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Jargon et folklore
Chatwa, pie banann, piaw, karo kann, roder bout : Les origines
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Jargon et folklore
Chatwa, pie banann, piaw, karo kann, roder bout : Les origines
«Chatwa, pie banann, piaw, dinosor, karo kann, roder bout», sont autant de termes du jargon familier des Mauriciens, et même des étrangers, qui les entendent souvent dans la bouche des politiciens, tant pendant la campagne électorale que dans d’autres contextes. Cependant, le langage politique aujourd’hui est bien différent de celui des années 70. Selon le juriste, démographe et observateur politique Kris Valaydon, le vocabulaire des politiciens n’a plus les mêmes fondements idéologiques mais mélange le grossier, le comique et le sensationnel pour provoquer le rire et capter l’attention du public. Mais pour lui, la population n’est pas dupe. Elle est consciente des manœuvres des politiciens et voit au-delà des façades.
(Kris Valaydon)
Comment décririez-vous l’évolution du langage et de jargon utilisés par les politiciens mauriciens en campagne électorale au fil des décennies ?
Le langage politique a beaucoup évolué avec le temps et reflète les changements générationnels des politiciens et l’évolution de leur culture politique. Dans les années 70, les jeunes engagés en politique utilisaient un vocabulaire marqué par les idéologies de gauche, avec des termes issus du marxisme comme «lutte des classes», «lumpenprolétariat», ou encore «petite bourgeoisie». Aujourd’hui, ces expressions sont presque oubliées. Le discours politique moderne n’a plus les mêmes fondements idéologiques. Il ne s’agit plus d’un langage de droite ou de gauche, mais plutôt d’un vocabulaire oscillant entre le grossier, le comique et le sensationnel, destiné à provoquer le rire et à capter l’attention, sans véritablement chercher à conscientiser l’électorat. Cette évolution de la culture politique a aussi entraîné un changement dans le jargon et les slogans utilisés. Même si les mots eux-mêmes n’ont pas radicalement changé, certaines expressions ont émergé au cours des dix dernières années, notamment avec la campagne du MSM en 2014 et son fameux slogan «viré mam». Ce slogan, bien conçu, a d’ailleurs joué un rôle important dans le succès de ceux qui l’ont utilisé.
Quels sont les termes ou expressions récurrents que vous avez identifiés dans les discours politiques à Maurice et comment ce jargon reflète les enjeux électoraux actuels ?
Il existe effectivement des liens indissociables entre le discours politique et les expressions qui marquent la société. Certaines, comme «roder bout», ont traversé les décennies mais le terme qui, selon moi, a résonné le plus et s’est montré le plus persistant est sans doute «chatwa». D’autres termes, tels que «Lakwizinn» ou «Pinokio», ont également laissé leur empreinte sur le vocabulaire politique contem- porain. Cependant, certains mots, comme «Chihuahua» ou «Ticrétin», bien qu’ils aient eu leur moment de gloire, ont fini par perdre leur éclat et leur popularité avec le temps. L’expression «Premye minis linpos» a également marqué les esprits. Quant à l’expression «gouvernement cadenassé», elle a été introduite par un ancien ministre et résume bien les frustrations d’un membre du gouvernement qui trouvait difficile de rencontrer le Premier ministre.
Pensez-vous que certaines expressions sont utilisées de manière stratégique pour séduire des groupes d’électeurs spécifiques ? Pouvez-vous donner des exemples ?
Le terme «chatwa», en effet, possède une richesse sémantique notable, qui désigne souvent les partisans du gouvernement d’une manière péjorative. De même, des expressions telles que «hindu belt» ou «4 à 14» illustrent non seulement la population rurale, mais aussi certaines dynamiques électorales liées à des circonscriptions spécifiques. Le mot «dinosor», quant à lui, évoque ces anciens leaders politiques qui, malgré les années, continuent à occuper une place sur la scène poli- tique, parfois au détriment de la nouveauté et du changement. L’expression «kof for» a été introduite pour pointer des cas répréhensibles pour montrer une désapprobation face à des comportements jugés inacceptables.
