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Interview

David Collard : «Les personnes sans gros budgets peuvent désormais découvrir les joies d’un séjour à l’hôtel»

3 septembre 2023, 17:58

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David Collard : «Les personnes sans gros budgets peuvent désormais découvrir les joies d’un séjour à l’hôtel»

David Collard, Managing director d’Emotions Destination Management.

Sa compagnie a récemment décroché le «MEA Markets» Award. Pourtant, le bateau a tangué pendant la pandémie, ayant du mal à garder la tête hors de l’eau. Comment a-t-il fait pour redresser le navire ? La tempête est-elle vraiment passée ?

Vous avez récemment raflé le titre de «Most Trusted International Tourism & Hospitality Service Provider 2023», lors des MEA Markets African Excellence Awards, connus sur les marchés du Moyen-Orient et de l’Afrique. Cela a dû vous procurer pas mal d’émotions… Sinon, qu’est-ce qu’Emotions DMC avait de plus que les autres ?

En effet, les émotions ne manquent jamais quand on a un nom d’entreprise aussi évocateur… Cette récompense me touche beaucoup car elle arrive à un moment où nous pouvons enfin souffler et nous dire que le pire est derrière nous. C’est le fruit du travail acharné de toute notre équipe qui n’a jamais baissé les bras même dans les moments les plus durs et je les en remercie. Quant à savoir ce qui a fait pencher la balance entre nous et les autres, c’est une question qu’il faudrait poser aux membres du jury car je risque de ne pas être très objectif. J’ai le plus grand respect pour mes autres collègues des DMC (NdlR, Destination Management Companies), mais on va dire que nous avons su convaincre avec une signature dont nous avons le secret...

N’empêche que le Covid a failli faire couler le bateau… Comment avez-vous fait pour colmater le trou dans la coque du Titanic et redresser la barre ?

Le Covid a failli faire couler toute la flotte du tourisme en général ! Et nous avons vécu les moments les plus sombres de notre industrie. Certes, dans ce genre de situation, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne, mais aujourd’hui, Emotions renaît de ses cendres, ce qui n’est pas peu dire. Nous y sommes parvenus grâce au soutien et à la compréhension de tout un chacun. Je fais référence aux employés, aux partenaires locaux et étrangers, certaines institutions financières et sans oublier l’État mauricien à travers le ‘Wage Assistance Scheme.’ Et dans mon cas personnel, ma famille a été d’un très grand soutien pour m’aider à surmonter toutes ces épreuves.

Était-ce au prix de sacrifices humains, comprenez par là des licenciements ?

Malheureusement, quand un secteur subit ce genre de cataclysme, il y a forcément des dommages collatéraux. Nous n’avions aucune visibilité sur l’avenir ni de boule de crystal pour prendre des décisions. Chacun avait ses propres critères et faisait pour le mieux. Et comme l’humain reste un maillon déterminant dans un secteur de service, c’est une phase qui fut particulièrement éprouvante émotionnellement. Dans notre cas, nous avons eu plusieurs employés qui, dans le but de sauver l’entreprise, ont accepté de se ‘sacrifier’ sous forme d’un accord à l’amiable et je leur en serai toujours reconnaissant. Et depuis, la plupart d’entre eux sont retournés sur le navire, chose qui était convenue si la situation le permettait et cela a été le cas fort heureusement. Cela témoigne également de leur attachement et de leur confiance en l’entreprise.

Emotions DMC mise surtout sur le segment du luxe. Les affaires ont-elles repris comme il se doit de ce côté-là ? Ou la crise touche-t-elle également les plus fortunés ?

La crise n’a jamais affecté les plus fortunés et je dirai même que cela a été le contraire. Ils furent contraints à ne pas voyager et n’avaient qu’une hâte, de pouvoir le faire à nouveau. Et d’ailleurs, ce sont eux en grande majorité qui ont pris l’avion immédiatement après l’assouplissement des mesures sanitaires et Maurice en a grandement bénéficié malgré la hausse du prix des billets d’avion. Les établissements hôteliers de luxe ont très vite affiché le sourire avec un fort taux de remplissage. Cela nous a également permis, chez Emotions, de reprendre un grand bol d’oxygène pour redémarrer nos activités. Je dirai que ce segment haut de gamme se porte merveilleusement bien.

