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Théâtre

Pierre-André Boullé: «De nombreuses femmes ont un besoin de se libérer !»

14 février 2024, 20:30

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Pierre-André Boullé: «De nombreuses femmes ont un besoin de se libérer !»

Pierre-André Boullé, Producteur des Productions Trois.

• «Combien d’histoires, combien de blessures, combien d’abus, combien de drames ont été balayés ou sont encore balayés sous le tapis aujourd’hui ?»

Pas besoin d’attendre le 8 mars pour célébrer la femme. Elle est omniprésente dans le calendrier de la vie. Elle est au cœur de la démarche artistique du producteur Pierre-André Boullé, du metteur en scène Ashish Beesoondial et de la comédienne Rachel de Spéville (elle incarne plus de 15 personnages d’un coup) qui nous offrent une pièce à découvrir les vendredi 23 et samedi 24 février : «La folle et inconvenante histoire des femmes». Le but n’est pas de sensibiliser, d’autres le font déjà depuis des lustres. Le but ici est d’alerter et de libérer la parole… Entretien avec un producteur que le pays gagnerait à mieux connaître.

Comment abordez-vous la mise en scène de «La folle et inconvenante histoire des femmes» pour équilibrer les éléments d’humour et d’engagement, compte tenu des thèmes historiques et féministes de la pièce ?

En tant que producteur, j’ai beaucoup de chance d’avoir Ashish Beesoondial comme metteur en scène. L’envie de monter un projet ensemble ne date pas d’hier. Alors quand j’ai reçu les droits pour monter La folle et inconvenante histoire des femmes et que j’ai discuté de la production avec Rachel (NdlR, Rachel de Spéville), un de mes prérequis était que le spectacle soit mis en scène par Ashish.

Ashish a une sensibilité qui est essentielle à la mise en scène de la pièce. Il a tout de suite cerné la portée pédagogique du texte et notre volonté à faire bouger les lignes à travers ce médium unique qu’est le théâtre ! C’est un texte merveilleusement bien écrit, fluide ; la plume de Laura Leoni nous permet de naviguer entre humour, histoire et sujets tabous avec simplicité et sans concession. La complicité déjà existante entre le metteur en scène et notre comédienne a justement permis de trouver cet équilibre sans trop de difficulté et le reste, c’est du travail, du travail et encore du travail.

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Le metteur en scène et la comédienne.

Pouvez-vous expliciter la décision d’inclure des histoires de femmes de l’histoire mauricienne dans la pièce et comment cela impacte-t-il la narration et le message global ?

Nous n’avons pas modifié le texte original de Laura Léoni. Les différents personnages historiques, fictifs ou réels, à travers leurs vécus et les problématiques qui sont évoqués, feront écho dans le public. Les thématiques sérieuses, parfois présentées sur un ton humoristique, résonneront tout autant chez la femme mauricienne que chez les hommes qui voudront bien tendre l’oreille.

Cependant, ce que nous souhaitons et nous travaillons dessus avec Daniella Bastien, c’est de porter le sujet au-delà des planches du Caudan Arts Centre. Il s’agit là de l’autre étape de notre projet. Malheureusement, et je suis triste de l’annoncer. Nous avions prévu la venue de l’auteure, Laura Léoni, pour un bord de scène et une masterclass. Les récents aléas climatiques à Port-Louis et les incertitudes aériennes auront eu raison de sa volonté à nous rejoindre (…) En réalité, la pièce nous fait nous poser la question : qui sont ces femmes «nos grandes muettes» qui ont marqué l’histoire de Maurice ? Pourriez-vous m’en citer quelques-unes ? Anjalay… puis ? Je rêve que cette pièce éveille les consciences. Qui sont les oubliées de notre histoire ? Par exemple, qui connaît aujourd’hui Émilienne Rochecouste ? Tout aussi fondamental l’hommage de Rezistans ek Alternativ à Ana de Bengal. Nous pourrions commencer par rendre disponible dans toutes les écoles Women in the making of Mauritian History de Vijaya Teelock du Centre de recherches sur l’esclavage et l’engagisme (CRSI). Autant le message est universel, autant l’impact se veut et doit être local.

Comment prévoyez-vous d’utiliser le parcours artistique éclectique et l’expérience de Rachel de Spéville pour donner vie à la multitude de personnages de la pièce ?

