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Écrivain français bestseller
David Foenkinos : «Il faut se méfier des gens qui ont un avis sur la littérature»
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Écrivain français bestseller
David Foenkinos : «Il faut se méfier des gens qui ont un avis sur la littérature»

■ L’écrivain David Foenkinos, prix Renaudot, au «Heritage Le Telfair», à Bel-Ombre, le jeudi 24 juillet. Photo: Aurelio Prudence
Parenthèse enchantée la semaine dernière au «Heritage Le Telfair Golf & Wellness Resort», à Bel-Ombre, pour l’écrivain à succès David Foenkinos. En toute simplicité, l’auteur aux six millions d’exemplaires vendus, prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens en 2014, nous guide entre les lignes d’une œuvre construite au fil de ses 20 livres.
🔵Votre dernier roman, «Tout le monde aime Clara», paru le 6 février chez Gallimard, analyse la popularité. Vous avez envie que tout le monde aime David Foenkinos ?
Ce n’est pas mon ambition première. C’est vrai que les livres marchent bien. w Vous venez de célébrer vos six millions d’exemplaires vendus. C’est bien.
🔵C’est juste bien?
Je vis des choses très fortes en tant qu’écrivain. Quand on est no 1 des ventes, on n’est pas aimé par tout le monde. Pour moi, qui ne lisais pas adolescent, voir des jeunes de 14, 15, 16 ans à mes dédicaces, ça me bouleverse.Être étudié à l’école, c’est extraordinaire.
🔵Vous avez vécu l’expérience de mort imminente à 16 ans. Cela a déclenché votre envie de lire. Comment donner envie à la jeunesse de lire sans en arriver à cette extrémité ?
Évidemment, on n’est pas obligé de vivre ça pour lire. Cela m’est arrivé en 1991. Il n’y avait pas les réseaux sociaux, les portables. Pendant des mois, j’étais à l’hôpital. Les livres m’ont vraiment accompagné. Il y a un lien entre l’expérience de la fragilité, quand on vit des choses difficiles, et le fait d’avoir un rapport plus sensible à la vie. La peur de la mort m’a propulsé vers un désir de vie, de beauté et de sensibilité. Je ne savais pas que ça allait m’apporter l’imagination. Il n’y avait pas de livres chez moi.
🔵Donc, l’imagination peut se nourrir d’autres choses ?
C’est un peu le sujet du dernier livre. Le personnage de Clara, c’est une jeune fille qui se réveille d’un coma avec un don de voyance. Quand on rencontre la mort, on déverrouille une sensibilité. C’est le premier livre – au bout de 20 livres – où j’aborde des choses très importantes pour moi qui sont liées au mysticisme, à la croyance de la réincarnation, à l’astrologie, plein de choses que je n’avais jamais évoquées, parce que je trouvais cela non pas ringard mais intime.
🔵Alors que vous avez raconté ce qui vous est arrivé à 16 ans, qui est très intime aussi ?
Oui, c’est intime. Après, j’écris des fictions, je parle peu de moi dans mes livres. Je n’ai pas raconté à quel point ça m’avait rendu mystique.
🔵Revenons à vos six millions d’exemplaires vendus.
J’ai une grande famille. [rires]
🔵Est-ce que vous avez la pression de la nouveauté ? On pourrait croire que toutes les histoires ont été racontées.
Je ne suis pas d’accord. Si vous aviez Flaubert devant vous, il vous dirait : «Mon prochain roman, c’est l’histoire d’une femme qui s’ennuie, qui trompe son mari». [rires] Et le mari meurt. Même si tout a été dit en littérature, dans la façon dont on raconte, tout peut être inventé.
Là où vous avez totalement raison, c’est que je ne veux surtout pas faire des choses que j’ai déjà faites. Je l’ai vécu avec La Délicatesse (NdlR, paru en 2009 chez Gallimard). Avant, mes livres se vendaient à 2 000, 3 000 exemplaires. La Délicatesse, c’était un million et demi. Cela a été complètement fou. Mais je me suis tout de suite dit : «Tu ne vas pas écrire le même type de livre.» J’ai écrit Charlotte (NdlR, prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens 2014), un livre extrêmement douloureux sur une peintre allemande. Certaines personnes chez Gallimard disaient que c’était un suicide commercial. Avoir du succès, c’est une liberté d’explorer autre chose.
🔵Gallimard vous a déjà refusé un livre ?
Depuis le succès, non, parce que je me suis autocensuré. J’ai abandonné, jeté des livres.
🔵Combien de livres avezvous jetés ?
