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Affaire Caël Permes
Chronique d’un meurtre et d’un cover-up
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Affaire Caël Permes
Chronique d’un meurtre et d’un cover-up
Le corps de Caël Permes a été retrouvé à La Bastille. Il était nu et avait les mains menottées dans le dos.
Pourquoi Caël Permes at-il été battu le 5 mai 2020 ? C’est la question qu’on se pose depuis plus de trois ans… Et la réponse à cette question mènera automatiquement au commanditaire de cette «correction» qui a fini en meurtre… Des sources nous ont fourni de nouveaux éléments dans cet épineux dossier.
Caël Permes, rappelons-le, avait été arrêté pour avoir endommagé des véhicules de la police lors d’une descente à Résidence Sainte-Claire, à Goodlands, en 2020. Mais, en fait, tout a commencé quelques années auparavant, à Jumbo Riche-Terre, lorsqu’un Deputy Commissioner of Prison (DCP) fut giflé par Caël Permes. Cela, à la suite d’agressions et de mauvais traitements qu’il aurait subis aux mains de ce DCP lors d’un précédent passage à la prison. On nous raconte que c’est un certain Salim, dit «Monstre», qui aurait retenu le DCP pendant que Caël Permes le giflait. Cet épisode n’a jamais été rendu public mais le DCP en avait gardé de douloureux souvenirs – physiquement et moralement aussi – car l’agression avait eu lieu en public.
En visionnant, le 23 mars 2020, les vidéos des émeutes du 19 mars 2020, le DCP giflé s’est rendu compte de la présence de Caël Permes dans la New Wing. Il ne savait pas qu’il était là… Il aurait alors «décidé» de rendre Caël Permes responsable, avec d’autres, des émeutes, apprendon. Le DCP décide alors de transférer Permes de la New Wing vers la prison de Beau-Bassin. De là, à La Bastille, à Phoenix. Pourquoi ce détour par Beau-Bassin ? «Probablement pour qu’on puisse lui faire porter le chapeau des émeutes à Beau-Bassin», nous dit une source. Toutefois, le responsable de la New Wing, le surintendant de police (SP) R., refuse de signer ce transfert. On se passera de sa signature et Caël Permes sera transféré… Le SP R. prendra sa pré-retraite peu après, ne voulant ni participer à ce complot ni contredire ses confrères et surtout la hiérarchie.
Bien que tout transfert doive être autorisé par un Transfer Committee qui est composé de trois DCP, celui de Permes ne passera pas par cette étape. Le Principal Prison Officer (PPO) P. téléphonera au DCP pour lui demander le transfert en disant : «Boss, bizin fer travay-la zordi mem…» L’Assistant Commissioner of Prison (ACP) P., en charge de la prison de Beau-Bassin, n’a pas été informé du transfert. Lorsqu’il s’en plaint au «Boss», celui-ci lui aurait répondu : «C’est moi le chef. C’est moi qui décide de tout ici.»
Caméras manipulées
Le Lead Prison Officer (LPO) S. de la prison de Beau-Bassin est le premier témoin à avoir vu Caël Permes alors qu’il se faisait battre par deux membres de la section Correctional Emergency Response Team (CERT), le SP B. et le gardien G. Car le tabassage a commencé dans la cellule de Beau-Bassin. C’est ce LPO S. qui avait ouvert la cellule du Block B où se trouvait Permes. Cependant, durant l’enquête menée par la Major Crime Investigation Team (MCIT), il ne parlera pas de ce passage à tabac et ne dira pas non plus que ce sont les éléments de la CERT qui sont venus chercher Caël Permes pour l’emmener à Phoenix. Les caméras de la prison de Beau-Bassin auraient été soigneusement «redirigées» pour regarder ailleurs pendant ce transfert, pour que l’on ne voie pas l’état de Permes, qui avait déjà reçu les premiers coups.
Le fourgon le transportant, avec à son bord quatre membres de la CERT de Beau-Bassin, n’est pas allé directement à Phoenix mais s’est arrêté à la Prison Training School pendant une quinzaine de minutes ; Permes y recevra une autre tournée de baffes aux mains des membres de la CERT. Il recevra aussi la visite du DCP qui aurait dit : «Koriz so linsolans. Taler mo pou vinn rann li enn vizit La Bastille.» Pendant le voyage de Beau-Bassin à Phoenix, Caël Permes sera encore battu et ses cris seront fièrement relayés en direct au DCP par téléphone.
