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Chaque point sauvé peut sauver une vie
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Chaque point sauvé peut sauver une vie
Il arrive un moment où les chiffres cessent d’être des statistiques pour devenir des tombes. Depuis janvier, une quarantaine de visages se sont éteints au bord de nos routes. Des pères, des mères, des enfants. Dans l’anonymat d’un virage mal négocié, d’un casque mal attaché, d’un geste trop rapide, d’une confusion entre les pédales de frein et d’accélérateur, l’irréversible se produit. Des crânes fracturés, des destins brisés. Et l’on enterre un peu plus notre insouciance.
Alors, le gouvernement dit vouloir reprendre les choses en main. Le permis à points, ce vieux projet rangé sous les clameurs électorales, refait surface. On ne parle plus de complaire mais de prévenir. On ne parle plus de faire plaisir aux conducteurs mais d’épargner les familles.
Mardi, à Port-Louis, dans l’austérité d’une salle ministérielle, le ministre des Transports terrestres a réuni des représentants du bureau du Premier ministre, de l’Attorney General’s Office, entre autres. Leur mission : accoucher d’un texte, un policy paper, qui dira noir sur blanc ce que tout le monde murmure depuis trop longtemps – notre système de sécurité routière est à bout de souffle.
Le mois dernier, Jean Todt, émissaire des Nations unies, avait lancé le pavé : une note de 4 sur 10 infligée à Maurice. Une gifle venue de l’étranger, mais méritée. Ce fut l’électrochoc. La gifle qui fait rougir un pays, qui rougit déjà trop souvent de sang.
Le permis à points version 2.0, c’est l’ambition d’un dispositif clair, dissuasif, articulé autour d’une driving licence counterpart – cette carte à puce qui dira si nous avons mérité ou non le droit de conduire. Mais un permis, aussi numérique soit-il, ne remplacera jamais une conscience.
Car sur nos routes, la mort ne fait pas de bruit. Elle attend, patiemment, au détour d’un rond-point, dans l’ombre d’un pylône, entre les lignes d’un passage piéton. Elle guette les écarts, les distractions, les colères. Elle frappe. Et elle emporte tout.
Les routes de notre île serpentent entre champs de cannes et morcellements, comme les veines d’un corps en sursis. Elles relient les marchés aux écoles, les hôpitaux aux maisons, les promesses aux réalités. Mais elles sont devenues aussi des cicatrices. En 2023, Maurice a compté 36 400 accidents. Cent trente morts. Mille vies bouleversées.
Et chaque année, la chronique se répète. L’odeur du goudron neuf, les slogans de prudence, les radars qu’on allume et qu’on éteint, les contrôles policiers ponctuels, les campagnes aussi vite oubliées qu’imprimées. Et puis, l’oubli. Jusqu’au prochain choc, jusqu’au prochain drame.
Les chiffres sont là : 1 146 conducteurs pris sous influence entre janvier 2024 et janvier 2025. Treize, impliqués dans des accidents, ont été testés positifs aux stupéfiants. Et pourtant, on continue. Comme si la route était un terrain de chasse, comme si la voiture était un jouet.
Mais conduire, ce n’est pas cela. Ce n’est pas affirmer sa virilité ou son pouvoir. Conduire, c’est protéger. C’est arriver. C’est choisir de ne pas tuer.
Le permis à points ne sera qu’un leurre si nous ne nous regardons pas en face. Si nous ne comprenons pas que chaque trajet est une promesse : celle de revenir vivant. Que chaque klaxon peut être une prière. Et que chaque famille endeuillée nous rappelle ce que signifie perdre, sans pouvoir réparer.
Ce texte de loi, s’il arrive au Parlement, devra porter plus qu’un encadrement légal. Il devra porter une vision. Celle d’un pays qui cesse de pleurer ses parents et ses enfants sur le bitume. D’un pays qui choisit enfin la vie, avant tout le reste.
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