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Crise energétique

Comment éviter le blackout…

20 juillet 2025, 11:00

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Comment éviter le blackout…

Face à une demande en hausse constante, notre infrastructure énergétique montre des signes inquiétants. Le parc national repose en grande partie sur des machines vieillissantes alors que les besoins dépassent les prévisions. À l’approche de l’été, une pression accrue sur le réseau est redoutée. Pour éviter une crise, le gouvernement accélère la mise en œuvre d’une stratégie énergétique à plusieurs volets – solutions d’urgence, projets de transition et investissements durables.

Lors d’une conférence de presse en mai dernier, le ministre de l’Énergie et des Services publics, Patrick Assirvaden, dressait un constat alarmant du parc énergétique national, déplorant le manque de renouvellement des centrales du Central Electricity Board (CEB) depuis plus de dix ans. Certaines machines, âgées de 27 à 35 ans, sont toujours en service, tout comme certaines unités des producteurs indépendants (IPP), en fonctionnement depuis plus de 20 ans. «Nous nous retrouvons ainsi avec un parc énergétique composé de machines et de turbines qui ont largement dépassé leur durée de vie optimale.»

Le ministre avait également souligné, dans l’optique de trouver des solutions, qu’il n’etait pas envisageable d’attendre deux ans et demi à trois ans pour construire une centrale conventionnelle afin de répondre à la demande en électricité – un délai nécessaire pour identifier un site, lancer un appel d’offres, réaliser une étude d’impact environnemental (EIA), effectuer des tests de sol et sur les lignes ainsi que mettre à niveau le réseau. Autant d’étapes qui allongent considérablement les délais de mise en service. Aujourd’hui, la capacité installée du pays s’élève à 626 mégawatts (MW). En cette saison hivernale, la demande en électricité a temporairement baissé, avoisinant les 415 MW. Toutefois, ce répit est provisoire. Avec l’arrivée de l’été, la demande va inévitablement grimper.

Le 5 février dernier, un record de consommation avait d’ailleurs été enregistré, atteignant 567,9 MW, alors que les prévisions pour l’été 2024-25 tablaient sur 544 MW. Le pic de consommation durant la période chaude est observé entre 18 h et 21 h. Face à une demande en hausse constante, la marge actuelle s’avère insuffisante pour garantir une fourniture stable et fiable. Si aucune mesure n’est prise, la pression sur le réseau s’intensifiera d’ici l’été prochain, avec la hausse des températures et les nouveaux projets de développement.

En effet, si la demande dépasse la capacité de production disponible, un déficit se crée. Pour prévenir un blackout généralisé, le système de contrôle devrait alors activer un délestage partiel, consistant à couper temporairement l’électricité dans certaines zones pour réduire la charge sur le réseau. Conscientes de cette urgence, les autorités visent une stratégie en trois volets – à court, moyen et long termes – pour faire face à la crise énergétique dès la prochaine saison chaude. Cette semaine, à la télévision nationale, le ministre Assirvaden a détaillé les différentes mesures envisagées pour ré- pondre à cette situation.

À court terme, plusieurs options sont étudiées simultanément car il est essentiel d’avoir plusieurs plans d’action pour garantir la sécurité énergétique, précise le ministre. Le CEB a lancé un appel d’offres international pour l’acquisition éventuelle d’un powership, barge électrique capable de fournir entre 90 et 110 MW. Cette solution temporaire permettrait de renforcer rapidement le réseau, en attendant la mise en service de nouvelles capacités de pro- duction. Le projet powership demeure envisageable, indique le ministre, tant qu’aucune autre décision n’a été prise par le conseil d’administration du CEB. Pour Patrick Assirvaden, il est essentiel de disposer de plusieurs options, à titre préventif, afin de répondre à la demande croissante. Une telle solution doit toutefois être évaluée avec rigueur, en tenant compte de ses impacts environnementaux, de son coût et de sa durabilité, fait-il comprendre.

WhatsApp Image 2025-07-20 at 10.43.05 AM (1).jpeg Les centrales existantes sont à bout de souffle avec des machines, âgées de 27 à 35 ans

Parallèlement, le ministère de l’Énergie et des Services publics investit dans le déploiement de batteries à haute capacité pour compenser les pics de consommation d’environ trois heures qui devraient être opérationnelles d’ici la fin de l’année. Ces batteries seront rechargées durant la journée pour fournir de l’énergie en soirée si la demande augmente. Un autre chantier à l’étude par le CEB, est la possibilité d’installer des centrales mobiles, qui pourraient ajouter entre 30 et 60 MW à la capacité existante.