Le deuxième témoin du drame est un garde-chiourme à l’entrée de la prison de La Bastille. Toutefois, il n’a pas été interrogé par la MCIT. Il a tout vu alors que Caël Permes recevait une dizaine de coups violents de tonfa au niveau de la nuque et de la tête. Aucun médecin ni infirmier n’a examiné Caël Permes à son arrivée à La Bastille, comme l’exige pourtant la procédure. Les caméras de surveillance y étaient éteintes à son arrivée. La personne qui en était en charge, le LPO T., ne sera poursuivi que pour «computer misuse», mais pas pour complot
Le LPO T. avait dans un premier temps nié les faits qui lui étaient reprochés. Cependant, lors de la déposition qu’il fera en présence de son avocat, il reconnaîtra les faits tout en affirmant que ce sont trois autres officiers qui lui avaient demandé de manipuler les images de la caméra de surveillance. Il a expliqué que ses trois collègues étaient même venus chez lui pour le menacer. L’un de ces gardiens n’est autre que le PPO P. qui a alors été arrêté par la MCIT, sous une accusation provisoire de conspiracy. Qu’est-il arrivé après ? Personne n’est en mesure de le dire…
Mort les mains menottées dans le dos
Le lendemain, soit le 5 mai 2020, lorsque le gardien G., qui était de garde la nuit précédente, est allé vérifier la cellule de Permes à La Bastille, il a vu ce dernier sur le ventre, complètement nu – alors que le début de l’hiver à Phoenix est plutôt froid, surtout la nuit – et les mains menottées dans le dos ! Cette mesure drastique venait d’être introduite. Le matelas avait été enlevé de la cellule qui était couverte de sang. Le gardien appelle Caël Permes qui ne répond pas. Il fait alors appel au dog handler T. qui arrive avec son chien. Celui-ci demande au chien d’aboyer pour réveiller Permes… Toujours aucune réaction. C’est alors que les deux gardiens réalisent que Caël Permes est déjà mort…
C’est la panique. L’alarme est donnée. Déboule alors l’ACP H. qui est en charge de la prison de Phoenix. Il convoque le PPO P. qui ordonne au policier F. et au LPO G. de nettoyer la cellule à grande eau pour enlever toute trace de sang. Premier cover-up. On habille Caël Permes à l’aide d’un vêtement qui n’est pas à lui. Deuxième cover-up. Troisième et quatrième cover-up : on apporte un matelas pendant que le PPO P. se débarrasse des vêtements couverts de sang de Permes. Tout est en ordre avant l’arrivée de la police. Ni l’ACP B. ni J., G., P., F. et les autres ne seront inquiétés par la police.
Ce n’est pas fini. Deuxième série de cover-up après la mort de Caël Permes : un haut gradé de la prison demande au Senior Officer Cadet (SOC), un certain T., de revoir les images captées pendant les émeutes et plus précisément celles de Caël Permes. Catastrophe : la vidéo n’indique en rien que Permes était actif dans les émeutes. Non, il était tranquille dans sa cellule. Le SOC soumet son rapport en ce sens. C’est alors que le DCP giflé par Permes intervient auprès du haut gradé avec qui il était très ami pour changer le rapport. Le SOC refuse de changer son rapport et en maintient le contenu. Des dé- tenus confirmeront durant l’enquête que ce n’est que le 23 mars que Permes a été transféré à la prison de Beau-Bassin alors que les émeutes ont éclaté le 19 mars.
Faux contre promesse de promotion
Le DCP demande alors à un certain R. affecté à la section 24/7 de rédiger un faux rapport qui dira que Permes a participé aux émeutes. R. accepte de le faire contre une promesse de promotion comme Welfare Officer. Le faux rapport devait être utilisé pour justifier après coup le transfert de Caël Permes vers la prison de Phoenix. R. aura ici non seulement commis un faux dans le contenu du rapport mais on s’est rendu compte après qu’il ne devait pas faire ce rapport car étant en arrêt maladie ce jour-là, après s’être blessé justement pendant les émeutes à la prison de Beau-Bassin… Alors que Caël Permes se trouvait à la New Wing à ce moment-là. Cependant, il ne sera pas inquiété plus que cela par la MCIT, à la suite de l’intervention du boss de la prison. R. se la coule douce en ce moment à la prison de Petit-Verger.
Enter ensuite Vishal Shibchurn… L’enquête de la MCIT affirmait que le 5 mai, il occupait une cellule qui se trouve entre cinq et six mètres de celle de Caël Permes et qu’il a entendu celui-ci hurler, «tir ménot dan mo lédo, mo pé mor». Alors qu’une autre voix, probablement celle d’un prisonnier, lançait : «Aret fer dominer.» Shibchurn aurait entendu aussi quelqu’un, de toute évidence un des gardiens tortionnaires, dire : «Tonn fer mari, mo pou réglé to kont…» Il y a aussi les témoignages de Kusraj Lutchigadoo, Siddick Islam, Vincent Hossenny et de Christopher Perrine.
Finalement après tout cela, ce ne sont que quatre gardiens de prison, Roopendra Ramkissoon, Yuvenesh Sacarah, Beerajsingh Jankee, Gowtam Ramtohul, qui seront arrêtés le 8 mai. Ils seront libérés sous caution le 22 mai 2020 par le tribunal de Curepipe. L’un d’eux fera une déclaration fracassante sur Radio Plus : il n’avait fait qu’obéir aux ordres de sa hiérarchie. Le ou les commanditaires de même que ceux qui ont participé au cover-up n’ont pas été poursuivis. Onze gardiens en tout seront suspendus…
L’ASP oublieux
Cet ASP basé à Rodrigues veut être promu surintendant (SP). Cependant, lors d’une précédente postulation, il avait omis de dire qu’il avait déjà été condamné pour le délit de conduite dangereuse. En découvrant cette cachotterie, l’autorité concernée a suspendu l’aspirant SP pendant dix jours. Ce dernier vient aussi d’être impliqué dans un cas d’«early release» d’un prisonnier à Rodrigues. Mais, encore une fois, tout a été étouffé pour que l’administration ne soit pas blâmée. Et l’ASP, qui a souvent des problèmes de mémoire, ne peut qu’en être satisfait car il pourrait bien être promu SP bientôt.
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