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Bilan environnemental
Contraste : des années d’efforts de restauration corallienne menacées
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Bilan environnemental
Contraste : des années d’efforts de restauration corallienne menacées

À l’heure où Maurice participe à la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3), une décision prise par le ministère de l’Agro-industrie, de la sécurité alimentaire, de l’économie bleue et de la pêche vient de jeter un froid parmi ceux engagés dans la restauration des coraux. En effet, le Cabinet a avalisé, le 16 mai, la mise en œuvre des mesures par le ministère de tutelle pour sauvegarder les récifs coralliens existants, en vue de leur restauration et de leur réhabilitation autour de l’île en raison d’une grave dégradation et d’épisodes de blanchiment massif. Nous avons sollicité le ministère de l’Agro-industrie sur ces mesures. On nous a fait part d’un communiqué expliquant sa décision. Celui-ci indique que cette décision fait suite à «une série de relevés scientifiques effectués par le ministère dévoilant des faits troublants.»
«Face à la dégradation des récifs et aux épisodes de blanchiment observés dans les lagons ces derniers mois, le ministère de l’Agro-industrie, de la sécurité alimentaire, de l’économie bleue et de la pêche a décidé d’effectuer un audit scientifique afin de réévaluer l’efficacité des fermes de corail faisant l’objet d’une autorisation pour la propagation de coraux vivants dans le lagon.. Selon les résultats de cet audit, les données ont corroboré les constats alarmants de certaines organisations non gouvernementales.», indique-t-on.
L’audit a démontré que «le taux de survie des coraux dans ces fermes varie en général entre 0 et 10 %, avec dans certains rares cas un taux pouvant atteindre les 30 %, alors qu’ils auraient sans doute mieux survécu dans leur milieu naturel. De plus, certaines fermes coralliennes ont été laissées à l’abandon, créant un danger pour les utilisateurs de la mer et pour la navigation (comme illustré par les photos). Un usage abusif des permis accordés a également été constaté, avec la mise en place de structures illégales en mer ou pour mener des activités commerciales illicites».
«Sur la base des dernières données scientifiques et des relevés effectués par l’Albion Fisheries Research Centre, le ministère a ainsi pris la décision de ne plus autoriser la reproduction des coraux par bouturage en utilisant des structures en mer pour les pépinières de coraux. Cependant, ayant la ferme conviction de protéger nos récifs coralliens et étant toujours fortement engagé envers l’Objectif de développement durable (ODD 14) des Nations unies sur les océans, le ministère privilégiera et encouragera désormais d’autres méthodes de restauration de coraux innovantes ayant démontré un taux de survie acceptable, sans prélèvement de coraux vivants..»
D’après le ministère de l’Agro-industrie, certaines fermes coralliennes ont été laissées à l’abandon, créant un danger pour les utilisateurs de la mer et pour la navigation.
De ce fait, le ministère soutient qu’«il continuera à soutenir les efforts des organisations non gouvernementales (ONG) et des citoyens engagés pour une transition vers la reproduction sexuée des coraux, pour des actions de réhabilitation plus durables et plus efficaces ainsi que pour le retrait des structures installées dans le lagon par les opérateurs des fermes de corail».
«La protection de la biodiversité marine reste une priorité», avance le ministère.
L’incompréhension des ONG
Cette décision risque de compromettre des années de progrès dans la restauration des récifs et elle a été prise sans consultation préalable des principales parties prenantes scientifiques ou du public, selon les ONG. «Alors que Maurice est représentée à l’UNOC 3 par deux hauts dignitaires du pays pour réfléchir collectivement à la conservation et à l’utilisation durable de l’océan, que peuvent-ils dire de la situation chez nous ? Quel message peuvent-ils porter sur la scène internationale quand à Maurice même, des décisions majeures concernant la restauration corallienne sont prises sans aucune consultation des parties prenantes ?», se demande Sébastien Sauvage, le directeur général d’Eco-Sud.
Le 2 mai, lors d’un atelier national organisé par Eco-Sud, les autorités avaient assuré, indique-t-il, que toute politique sur les techniques de restauration ferait l’objet de discussions avec les acteurs concernés. «Mais deux semaines plus tard, des mesures ont été soumises au Conseil des ministres – sans concertation, sans transparence – visant à restreindre certaines techniques pourtant appuyées par des années de collaboration entre institutions, société civile et partenaires internationaux.»
