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Rakesh Gooljaury

Dans l’œil de Judas

9 février 2025, 12:00

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Dans l’œil de Judas

Aujourd’hui derrière les barreaux, l’homme d’affaires, faiseur de merveilles, aura à choisir pour qui son coeur balance…

Rakesh Gooljaury, derrière ses grosses lunettes stylées dignes des stars hollywoodiennes, descendait de l’avion, dans lequel il voyage toujours en classe affaires. Ce jeudi-là, il revenait de l’Inde après une escale à Dubayy quand il a été cueilli par des officiers de la Financial Crimes Commission (FCC) pour une interrogation qui l’a conduit ensuite en cellule.

C’est son premier week-end derrière les barreaux, un changement drastique de style pour cet épicurien. «Avant sous l’ICAC de Navin Beekarry, ce scénario relevait de l’utopie. Au contraire, c’est lui qui appelait les adversaires du régime pour les menacer de possibles tracasseries de la part de l’ICAC, la CCID, la MRA», confie un enquêteur de l’ICAC, transféré dans le sillage du départ de Navin Beekarry.

Rakesh Gooljaury,51 ans, n’est pas du genre à taper du poing sur la table. Il parle avec une douceur infinie ou augmentée dans la voix et sans doute dans les yeux aussi, sauf qu’il enlève rarement ses lunettes. Il ne boit pas et ne fume pas, mais il aime rendre service aux Premiers ministres. Avant 2014, il ne jurait que pour Navin Ramgoolam, mais après 2015 et l’arrestation du leader des rouges, il ne roulait que pour Pravind Jugnauth, exécutant des besognes dans l’ombre.

Il aime être leur homme à tout faire, partageant plusieurs appels quotidiens avec les deux politiciens les plus puissants. Le faiseur de «merveilles» débauchait les activistes des partis de l’opposition en faisant miroiter des jobs, des opportunités et avantages, qu’il savait brandir avec un certain talent. «C’est un homme qui a du goût, qui est toujours parfumé de manière quelque peu excessive. Regardez comment il a fait fructifier l’enseigne Paul à Maurice. Il vient de reprendre l’espace qu’occupait Savinia, le restaurant d’un grand groupe, pour y placer Paul. La rénovation est très réussie. C’est une franchise avec plusieurs conditions et Rakesh a su relever le défi, du moins c’est la partie visible de ses affaires», explique un des anciens employés de Paul à Bagatelle.

L’homme d’affaires, qui avait mouché par rapport aux coffres forts de Navin Ramgoolam, est aujourd’hui rattrapé par une accusation provisoire de blanchiment d’argent, au côté de son frère Prameshwar Gooljaury. Retour sur le parcours singulier d’un homme d’affaires aux alliances mouvantes.

Dès son plus jeune âge, cet habitant de Petit-Verger, Saint-Pierre, nourrit un vif intérêt pour le business. Après sa scolarité, Rakesh Gooljaury se lance comme marchand ambulant, écoulant des textiles d’imitation de grandes marques. Fort de son succès et avec le soutien de certains «amis» influents au sein du gouvernement de 2003, il ouvre un commerce à Belle-Mare, spécialisé dans la vente de vêtements contrefaits. Cependant, face aux actions légales intentées par les propriétaires étrangers des marques, il se tourne progressivement vers des produits authentiques.

C’est à cette période qu’il commence à tisser des liens avec Navin Ramgoolam. Aux alentours de 2005, il fait la rencontre de Nandanee Soornack, alors en quête de vêtements de qualité pour ses boutiques situées dans des hôtels. Une collaboration étroite voit le jour entre les deux dans le secteur du commerce. À partir de 2009, Gooljaury s’implique activement dans la campagne pour l’élection partielle du n° 8, contribuant à la victoire de... Pravind Jugnauth.

Au côté de Nandanee Soornack et d’autres compagnons rouges, il cofonde quatre entreprises stratégiques : Airway Coffee, qui obtient le monopole de la restauration à l’aéroport ; Revel in Heaven, spécialisée dans l’import-export ; Top Gear Car Wash, bénéficiant d’un emplacement privilégié à l’aéroport ; et Pride Bridge Ltd, qui obtient des Pas Géométriques à Palmar pour un projet de thalassothérapie.

Toutefois, il faudra attendre 2011 pour que le nom de Rakesh Gooljaury soit connu du grand public dans le cadre de l’affaire Roches-Noires. Présent au bungalow de Navin Ramgoolam dans la nuit du 2 au 3 juillet de cette année-là, il avait affirmé qu’un vol y avait eu lieu avant de se rétracter lors des interrogatoires et d’avouer avoir menti.