Plus récemment, l’expression «deal mamapiti» a fait surface pour évoquer une transaction controversée impliquant un terrain de l’État au profit de la mère d’un ministre. Par ailleurs, les débats au Parlement sont souvent émaillés d’expressions colorées, notamment utilisées par le speaker pour dénoncer le comportement de certains politiques. Les réseaux sociaux jouent un rôle clé en diffusant des vidéos et des extraits de ces interventions, où des phrases dénigrantes, comme «look at your face», ainsi que d’autres expressions peu honorables, sont entendues dans l’hémicycle et ont, ainsi, contribué à alimenter le débat public sur la décence et la dignité en politique.
Y a-t-il une influence notable des campagnes électorales internationales ou des tendances globales sur le langage politique à Maurice ?
Il est vrai que certains mots, comme «ensam» et l’expression «ensam nou kapav», semblent s’inspirer de tendances observées ailleurs, notamment dans d’autres pays. Cela démontre une certaine influence culturelle, mais cela pourrait également souligner un manque d’originalité dans le discours politique local. Il serait judicieux que nos orateurs s’inspirent des discours électoraux en France ou aux États-Unis, car la rhétorique utilisée dans ces contextes traduit souvent un profond respect pour l’auditoire. Un politicien devrait être en mesure de conscientiser son public sur les défis à venir et présenter des solutions concrètes. Les équipes de communication des partis politiques doivent faire la distinction entre le ridicule et le sérieux, ainsi que comprendre leur mission d’informer et de sensibiliser le public. L’humour peut avoir sa place, mais il ne doit pas se substituer à un discours constructif qui cherche à éveiller les consciences et à créer un véritable dialogue sur les enjeux importants de notre société.
Comment les politiciens adaptent-ils leur langage en fonction des différentes régions ou groupes ethniques à Maurice ?
L’utilisation d’un langage populiste et de cheap politics dans le discours politique peut, en effet, créer une barrière de compréhension pour une partie de la population. En s’adres- sant uniquement à un auditoire qui partage un certain background, les politiciens cherchent à établir une proximité linguistique et communautaire. Ce faisant, ils jouent sur des émotions et exploitent des instincts d’appartenance à un groupe spécifique, ce qui peut renforcer des divisions plutôt que d’encourager l’unité. Cependant, il est crucial de reconnaître que l’électorat n’est pas dupe. Beaucoup de citoyens sont conscients de ces manœuvres et voient au-delà des façades.
Par exemple, certains politiciens utilisent le bhojpuri pour se présenter comme plus proches des zones rurales, pensant ainsi gagner le soutien de cette population. En parallèle, il existe également une tendance à recourir à des langages autres que le créole pour établir une connexion communale, ce qui peut renforcer l’affinité, mais également exacerber les différences entre les groupes. Dans ce contexte, la véritable connectivité avec l’électorat devrait aller au-delà de l’usage de la langue ou des symboles culturels. Un discours authentique doit viser à rassembler, plutôt qu’à diviser, en abordant les préoccupations communes de la société tout en respectant la diversité des voix et des expériences.
Peut-on dire que l’utilisation du jargon politique a contribué à l’érosion de la confiance des électeurs dans les politiciens, en particulier chez les jeunes ?
La perte de confiance dans les politiciens peut souvent s’expliquer par le mépris qu’ils affichent envers l’intelligence de leur auditoire. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes ou les personnes conscientes des agendas politiques, surtout en période de campagne électorale. Il est désolant de constater que certains politiciens et partis politiques choisissent d’imposer un langage truffé de clichés abêtis- sants. En optant pour la facilité, ces orateurs se contentent de faire rire avec des mots creux et des slogans ridicules. Cette approche déresponsabilise l’électorat, qui doit être conscient de son rôle dans le choix judicieux des personnes appelées à diriger le pays. Un exemple emblé- matique est l’usage de sigles comme «BLD», qui a vu le jour lors des manifestations liées à l’affaire Wakashio il y a trois ans. Ce sigle, désormais ancré dans le vocabulaire politique, exprime un rejet clair de certains politiciens, notamment ceux du gouvernement. «BLD» n’est pas le fruit des partis traditionnels, mais émerge des mouvements de la rue, porté par la voix des jeunes et des nouveaux acteurs politiques. Cela illustre comment des expressions et symboles issus du peuple peuvent avoir un impact fort et durable, même face à la rhéto- rique creuse de certains politiciens.
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