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Interview d’Ehsan Juman
«Dans certains faubourgs de la capitale la drogue est vendue au vu et au su de tout le monde sans aucune action de la police»
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Interview d’Ehsan Juman
«Dans certains faubourgs de la capitale la drogue est vendue au vu et au su de tout le monde sans aucune action de la police»
Le député rouge aura beaucoup fait parler de lui en fin d’année pour son intrusion dans des hôpitaux pour lever le voile sur des dysfonctionnements évidents ; avant cela, c’était dans l’enceinte portuaire pour en souligner le manque de sécurité. Il revient pour «l’express» sur ces risques pris par rapport à un speaker «bouncer» et dit son refus «d’être bâillonné».
Combien de fois avez-vous été expulsé par Sooroojdev Phokeer et pour combien de séances avez-vous été suspendu ?
Étonnamment, je suis un des rares parlementaires de l’opposition à ne pas avoir été régulièrement expulsé par le speaker, quoique j’ai souvent été réprimandé. Il doit avoir un petit faible pour moi, sans jeu de mots ! J’ai été expulsé à trois reprises seulement durant ces quatre dernières années, si ma mémoire ne me fait pas défaut. L’une remonte au 12 juillet 2022 quand j’ai utilisé le terme «haute trahison» alors que le Premier ministre répondait à une question sur l’affaire sniffing. Et l’autre date du 7 novembre dernier quand j’ai refusé de présenter des excuses pour des propos que j’avais tenus dans les colonnes de l’express par rapport à une rencontre du ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, dans l’enceinte de l’Assemblée nationale et la troisième, c’est récemment quand j’ai été suspendu pour deux séances.
Je maintiens d’ailleurs ce que j’ai dit les trois fois. Que le speaker prenne bonne note et qu’il m’expulse de nouveau à la rentrée, s’il le veut. Je refuse d’être bâillonné ! Je dénonce avec force la façon dont mes collègues de l’opposition sont expulsés pour un oui ou pour un non, et surtout la façon dont le speaker veut nous réduire tous, dans l’opposition, au silence. Mais je dois saluer l’opposition parlementaire pour sa patience et sa persévérance, malgré les dérives antidémocratiques au Parlement. Croyez-moi, ce n’est pas évident de travailler dans de telles circonstances. Malgré tout, on abat ensemble un travail formidable et l’on a pu révéler bon nombre de magouilles, scandales et mauvaises gestions du gouvernement.
L’expulsion du 7 novembre trouve son origine dans le fait que vous aviez parlé à «l’express» d’une réunion entre Jagutpal et trois religieux dans le «Committee Room» alors que c’était dans une autre salle. C’était aussi grave que cela ?
Ce n’était ni plus ni moins, une complicité entre le speaker et le gouvernement pour noyer le poisson. Ce qu’il faut retenir, c’est que le ministre Jagutpal a rencontré trois religieux à l’Hôtel du gouvernement pour menacer de prendre des sanctions contre un autre religieux, employé de la Santé, dans le sillage des révélations que Shakeel Mohamed et moi-même avions faites sur les conditions hygiéniques et sanitaires à l’hôpital Jeetoo. Le ministre Jagutpal a carrément donné une tournure communale à cette affaire alors que tout cela ne relevait tout simplement que d’une question d’administration.
C’est très grave et dangereux ce qu’il a fait car il prend des décisions administratives et disciplinaires pour lesquelles il n’a pas d’autorité. Si un fonctionnaire a fauté, il doit laisser les autorités compétentes s’en charger. Ce qui me rappelle l’affaire des achats sous l’emergency procurement. Le rapport du Public Accounts Committee (PAC), signé par Reza Uteem, mais aussi par des députés du gouvernement, a fait état, rappelonsle, d’aveux de fonctionnaires du ministère de la Santé que «the Minister received instructions and we execute as executors of decisions, of policy decisions» alors qu’il fallait laisser cette décision entre les mains du département de procurement, en suivant les procédures établies. Mais ce gouvernement n’a cure de la bonne gouvernance. Ce qui importe, c’est de protéger ses chatwas ki pa met dilwil dan zorey. La politique communaliste et divisionniste du gouvernement est déplorable et condamnable. Je fais confiance au discernement de la population pour qu’elle ne se laisse pas berner par cette politique malpropre et malsaine qui est ancrée dans l’ADN du Mouvement socialiste militant (MSM).
Justement en parlant du ministre de la Santé, vous avez été, avec Shakeel Mohamed, celui qui a mis au jour l’état déplorable de l’hygiène à l’hôpital Jeetoo. Mis à part les dénégations et contreaccusations de Jagutpal, vous a-t-on informé si l’hygiène s’est améliorée ?