Habitué à manœuvrer dans les cercles du pouvoir, l’homme d’affaires sait jouer ses cartes. Comme le révèlent plusieurs éditions de l’express, il se trouve à la tête de plusieurs enseignes, bien que son nom n’apparaisse pas officiellement. Derrière certaines boutiques hors-taxes de l’aéroport, commercialisant des marques telles que Swarovski, Michael Kors, Chloé ou encore Roberto Cavalli depuis octobre 2016, se cachait Rakesh Gooljaury.

Homme d’affaires-intermédiaire

Au-delà de ses investissements dans l’aéroport et l’import-export, le nom de Rakesh Gooljaury est également associé à plusieurs franchises présentes dans les grands malls, allant de la restauration à la vente de vêtements. Son flair pour le business ne fait aucun doute, et ceux qui l’ont côtoyé en témoignent. «Il ne fait jamais les choses à moitié. Pour la franchise de Paul à Bagatelle, il a transformé l’ancien emplacement du Savinia en un restaurant unique en son genre. Son exigence du détail et de la qualité est impressionnante», confirme l’un de ses proches.

Mais Gooljaury ne se limite pas au rôle d’entrepreneur. Il joue aussi celui d’intermédiaire de l’ombre auprès du pouvoir. «Ses adversaires comme ses alliés s’accordent à dire qu’il est un excellent recruteur politique. Lorsqu’une personne traverse une période difficile avec son parti, il sait exactement comment la rallier à la cause qu’il défend», révèle une source proche du milieu politique.

Depuis les élections de novembre 2024, Rakesh Gooljaury s’est volontairement éloigné de la scène politique. «Il ne veut plus refaire ce qu’il a fait. Sa relation avec le MSM ne s’est pas bien terminée. Avant même les élections, il avait déjà pris ses distances de certaines figures influentes du parti. Aujourd’hui, il préfère se concentrer sur ses affaires et se tenir à l’écart de la politique», confie une source proche.

Mais une chose est sûre : Gooljaury reste une véritable mine d’informations. «Ses connexions ne se limitent pas aux politiciens ; il entretient également des relations étroites avec les élites locales», souligne un observateur, qui a déjà eu affaire à lui. En dehors des affaires, l’homme derrière les lunettes de soleil accorde une grande importance à son bienêtre. «Il a une bonne hygiène de vie : il ne boit pas d’alcool, ne fume pas et est végétarien», révèle un proche. Passionné de sport, il veille à maintenir une discipline stricte. Très attaché à sa mère, il s’inquiète de la manière dont elle vit les récents événements. «Surtout en voyant ses deux fils arrêtés… Mais je peux vous dire que tout ce qui se passe en ce moment ne fait que le renforcer», confie un proche de Rakesh Gooljaury.

Durant près d’une décennie, de 2015 à 2024, Rakesh Gooljaury s’est rangé aux côtés de Pravind Jugnauth. Une alliance qui lui a valu d’être qualifié de «Judas» par Navin Ramgoolam lors de ses sorties publiques, estimant avoir été trahi par celui qu’il considérait autrefois comme un proche. Aujourd’hui, la Financial Crimes Commission (FCC), sous la direction de Sanjay Dawoodarry, poursuit ses investigations afin de déterminer l’implication des frères Gooljaury dans l’affaire des prêts toxiques auprès de Maubank. Une perquisition hier n’a rien donné, mais il est encore tôt dans le script écrit depuis longtemps.

Les deux frères fixés sur leur sort ce lundi

Rakesh Gooljaury et son frère Prameshwar devront patienter jusqu’à demain pour savoir s’ils seront remis en liberté. Vendredi, la police s’est opposée à leur libération, les maintenant en détention jusqu’au 14 février. Les deux hommes d’affaires font face à une accusation provisoire de blanchiment d’argent. Ils sont représentés par un panel d’avocats composé de Mes Siddhartha Hawoladar, Kailash Trilochun, Noor Hussenee et Kavi Veeriah. Une motion en faveur de leur remise en liberté a été déposée et sera débattue en cour demain à 13 h. L’affaire des «toxic loans» trouve son origine dans l’octroi de plusieurs prêts controversés par l’ex-MPCB, aujourd’hui MauBank, à quatre hommes d’affaires. Ces prêts, d’un montant total avoisinant Rs 1,5 milliard, font l’objet d’une enquête de la FCC, qui soupçonne un vaste réseau de blanchiment d’argent.

L’Affaire Roches Noires : Le blues du businessman

Les faits remontent à la nuit du 2 au 3 juillet 2011, lorsque des voleurs auraient fait irruption dans le bungalow de Navin Ramgoolam à Roches Noires. Rakesh Gooljaury avait d’abord affirmé qu’il s’y trouvait, avant de changer de version en 2015, après la défaite électorale de Ramgoolam. En avril 2016, l’homme d’affaires s’est rétracté, admettant avoir menti aux autorités. Il a finalement été condamné à 90 heures de travaux d’intérêt général, après un rapport favorable d’un «Probation Officer».

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