Sur les moyen et long termes, la priorité sera accordée au développement des énergies renouvelables, avec pour objectif d’atteindre 60 % de production d’énergie renouvelable d’ici 2030, contre environ 18,2 % actuellement. En sus de ce retard à combler, la demande globale continue de croître, avec 87 MW supplémentaires attendus des projets de développement en cours. Pour répondre à ces enjeux, plusieurs projets sont déjà en préparation : un appel d’offres pour 100 MW de solaire, l’installation d’un parc photovoltaïque flottant à Tamarin, la mise en service d’autres éoliennes à Plaine-des-Roches, ainsi que le développement de l’agrivoltaïque – une technique innovante qui consiste à installer des panneaux photovoltaïques au-dessus des cultures ou pâturages, permettant ainsi de produire de l’énergie tout en favorisant la croissance des plantes en dessous.

Le ministère négocie également avec la Mauritius Ports Authority afin d’identifier des terrains dans la zone portuaire pour développer en phase la production de 400 MW d’électricité. Ce projet de grande envergure, qui remplacerait progressivement les vieilles machines, s’inscrit dans une vision à long terme pour sécuriser l’approvisionnement en énergie. Par ailleurs, une des mesures avalisées au Conseil des ministres du 18 juillet concerne la poursuite de la transition énergétique par la promotion de l’autoproduction solaire.

Le CEB a ainsi lancé un appel à candidatures auprès des clients éligibles souhaitant bénéficier de kits photovoltaïques fournis gratuitement. Cette initiative comprend la mise en place de quelque 1 000 kits dans la Phase 2 du CEB Renewable Energy Scheme, destinée aux organisations religieuses, aux ONG et aux institutions caritatives. Par ailleurs, environ 2 000 kits supplémentaires seront installés dans la Phase 2B du CEB Home Solar Project, chez des ménages répondant aux critères sociaux, notamment ceux inscrits au registre social, bénéficiaires d’allocations de la National Social Inclusion Foundation, résidents des logements de la National Development Company ou de la New Social Living Development, éligibles au Communities Engagement Programme (projet écovillage) du CEB, ou enregistrés sous le Social Tariff (Tariff 110A) du CEB.

L’idée est de lancer dès maintenant des projets à moyen et long termes, pour pouvoir à terme se passer de solutions temporaires comme la barge, les centrales mobiles ou batteries, souligne Patrick Assirvaden. Outre les actions visant à diversifier les sources d’énergie, à renforcer les infrastructures du réseau et à optimiser l’efficacité énergétique, une campagne de sensibilisation est prévue pour encourager un usage responsable de l’électricité et limiter le gaspillage.

Perspectives

Face à la crise énergétique, l’expert en énergie et président de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA), Khalil Elahee, apporte son éclairage sur les priorités à adopter. «La priorité est définitivement d’engager tous les secteurs, mais aussi les consommateurs et le public, dans un effort national de sobriété énergétique. Lors du lancement de l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) il y a plus de 10 ans, il y avait un slogan : Konn servi lernerzi ou ki pou sorti gagnan.»

Khalil Elahee précise que cela ne se limite pas à éteindre les lampes inu- tiles, mais concerne surtout «ce qu’on appelle l’efficacité énergétique. Get more with less energy, par exemple avec des réfrigérateurs répondant aux normes les plus élevées.» Il souligne aussi la nécessité d’éduquer la population à ne pas régler les climatiseurs trop bas, notamment à 17°C. Les projets gouvernementaux comme le «time of use tariff» ou les «Minimum Performance Standards» sur les appareils devraient contribuer à ces efforts. Il ajoute «qu’il faut engager les gros consommateurs car à eux seuls ils représentent la majorité de notre demande. Il faut concentrer les efforts sur eux. Il faut aussi les inviter à installer des panneaux PV avec des batteries pour vendre sur le réseau aux heures de pointe».

Concernant les perspectives à moyen et long termes, Khalil Elahee explique qu’il est crucial «d’activer les projets d’énergies renouvelables qui ont accumulé trop de retard». Il rappelle aussi qu’il faut encourager la ventilation naturelle et l’éclairage solaire, en précisant que «même les ventilateurs sont bien moins énergivores que les climatiseurs». Il évoque également les air coolers, certains alimentés par des panneaux photovoltaïques avec batteries, et souligne que «notre problème n’est pas autant les températures que l›humidité ambiante élevée. Il faut donc des déshumidificateurs efficaces.» L’expert conclut en insistant sur le fait que «pour le court terme comme le long terme, les nouveaux projets peuvent et doivent produire une partie au moins de leurs besoins énergétiques. Tout montre que cela est dans l’intérêt des promoteurs. Finalement, il faut que les bâtiments publics donnent l’exemple car ils ne sont pas sobres en consommation d’énergie. »

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