Tout comme mon choix sans équivoque du metteur en scène, le projet s’est construit sur l’idée que ce soit Rachel qui incarne Sacha, non seulement pour le défi artistique mais surtout pour qu’elle nous révèle les multiples facettes de son talent de comédienne, en incarnant plus de 15 personnages sur scène ! Rachel sait être sérieuse mais a aussi ce grain de folie qui lui permettra de jongler en traitant de sujets sérieux avec émotion et sincérité, tout en nous faisant rire.

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La comédienne incarne une quinzaine de personnages sur scène. Un challenge à couper le souffle.

Quelles sont vos attentes concernant l’impact de cette pièce sur le public mauricien ?

Sincèrement, il ne s’agit plus de sensibiliser mais plutôt d’alerter ! Je ne préfère pas m’emporter tant que la pièce ne sera pas présentée et avoir entendu les retours du public. Évidemment, nous avons des attentes et souhaitons qu’on nous entende, qu’on comprenne que le choix de ce spectacle n’est pas anodin. La pièce a pour but de désinhiber la parole. Je souhaite surtout que cela provoque une envie. Nous entrouvrons une porte et je suis tout aussi curieux que vous de voir qui s’y engouffrera. De là, nous serons présents pour accompagner les initiatives. Nous travaillons dessus car il ne s’agit pas que de rééquilibrage du nombre hommes-femmes sur des boards ou à des postes de leadership, il s’agit de porter le débat sur les champs historiques, culturels, voire politiques ! (…)

Comment cette production s’aligne-t-elle avec la mission des Productions Trois de promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion, et quels projets futurs envisagez-vous pour poursuivre ces valeurs ?

Les Productions Trois a été créée avec pour mission d’accompagner la création, la réalisation et la production théâtrale à Maurice. Nous souhaitons proposer des spectacles variés, guidés par nos valeurs qui sont créativité, sincérité et crédibilité. Lorsqu’un projet nous donne également l’opportunité d’aborder des sujets d’actualité ou de société qui nous tiennent à cœur, ce n’est que du bonus ! Le théâtre n’est-il toujours pas le lieu indispensable du débat moral, de la provocation qui a la «charge de représenter les mouvements de l’âme, de l’esprit, du monde et de l’histoire ?»

En revanche, notre prochain projet, si nous trouvons les ressources de financement nécessaires, retournera sur notre mission première du «devoir de mémoire et de transmission du patrimoine mauricien» avec une deuxième pièce du cycle Georges André Decotter. Cette pièce sera une vraie surprise et viendra en quelque sorte boucler la boucle entre l’auteur (André Decotter) et le metteur en scène (Jon Rabaud) autour d’un point commun qui existe entre eux. Je n’en dis pas plus.

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Libérez la parole !

Vous avez choisi de mettre en exergue la phrase «CE N’EST PAS PARCE QUE L’ON NE PARLE PAS DES CHOSES QU’ELLES N’EXISTENT PAS». Pourquoi elle vous parle tant ?

Ce propos, nous l’avons emprunté du spectacle monté en France par Diane Prost. La pièce traite de la place et de la condition de la femme dans nos sociétés patriarcales à travers les siècles. «Ces choses dont on n’ose parler» nous renvoient à une évidence. On touche sous cet angle tout autant à l’intime de la femme qu’à cette omerta qui pèse comme une chape de plomb sur le progrès au sens large de la société mauricienne. Combien d’histoires, combien de blessures, combien d’abus, combien de drames ont été balayés ou sont encore balayés sous le tapis aujourd’hui ? Des secrets de polichinelle pour certains et d’autres honteusement bien gardés ; pour ne pas ternir la réputation de tel ou tel homme, pour ne pas ternir un nom, pour ne pas ternir une famille, pour ne pas ternir la réputation d’une entreprise ou d’un gouvernement. Est-ce encore acceptable ? Combien ont osé briser le mur du silence ?

Nous voyons aussi que de nombreuses femmes ont un besoin de se libérer ! de parler, de s’exprimer sur des sujets considérés comme «tabous» tout en se sentant sécurisées; par exemple sur leurs frustrations sexuelles, sur la liberté sexuelle, sur l’ennui dans le couple, sur la difficulté d’être femme active et maman dans le contexte mauricien, sur le choix d’avoir ou ne pas avoir d’enfant, sur leurs anxiétés, insécurités, sur les violences et humiliations subies !

La folle et inconvenante histoire des femmes, ce sont des rires, de l’émotion, des claques, des vérités et surtout du théâtre – l’Art – au service de la réflexion et pourquoi pas d’une libération !