Je ne sais pas, des débuts de livres, des projets. J’ai eu une consécration avec un livre très sérieux. Je me suis dit : «Il faut que tu fasses autre chose.» Le livre suivant a été une comédie sur la vie littéraire, Le Mystère Henri Pick (NdlR, paru chez Gallimard en 2016). Peut-être que je vais arriver en bout de course, mais je ne vais pas écrire La Délicatesse 2.
🔵Dans «Tout le monde aime Clara», il y a le personnage de l’écrivain qui anime des ateliers d’écriture, mais qui n’arrive pas à écrire. Le personnage de l’écrivain, ça vous travaille ?
Au-delà du personnage de l’écrivain, je suis attiré par les figures de l’ombre. Ceux qui échouent, ceux qui sont presque au bord de réussir, les oubliés. C’est une obsession que j’ai mis du temps à comprendre.
🔵L’expérience de la mort imminente date de vos 16 ans. Vous en avez aujourd’hui 50. Trente-cinq ans plus tard, ce ressort de votre créativité, il faut continuer à en parler ?
Je n’en ai pratiquement jamais parlé ou très peu jusqu’aux deux derniers livres. Parce que La vie heureuse(NdlR, paru en 2024 chez Gallimard) parlait d’un rituel en Corée du Sud.
🔵De fausses funérailles.
Exactement.
🔵Avez-vous essayé le rituel ?
Je n’en ai pas eu besoin, j’ai eu une expérience de mort. Cette thérapie m’a fasciné. L’idée de vivre physiquement la mort pour avoir une énergie de vie, je le comprends parfaitement. Par contre, j’ai fait des photos pour Paris-Match dans un cercueil.
🔵Plusieurs de vos livres ont été adaptés au cinéma. Vous lâchez prise lors des adaptations ?
J’ai parfois écrit le scénario, comme pour Les souvenirs, réalisé par Jean-Paul Rouve. Quand c’est Rémi Bezançon et Le Mystère Henri Pick, je laisse totalement faire. Et il a fait le film avec Fabrice Luchini et Camille Cottin (NdlR, sorti en 2019). J’ai refusé toutes les propositions de cinéma pour Tout le monde aime Clara, La vie heureuse, Vers la beauté, parce que je ne veux pas que tous mes livres deviennent des films.
🔵C’est rare un écrivain qui refuse cette opportunité.
J’ai gagné ma vie, je peux me permettre de refuser. Certains livres comme Vers la beauté (NdlR, paru en 2018 chez Gallimard), je ne pourrais pas imaginer…
🔵C’est inadaptable?
Non, mais un film, ça reste. Après La Délicatesse, pendant des années, les gens lisaient le roman avec Audrey Tautou en tête. Un livre, ça doit procurer à chaque personne son propre film. Alors, sauf proposition très excitante…
🔵Dans vos romans, vous parlez des réseaux sociaux, n’en déplaise à ceux qui trouvent cela trivial. C’est important d’ancrer la littérature dans la réalité ?
Il faut se méfier de tous les gens qui ont un avis sur la littérature. Elle appartient à tout le monde. Il n’y a pas de vérité dans la littérature. Houellebecq, c’est un immense écrivain. Il a parlé de Questions pour un champion. Ce qui est important, c’est le talent de l’écrivain. Balzac parlait des réseaux sociaux avec La Comédie humaine. Mes premiers livres étaient totalement absurdes, loufoques, pas du tout réalistes. Je me sens assez éloigné de ces livres.
Vous avez conseillé de ne pas les lire. Je vous le déconseille. J’adorais les écrivains de l’Est, Gombrowicz. Il y avait beaucoup d’absurdes. Depuis, je me suis rencontré, en tout cas, j’ai été plus juste, plus réaliste. N’empêche que mon dernier livre parle d’intuitions étranges… Je ne suis pas l’auteur le plus moderne. J’ai Instagram depuis seulement un an. Je m’en fous des réseaux sociaux, mais c’est important pour moi d’être dans la vérité. Ce qui fait littéraire, c’est d’avoir sa langue. Ce qu’on attend d’un écrivain, c’est qu’il ait sa langue.
🔵Comment décririez-vous votre langue?
Je ne la décris pas. Elle est.
🔵Elle est ?
Elle est moi. Elle est la façon dont je vois les choses, la façon dont je joue avec les mots, la façon dont j’utilise les sonorités. Ce qui m’intéresse, c’est qu’on se dise : «Tiens, là, on ouvre un de ses livres et on sait que c’est lui.»
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