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Reportage

Courses de chevaux : la passion insoupçonnée des Malgaches

28 août 2024, 16:11

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Courses de chevaux : la passion insoupçonnée des Malgaches

Pour la toute première fois, une délégation de la presse mauricienne, invitée par l’Autorité hippique pour les courses et l'élevage de chevaux à Madagascar (AHCEL), s’est rendue à l’hippodrome de Mahazina, à Ambatolampy, pour assister à la dernière journée du calendrier hippique malgache. Malgré des moyens rudimentaires, l’absence de «betting» comme on l’entend à Maurice, un niveau de compétition assez bas et une organisation perfectible, la passion est incroyable. L’événement a attiré plus de 10 000 personnes.

La route d’Antananarivo à Ambatolampy est longue ! Après des heures de trajet, en contemplant le paysage magnifique offert par la dixième plus grande île au monde, on ne peut qu’être frappé par la beauté du panorama. Toutefois, la misère qui y règne est affligeante. Le but de notre visite : découvrir l’industrie hippique.

Après trois heures de route sinueuse, avec des dénivelés à donner le tournis, des nids-de-poule ressemblant à des cratères creusés par des obus, et une conduite malgache qui fait parfois peur, nous arrivons à l’hippodrome de Mahazina. People’s Turf Plc (PTP) sera le principal sponsor de l’événement. Des journalistes mauriciens et le Chief Executive Officer de PTP, Khulwant Ubeeram, ont fait le déplacement. Le magnat des jeux, Jean-Michel Lee Shim (JMLS), était attendu mais un vol retardé l’a contraint de visiter la piste le lendemain.

Le spectacle du jour, avec cinq courses programmées, commence à 14 heures. Entretemps, les gens affluent, l’impatience est palpable. Les turfistes prennent place dans les gradins, le long de la ligne droite finale, au milieu de l’hippodrome, et les officiels s’installent sur une plateforme de fortune juste devant le poteau. Les paris sont assez rudimentaires ; il n’est pas possible de miser sur un gagnant, mais plutôt sur des combinaisons telles que le tiercé ou le quarté. La mise maximale par ticket est de 1 000 ariary, soit environ Rs 10 chez nous.

Comment tout cela fonctionne ? Soutenue par la commune urbaine d’Antananarivo, l’AHCEL organise les courses sous l’autorité hippique du pays. Le calendrier 2024 prévoyait 12 semaines de courses, dont la dernière s’est tenue dimanche dernier. L’hippodrome de 1 100 mètres est très raide, avec du sable, de la terre et de l’herbe. La poussière est omniprésente en raison du vent qui souffle fortement en ce moment. En revanche, le circuit est parfaitement dégagé de tout caillou.

Il n’y a pas de stalles de départ ; l’utilisation d’un élastique est la norme. Pas de photo-finish non plus ; le gagnant est officialisé après visionnage des images d’une caméra placée devant le poteau. Les jockeys sont pesés sous les loges, et la chambre qui leur est destinée est située derrière la plateforme servant de loges. Les entraîneurs, payés par l’AHCEL, entraînent leurs chevaux deux fois par semaine sur l’hippodrome.

Le président de l’AHCEL, Michelson Rakotoarisoa, loge ses chevaux sur place. Il en possède plusieurs et dispose de deux entraîneurs. Les autres propriétaires, dont Eugène Rakotondramary et Alain Lalatahiana, ont également des entraîneurs à leur disposition ou sont eux-mêmes entraîneurs, et leurs chevaux résident chez eux. Les vastes terrains où ces chevaux sont élevés, chez des propriétaires, feraient pâlir d’envie les grands propriétaires fonciers mauriciens. Les chevaux sont acheminés vers l’hippodrome le jour des courses.