En parlant de luxe, les séjours à l’hôtel ne sont pas à la portée du porte-monnaie du citoyen lambda. Vous trouvez cela juste ?

Depuis longtemps, il existe cette perception qu’un séjour à l’hôtel est considéré comme un luxe et de ce fait, pas à la portée de tout le monde. Nous pouvons néanmoins constater que le secteur a beaucoup évolué depuis, permettant aux personnes moins aisées et sans Actualité 9 gros budgets de découvrir les joies d’un séjour balnéaire avec de l’animation, divers restaurants et des activités gratuites, etc. Nous avons une palette d’hôtels qui est désormais accessible aux petits budgets et cela permet de démystifier cette image de milieu inaccessible. D’ailleurs, plusieurs hôtels font régulièrement des offres pour les Mauriciens qui, nous devons le saluer, ont énormément aidé le secteur pendant la crise pandémique. Cette nouvelle équation a changé certaines mentalités et certains préjugés. Le Mauricien, en fonction de ses moyens, doit avoir accès aux hôtels aussi bien que le client étranger. Ceci est aujourd’hui une réalité.

Nos plages qui rapetissent à vue d’œil, qui s’érodent, le gris du béton qui domine peu à peu le vert de nos forêts, la montée des eaux, le réchauffement… Le secteur du tourisme n’est-il pas appelé à se réinventer ?

Tout à fait. Nous devons composer avec plusieurs facteurs. D’un côté nous avons le climat global et le réchauffement de la planète qui perturbent énormément notre écosystème. Comme beaucoup d’îles, nous faisons face à un gros souci d’érosion, à la vulnérabilité de notre faune et de notre flore et j’en passe. De l’autre côté, nous avons une clientèle beaucoup plus sensible et réceptive à l’environnement pour le choix de ses vacances. Les réseaux sociaux, qui répercutent les avis des voyageurs, sont sans appel et influencent directement le choix des touristes sur la destination, les hôtels et autres prestations de leurs vacances. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons plus nous permettre les erreurs du passé.

Plus que jamais, le secteur doit emboîter le pas à cette nouvelle dynamique. Nous devons impérativement construire en harmonie avec la nature, que ce soit au niveau de l’architecture, des matériaux utilisés, des couleurs et en privilégiant un tourisme vert. Mettre en place des plans de développements durables et pas seulement sur nos littoraux mais également en région urbaine et rurale. Ici, je dois saluer plusieurs hôtels et groupes hôteliers qui ont déjà grandement avancé dans cette direction. J’ajouterai que la conservation de nos forêts endémiques, jardins nationaux, plages, îlots et fonds marins reste également une priorité.

Que pourra-t-on alors proposer d’autre que le sourire charmeur des Mauriciens ?

Le sourire et l’hospitalité légendaires du Mauricien demeurent les atouts majeurs de la destination. Par contre, nous ne devrions pas nous limiter à cela car notre île a énormément à offrir en termes de culture, d’histoire, de cuisine du terroir et d’activités en pleine nature. Certes, notre côté carte postale idyllique a énormément contribué au positionnement et au succès de la destination mais nous devons aller encore plus loin car la concurrence est rude.

Les randonnées, les escalades de montagne, le VTT, le kayak, le tourisme du bien-être, le développement des chambres & tables d’hôtes, le segment de l’événementiel, l’élaboration d’un calendrier d’activités culturelles et sportives et la professionnalisation de notre artisanat, sont autant de pistes à exploiter. Il serait également important de valoriser des villages typiques leur permettant de devenir des incontournables lors d’un séjour à Maurice et de mettre en avant notre patrimoine historique pour faire vivre aux clients étrangers des expériences en immersion totale.

La compagnie aérienne nationale, ses déboires… Quel est votre avis sur toutes ses turbulences ?

