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Kronik KC Ranzé

Cruelles vérités

19 mai 2024, 18:20

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Cruelles vérités

Cela m’aura pris 48 minutes pour traverser Port-Louis de sa sortie nord à sa sortie sud lundi d’avant. Ce parcours ne doit pas faire bien plus que 2 kilomètres ? Vendredi, une superbe Porsche verte verdoyante, qui me dépassait rapidement à hauteur de Montagne-Ory sur la M1, se retrouvait à ma hauteur 10 minutes plus tard, à l’entrée sud de Port-Louis, ayant probablement été bloquée par une file de véhicules plutôt revêche... Une Porsche, ça doit afficher du 260 km/h à son tableau de bord, non ? Une gentille dame d’un certain âge a vu un de ses pneus éclater DEUX FOIS en 15 jours alors que sa voiture entrait dans un trou routier aux bords coupants à souhait. Or, les voitures modernes, électriques, n’affectionnent plus, ni ne véhiculent, des «Stepney». Il faut donc, maintenant, remorquer, payer pour une nouvelle paire de pneus et attendre un jour ou deux pour être dépanné !

À l’avenue Black Rock, à Tamarin, je slalome dans tous les sens, comme tant d’autres, sur une partie largement défoncée de la route, pour éviter les nids-de-poule de plus en plus agressifs. WHO CARES ? Mardi matin, le trafic de Cascavelle à Gros-Cailloux était englué au point où il a fallu 39 minutes pour prendre l’embranchement vers le SAJ Bridge. Il y avait UN camion en panne ! Le SAJ Bridge, par contre, je ne l’ai jamais connu autrement que fluide jusqu’ici…

Ces quelques exemples illustrent combien il est futile de lancer de grands chantiers et d’inaugurer de grands travaux, si au bout du compte, les petits travaux de maintenance ne sont pas faits et si les problèmes fondamentaux d’embouteillages ne sont pas résolus ! D’autant plus qu’il serait sans doute possible, de démontrer que les grands travaux, style by-pass, overpass, ponts et autres, ne font que déplacer les goulots d’étranglement ailleurs ! Il est vrai que l’on pourrait arguer que, sans ces travaux, la situation serait bien pire ! Cependant c’est là un argument qui n’est ni très rassurant, ni très probant, après que des milliards ont été dépensés en métro, en bypass, en routes nouvelles, en bus low-floor, etc., sans que l’on ne souffre moins d’embouteillages qui énervent, autant qu’ils sont dysfonctionnels. Les ministres, eux au moins, ont des motards pour leur ouvrir la voie…

Faut-il absolument ralentir le déploiement des véhicules sur nos routes ? Plus taxer l’essence et les voitures à l’importation ? Imposer le péage à l’entrée des villes encombrées ? Pas très attractif, politiquement parlant, tout ça…

Pas très culturellement compatible non plus dans un pays où l’on préfère se plaindre continuellement des problèmes, plutôt que d’assumer les sacrifices qui pourraient aider à les résoudre ! Le problème est qu’il y a bien trop de véhicules par kilomètre de route et que la situation se dégrade. Voilà la cruelle vérité !

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On se plaint de plus en plus de la situation sur le marché du travail. On parle notamment depuis quelques années de main-d’oeuvre non disponible, de qualifications et d’aptitudes non conformes aux besoins des entreprises, d’attitudes déplorables au travail, de crise migratoire qui voit nos techniciens et nos jeunes privilégier l’expatriation, de fermetures intempestives de bureaux, à la moindre alerte de forte pluie. Encore heureux que le pays semble toujours être en mesure d’attirer des étrangers à venir travailler ici ! Cependant, il est clair qu’en conséquence, sur le plan de la balance des paiements, les salaires qui s’expatrient sont nettement plus forts que ce que nos expatriés renvoient au pays. Ainsi, en 2023, la balance des paiements affichait Rs 3 milliards de crédits reçus et notait Rs 9,8 milliards de débits vers l’étranger… La situation nette, qui était de Rs 5,9 milliards en 2022, se détériore à Rs 6,8 milliards en 2023 ! À surveiller ?

Quelques anecdotes pour illustrer la situation. Un magasin prestigieux à Bagatelle a besoin de vendeurs avec connaissances de ses produits électroniques spécialisés. Onze jeunes se montrent intéressés et téléphonent. Huit sont choisis pour une interview qu’ils confirment. PERSONNE ne vient à son rendez-vous !