La passion se lit sur le visage de nos hôtes malgaches dès qu’on parle de chevaux. Voir des entraîneurs, propriétaires et turfistes s’extasier devant une arrivée, malgré les mises minimales et le caractère essentiellement ludique des paris, est impressionnant. Le stress, au point de ronger ses ongles, tout en priant les dieux avant le départ et en suivant du regard chaque geste de son coursier dans le rond (ou plutôt le carré) de présentation, démontre à quel point la passion dépasse la raison chez le peuple malgache. La propriétaire d’America de Steller, Anouk Isouard, en est l’illustration parfaite.

L’événement rassemble la ville le temps d’une rencontre autour du cheval. Le long de la route menant à l’hippodrome, des vendeurs à la sauvette proposent boissons et nourriture. À l’intérieur de l’hippodrome, plus particulièrement au milieu de la piste, un concert est donné toute la journée, et les commerçants en profitent pour gagner leur vie. Les enfants font des tours de manège. La fête est au rendez-vous, et les familles s’amusent ensemble.

L’industrie actuelle malgache, forte de ses 121 ans d’histoire en novembre, est dirigée de main de maître par le président de l’AHCEL, Michelson Rakotoarisoa, âgé de 92 ans, avec l’aide de sa femme, Danielle, agissant comme secrétaire. Cette industrie fait penser à Maurice il y a 30 ou 40 ans de cela. L’enthousiasme et la passion des Malgaches sont le carburant d’une industrie qui aspire à franchir un nouveau cap. Pour Mamy Tiana Raberaona, chargée de communication de l’AHCEL, «les courses malgaches méritent de franchir un cap pour briller sur la carte régionale». Quant à Michelson Rakotoarisoa, il n’est pas question de «tirer du pain de la bouche des Mauriciens en délocalisant à Madagascar, mais plutôt de travailler en tandem avec des partenaires mauriciens». À 92 ans, c’est le doux rêve du président de l’AHCEL !

Et que vient faire JMLS à Madagascar ? Le magnat des jeux mauriciens est en voyage de prospection. Il a déclaré avoir entendu l’appel de l’AHCEL dans sa quête de renouveau pour l’industrie hippique malgache. Plusieurs projets sont à l’étude, notamment un investissement dans l’infrastructure de l’hippodrome, une meilleure organisation des courses et un encadrement structuré de tout l’écosystème autour du projet malgache. L’intérêt certain de JMLS demeure aussi, voire surtout, autour de l’élevage sur la Grande île. Nous reviendrons ultérieurement sur les ambitions de la galaxie JMLS à ce sujet.

coupe.jpeg Le CEO de PTP, Khulwant Ubheeram, a offert une coupe aux propriétaires du cheval gagnant de l’épreuve principale. Les propriétaires sont le président de l’AHCEL, Michelson Rakotoarisoa et Danielle Rakotoarisoa, secrétaire de l’association

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hotesse.jpeg Les hôtesses de l’événement se sont chargées d’accueillir chaleureusement les invités mauriciens

jockey.jpeg Le jeune jockey Mikeal serait promis à un bel avenir.

publique.jpeg On ne rate pas une miette dans les loges.

admirant.jpeg **C’est sur le toit des véhicules que certains ont souhaité vivre leur passion. Cela ne vous rappelle rien ?

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Bref historique de cette industrie hippique

Les courses hippiques, à l’instar du théâtre, ont été introduites par l’administration coloniale à Madagascar, à des fins ludiques et de divertissement. C’est à l’orée de 1903 que l’hippodrome de Mahamazina (NdlR, actuel stade Barea) abritait ses toutes premières courses, sous la houlette du général Gallieni. À partir des années 60, l’infrastructure se mue en stade pour pouvoir accueillir des événements d’envergure comme les Jeux de la francophonie ou encore les Jeux des îles de l’océan Indien. Madagascar dispose de quatre grands hippodromes : Antsirabe, Ambatolampy, Antananarivo et Barikadimy. Actuellement, seuls ceux d’Ambatolampy et de Bevalala sont fonctionnels.

Jonathan CHATIGAN (De Madagascar)