Tout comme Shakeel Mohamed, je ne compte plus le nombre de messages de dénonciation que je reçois au quotidien, que ce soit sur les conditions hygiéniques, les mauvais traitements ou le manque de médicaments. Pour que tout soit réglé, il faut d’abord un changement à la tête non seulement du ministère de la Santé, mais du gouvernement ! Mais en attendant, je note quand même avec une certaine satisfaction que certaines mesures ont été prises à la suite de mes dénonciations. Comme les grands coups de Karcher et de peinture qu’on a donné au lendemain de mes révélations, ou le nettoyage effectué le même jour dans le store de l’hôpital Jeetoo. J’ai pu aussi intervenir discrètement à de nombreuses reprises pour résoudre certains problèmes. Je fais ce que je peux, comme le font aussi d’autres députés de l’opposition, dans de pareilles circonstances. On ne peut pas rester les bras croisés quand nos compatriotes souffrent.
Parlons de votre autre intrusion au port. La sécurité y a-t-elle été renforcée depuis ?
Permettez-moi de vous renvoyer à la réponse donnée par le Premier ministre lui-même au Parlement le 12 décembre. Il s’avère, selon ses propres aveux, que plusieurs mesures correctives ont été prises suivant ma visite au port. Ce qui sous-entend qu’il y avait effectivement des failles dans la sécurité portuaire, ce qui avait d’ailleurs permis à d’autres personnes d’y avoir accès, comme le Premier ministre l’a lui-même révélé. Ma démarche a donc eu l’effet escompté et j’estime que la sécurité du pays en sort gagnante.
Vous avez fait éclaté un autre scandale : celui du carburant acheté de MMG par la State Trading Corporation (STC). Avez-vous finalement pu avoir les informations que vous recherchiez telles que le prix payé, le taux de conversion utilisé, le coût du fret et la destination des roupies payées par la STC à MMG ?
Rien jusqu’ici. C’est motus et bouche cousue de la part de la STC et du gouvernement. Ce qui ne m’étonne pas vraiment, le devise de ceux qui nous gouvernent étant scandaleusement l’opacité. Les explications données ne sont guère convaincantes, comme c’est le cas pour d’autres dossiers également. La STC a été au cœur de pas mal de scandales dans le sillage des emergency procurements, dont une partie a été financée par cet organisme. Malheureusement, c’est toujours le peuple qui en paie les conséquences, qu’il s’agisse de Betamax, du riz «ration» ou du prix élevé des carburants.
Vous aviez aussi parlé d’étudiants étrangers qui vendent de la drogue à Maurice. Qu’en est-il ?
Je m’étonne que les autorités n’en sachent rien alors que le Premier ministre prétend vouloir «kas lérin» des trafiquants et que la Special Striking Team (SST) a été mise sur pied pour lutter contre ce fléau. La drogue se vend comme des petits pains dans tous les coins et recoins du pays, y compris dans les établissements scolaires. Dans certains faubourgs de la capitale, il y a des foires où la drogue est vendue, au vu et au su de tout le monde, sans qu’aucune action ne soit prise par la police. Ce fléau fait de plus en plus de ravages dans notre société. Les victimes rajeunissent et se féminisent alors que les trafiquants restent impunis, voire protégés. Malgré les grosses saisies, les barons restent introuvables. Dans l’affaire Franklin, par exemple, aucune enquête n’a été ouverte sur l’aspect trafic de drogue. Ce qui interpelle aussi, c’est la complicité qui semble exister entre certains policiers influents et des barons de la drogue. N’a-t-on pas entendu parler de «kas fann» dans l’affaire Sabapati ?
Quid de Pack & Blister ?
Encore un autre scandale qui ne cesse de nous surprendre ! Plus de 40 mois plus tard, alors que la pandémie de Covid-19 est derrière nous, nous n’avons toujours pas de respirateurs, et encore moins de remboursement. Ces appareils défectueux ont coûté la bagatelle de Rs 476 millions à l’État. Et rien qu’un avis légal recherché par le gouvernement mauricien dans ses tentatives d’entamer des poursuites légales aura coûté 15 000 euros. C’est scandaleux ce que ce gouvernement nous a fait subir en termes de négligence, de gaspillages, de copinage et de mauvaise gouvernance. Rappelons que les autorités ont bouclé ce deal à hauteur de centaines de millions de roupies en l’espace de trois heures.
À ce jour, on ne sait toujours pas où en est l’enquête de l’Independent Commission Against Corruption. Je ne pense pas que la vérité sortira sous ce gouvernement. D’autant que ce dossier sera maintenant transmis à la Financial Crimes Commission où ce sera un nominé politique qui décidera de son sort. Mais je donne la garantie à la population que le prochain gouvernement, qui sera dirigé par l’alliance Parti Travailliste (PTr) - Mouvement militant mauricien-Parti mauricien social démocrate fera la lumière sur cette affaire. Ceux qui ont joué avec la santé de la population et la trésorerie publique devront payer pour leurs actes. Ce n’est pas une question de vengeance, comme l’a fait le MSM contre des membres du PTr, dont le Dr Navin Ramgoolam en 2014, mais une question de transparence et de bonne gouvernance. Nous sommes maintenant en 2024, l’année des élections générales. Le compte à rebours a commencé. Le règne du MSM tire à sa fin…
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