facebook s’éloigne de l’idée même de service public qu’incarne la presse.
Maurice a été façonnée par des plumes courageuses qui ont osé dénoncer les injustices et proposer des idées. Les journaux ont construit un espace de dialogue et de réflexion, où les faits priment sur les émotions. Ils ne sont pas des miroirs déformants reflétant les colères ou les vanités individuelles. Ils sont une voix collective, au service du progrès et de l’unité de la nation.
Dans un monde saturé de bruit numérique, la presse libre demeure, donc, une balise indispensable.
Plus que jamais, Maurice doit défendre ses journaux, ces témoins vigilants de son histoire. À l’ère des réseaux sociaux et de la désinformation, rappelons-nous que les journaux ne sont pas seulement des véhicules d’information, mais des architectes de la vérité et du bien commun.
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Dans un journal local du 18e siècle, où l’on trouvait des annonces du genre : «À louer : deux négresses nourrices bien saines», l’on s’étonne que la censure mauricienne ait autorisé la représentation de l’œuvre d’un «nègre». Le «nègre» en question s’appelle Alexandre Dumas (père), un écrivain français, tourné vers le théâtre. Alors qu’en France, il est acclamé pour son talent et son verbe, ici, à l’ancienne Isle de France, un enseignant du prestigieux collège Royal condamne la représentation de son œuvre à Port-Louis, sur une base purement raciste.
Dans un livre publié le siècle suivant, Marcel Cabon racontera plus tard que deux hommes de couleur ont essayé de rétablir les droits d’Alexandre Dumas à Maurice. Il s’agit d’Evenor Hitié et de Rémy Ollier, né le 6 octobre 1816. Les écrits d’Hitié et d’Ollier sont alors refusés par les deux seuls journaux de l’époque. Ce refus devait changer le destin de Maurice ! Révolté, Rémy Ollier décide de lancer La Sentinelle de Maurice. Dans son prospectus qui paraît le 21 mars 1843, Ollier décrit la raison d’être de son journal : «Signaler les abus et les signaler avec courage et modération ; redresser les torts, encourager le mérite dans quelque classe et sous quelque épiderme qu’il se rencontre ; appeler tous les Mauriciens à une intelligente unité – unité nécessaire, indispensable au bonheur de l’homme et du citoyen.» Unité sans laquelle l’ordre disparaît pour faire place au bouleversement...
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