Dans un contexte où 84 % des récifs mondiaux sont affectés par le blanchiment, il s’interroge sur l’absence d’une politique fondée sur les données scientifiques, l’expérience locale et l’engagement communautaire. «Et surtout, comment espérer être crédible à l’international si le dialogue national est ignoré ?»
Outre Eco-Sud qui travaille sur des projets de restaurationdepuis 2018, c’est l’incompréhension pour d’autres ONG telles qu’EcoMode Society.
«C’est une décision qui a été prise sans aucune consultation», a réagi Nadeem Nazurally d’EcoMode Society, biologiste marin et chargé de cours à l’Université de Maurice. «Alors que le monde a recours à la technique éprouvée de restauration des coraux, cette décision est vraiment incompréhensible. Qui sont les scientifiques qui ont pris cette décision ? Sur quelle base ?»
Le biologiste marin, Nadeem Nazurally, est une figure très connue du monde de la mer et de la défense de l’environnement depuis plusieurs années et s’est investi avec la collaboration des ONG engagées dans le même combat pour la restauration des coraux autour de l’île. «Ayant passé plus de dix ans à restaurer des récifs coralliens, à encadrer de futurs scientifiques marins et à travailler avec des communautés locales et des partenaires internationaux, j’ai toujours cru en l’importance d’une action scientifique pour nos océans. L’océan appartient à tout le monde. Sa santé influe sur les moyens de subsistance, la biodiversité, la résilience climatique et l’avenir de nos enfants. Les décisions qui le concernent doivent être transparentes, concertées et fondées sur la science, et non sur des hypothèses.»
Nadeem Nazurally ne comprend pas cette décision d’autant plus que sur les sites où des restaurations sont en cours dans plusieurs régions comme à Pointe-d’Esny, Pointe-aux-Feuilles, La Cambuse ou encore Trou-aux-Biches, il y a des bancs de poissons, des concombres de mer et même des espèces en voie de disparition. «Nos sites de restauration ne sont pas des décharges ; ce sont des écosystèmes. Ils sont porteurs d’espoir. De plus, ces sites ne représentent aucun danger pour les personnes qui nagent aux alentours. Les touristes aiment voir toutes les espèces de poisson qui s’y regroupent, alors que sur des sites coralliens naturels, il n’est pas recommandé de nager.»
Il s’interroge aussi sur le devenir d’un projet en cours financé à hauteur de 10 millions de dollars par l’United Nations Development Programme pour Maurice et les Seychelles qui doit prendre fin en 2026. Est-ce que ce projet aussi va être stoppé brutalement ? Et quid des nombreux pêcheurs qui ont reçu des formations spécifiques financées par l’État afin de comprendre l’importance des coraux dans nos lagons ? Autant de questions qui demeurent sans réponse alors que l’urgence du blanchiment des coraux affecte non seulement notre île, mais aussi beaucoup de pays à travers le monde.
Les ONG, Actuellement à Nice, concernées par cette décision
Nadeem Nazurally rejette le fait qu’un site de restauration avec des structures en métal a été laissé à l’abandon, et affirme avoir des preuves avec des photos et des notes sur sa visite sur ce site. «Il y a régulièrement des visites organisées pour les élèves et tous ceux ayant visité ces sites s’accordent à dire qu’ils sont exceptionnels et remplis de poissons. Alors, il est où le problème ? Si on enlève toutes les structures métalliques placées pour la restauration corallienne, où iront les poissons ? Partout dans le monde, les recherches qui ont été faites ont démontré que les projets de restauration sont utiles, faisables et couronnés de succès. Je reçois des mails d’ONG actuellement à Nice pour le Sommet de l’océan et elles semblent très concernées par cette décision prise par les autorités mauriciennes.»
Les structures métalliques utilisées pour la restauration corallienne, comme les «reef stars», sont des supports artificiels qui permettent la recolonisation de coraux sur les zones endommagées ou détruites. Elles facilitent l’attache des fragments de corail, offrant une surface pour leur croissance et créant un habitat pour la faune marine.
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