Comme je l’ai précisé avant, tout le secteur a énormément souffert durant cette crise et notre compagnie aérienne nationale n’a pas fait exception. Nous avons tous craint le pire pour Air Mauritius et nous sommes soulagés de voir voler de nouveau le Paille-en-Queue, avec de nouvelles ambitions. J’espère que leurs turbulences liées à la pandémie font maintenant partie du passé. Une destination sans compagnie aérienne nationale reste limitée au niveau de sa croissance économique et elle est appelée à voir disparaître son industrie touristique. Donc, nous ne pouvons que leur souhaiter bon vent.

Le ministère, la Mauritius Tourism Promotion Authority, font-ils ce qu’il faut pour aider à relancer le tourisme après la pandémie selon vous ?

Le ministère ainsi que l’office du tourisme ont été très actifs dans cette démarche, en multipliant les rencontres avec les professionnels, en nous apportant leur soutien et en organisant plusieurs voyages d’inspection et des plateformes de rencontres avec les tour-opérateurs étrangers. La destination reste très présente sur la scène internationale à travers des bureaux de représentation, des salons touristiques et autres workshops. La ligne de communication est très fluide avec une équipe de jeunes dynamiques, ainsi qu’avec des seniors qui nous apportent leur expertise. Maurice reste une destination très plébiscitée sur plusieurs marchés aussi bien régionaux qu’internationaux. Je constate un réel effort de développement par les autorités concernées sur de nouveaux marchés émergents; on ne se repose pas uniquement sur les marchés traditionnels.

Plus de Rs 350 millions pour un ‘accord’ avec le club de foot de Liverpool, était-ce une bonne tactique ? N’aurions-nous pas pu, dû, utiliser cet argent autrement ?

Cet accord fait polémique depuis un certain temps déjà et a fait couler beaucoup d’encre. L’autre dira qu’on aurait toujours pu mieux faire en utilisant ces fonds autrement. C’est un choix comme un autre. J’imagine qu’il y a eu une réflexion approfondie autour de cette décision avec une étude menée pour pouvoir en mesurer les retombées. Le foot reste le sport le plus populaire au monde et soulève la foule que ce soit dans les stades, les bars ou autres clubs privés. Quoi qu’il en soit, le tourisme aujourd’hui à Maurice se porte très bien et c’est l’essentiel !

Maurice a-t-il perdu la bataille touristique contre les Seychelles et les Maldives ? Que faut-il faire pour remporter la ligue ?

Je ne pense pas que nous ayons perdu la ligue comme vous le dites contre ces îles. Chacune d’entre elles a ses qualités et ses zones d’ombre, tout comme c’est le cas pour nous. Les Seychelles et les Maldives ont surfé sur la vague avant nous avec une réouverture des frontières beaucoup plus rapide. L’île Maurice a un ADN propre à elle et c’est à nous de prendre de la hauteur en mettant en exergue nos compétences, notre savoir-faire et l’âme de la destination. Nous avons des atouts indéniables que les îles précitées n’ont pas. Continuons de miser à fond sur notre richesse pluriculturelle, notre expertise du service en valorisant les métiers, notre qualité d’hôtellerie et faisons découvrir la richesse intérieure du pays. Je dirai que nous ne sommes qu’à la mi-temps de ce match et que rien n’est joué...

Les cinq prochaines années, vous les voyez comment pour votre compagnie et pour le pays ?

Emotions a encore de belles années devant elle, tant que nous aurons cette clientèle exigeante mais connaisseuse. Une clientèle qui n’hésite pas à dépenser tout en sachant pertinemment bien que la qualité a un prix et qui recherche un partenaire de proximité qui a fait ses preuves et offrant des prestations cousues-main. Nous avons le privilège d’avoir un personnel dévoué, passionné et fidèle qui nous permet d’envisager l’avenir avec sérénité.

Quant à la destination, elle a encore tellement de trésors à dévoiler, mais nous devons en prendre grand soin. Il est primordial d’accroître les relations d’échanges entre le secteur privé et le secteur public car c’est ensemble que nous relèverons les défis de demain. Tout développement touristique devra se faire de façon stratégique et réfléchie afin de pouvoir continuer à procurer aux touristes pour encore longtemps… de belles émotions.