Dans un restaurant à Chamarel qui fait de l’authentique cuisine créole «letan lontan», on rencontre la patronne, d’un certain âge, qui fait la plonge, ne pouvant trouver du monde disposé à travailler. Sa description du problème est intéressante. Elle pointe du doigt la recherche de l’argent «facile» : drogue, petites rapines, jeu. Elle dit aussi que le gouvernement aide trop et que cela mène à la paresse. En langage imagé, elle dit : «Bann-la dormi anba ATM, zot atann larzan gouvernman.» C’est vrai qu’à force d’aider et de rendre de plus en plus de services gratuits, on court le risque de finir avec une mentalité indécrottable d’assistés. Comme nous le reprochions, nous-mêmes fiers, à nos voisins réunionnais il y a quelques années.Ce sera insoutenable dans le temps. Même si cela permet de gagner des élections…

Une maison de retraite cherche du personnel. Le fait savoir sur les réseaux sociaux, sur ses réseaux informels de «contacts», pose une affiche sur sa porte d’entrée. Au bout de quelques semaines : AUCUNE application reçue.

Le mot flou et souvent arbitraire de «harassment», qui est désormais dans la loi du travail, est de plus en plus utilisé par des employés qui sont rabroués, pour faire des reproches (et des procès) à l’employeur qui n’exige, a priori, que le respect d’un contrat de travail, de la productivité et des résultats.

Une compagnie qui emploie quelques expatriés a été mise sur une liste d’attente de deux jours par sa banque, avant d’accéder aux devises nécessaires. Dans une autre compagnie, n’ayant pu accéder aux devises nécessaires pour payer des importations, la banque a proposé un découvert, avec les risques de perte de change que cela implique, bien sûr !

Nous sommes au coeur d’un problème qui est bien trop complexe pour une chronique de journal. C’est évident. Mais on peut tenter d’en résumer quelques aspects comme suit :

Le développement économique, surtout quand très fortement basé sur la consommation, comme chez nous, sans compter qu’il met une immense pression sur la balance commerciale et celle des comptes courants (avec des conséquences directes sur la valeur de la roupie et l’accès souple aux devises), change aussi la mentalité d’un peuple ! Nous ne sommes plus au temps où les marchandises étaient derrière le comptoir à la boutique ou au magasin, mais à celui, beaucoup plus tentant du supermarché ou du «open display», où tout est exposé, palpable, y compris des produits de «luxe» qu’on voudrait bien essayer, puisqu’apparemment «à portée de main». Or, le décalage entre les prix affichés qui montent inexorablement et les revenus au portefeuille qui ne grimpent pas aussi rapidement crée, dans cette réalité consumériste débridée, une immense pression pour des exigences salariales plus fortes, l’émigration ou la recherche d’argent facile. Les emplois du bas de la pyramide, personne n’en veut plus. On s’adressera donc de plus en plus aux Bangladais et aux Népalais ! Plus haut dans la pyramide, l’étranger qui vient ici arrive avec ses habitudes et ses prétentions et aspire les prix vers le haut. Que ce soit l’immobilier, les loyers, la domesticité et autres, l’expatrié, souvent payé en devises, fait valoir la supériorité de son pouvoir d’achat.

Or, il est un seul moyen connu de satisfaire des aspirations d’un meilleur niveau de vie de manière crédible et durable. Il faut être plus productif ! Or le PIB généré par heure de travail, à seulement 25,5 $, nous classe 65e mondialement, en 2023, selon l’OIT (*). Nous sommes ainsi classés après le Gabon et juste avant l’Iraq ! Comment pourrions-nous aspirer à plus que notre rang au tableau de la productivité ? Les para-étatiques inutiles, les emplois pour les protégés (y compris dans le privé), la mauvaise gestion, les dysfonctionnements à l’hôpital, sur les routes, l’école, un port improductif, tout s’ajoute (ou se soustrait…) pour nous handicaper dans nos aspirations…

Si l’on veut progresser, il faudrait travailler plus et mieux, dans des postes à plus forte valeur ajoutée. Pour cela il faudrait un parcours scolaire moins académique, des formations plus affutées. Il faudrait aussi un environnement plus incitatif pour des investissements productifs plus aspirationnels. Le gouvernement rêve d’industrie pharmaceutique, d’intelligence artificielle, de Fintech, de la technopole de Côte-d’Or ou 80 % de ce parc sont apparemment déjà loués (**) , mais il reste à démontrer que les ressources humaines suivent, que l’éthique du travail s’améliore, que les lois du travail sont en adéquation et que l’environnement des affaires souffre moins de nos petitesses d’esprit et des dérapages réguliers que nous constatons, sur le plan de la démocratie, de bavures policières, d’accès aux devises et de stabilité des prix…

Il faudra travailler plus et mieux ! Tout le reste est fugace et illusoire…

(*) Wikipedia l List of countries by labour productivity

(**) Landscope Mauritius l Landscope Mauritius lance la ‘Côte d’Or Technopole’