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De Repiblik Zanimo au dodo

Des mots pour la mémoire, des plumes pour l’avenir

6 avril 2025, 18:00

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Des mots pour la mémoire, des plumes pour l’avenir

Le livre est aussi un hommage au Kreol Morisien.

Souillac. Le vent y porte toujours une odeur d’algues mêlées au souvenir des hommes. C’est là, dans cette bourgade de pierre et de lumière, qu’Owen et Mary-Ann Griffiths ont décidé de raviver deux légendes oubliées de notre île : Repiblik Zanimo et le dodo. L’un est né dans les années 1970, traduit secrètement en Kreol Morisien pour contrer la montée du socialisme. L’autre, disparu depuis plus de trois siècles, pourrait bien renaître par la science, grâce aux travaux du paléontologue britannique Julian Hume.

Il y a chez ce couple de Souillac une forme de résistance douce : celle des bibliophiles qui croient que la mémoire se grave mieux dans le papier que dans les discours. Et une curiosité rare : celle qui ne sépare jamais la littérature du vivant. De Repiblik Zanimo à Colossal Biosciences, les Griffiths n’écrivent pas une simple histoire de réédition ou de biotechnologie. Ils offrent un regard sur Maurice : un pays où chaque mot, chaque espèce, chaque trace, méritent qu’on s’en souvienne.

Deux projets, deux quêtes. L’un pour sauver un livre effacé par le temps. L’autre pour peutêtre ramener un oiseau effacé par l’homme.

Orwell au cœur des tropiques

À la fin des années 1960, Maurice est un pays en pleine mutation. Le vent du socialisme souffle sur les campagnes, les usines et les esprits. Le MMM émerge, la jeunesse s’organise. Mais dans l’ombre des cocotiers, l’Empire veille encore. C’est dans ce contexte que Animal Farm, le roman satirique de George Orwell, est secrètement traduit en Kreol Morisien, non pas par de simples intellectuels, mais par les services secrets britanniques et américains.

Ce pan d’histoire, longtemps ignoré, ressurgit aujourd’hui grâce à Owen et Mary-Ann Griffiths. Avec la complicité de l’historien Robert Furlong, ils découvrent que cette bande dessinée fut d’abord publiée dans le journal Libération entre 1974 et 1975, avant d’être éditée par Rafik Gulbul. Le créole employé est brut, savoureux, imprégné des accents du Sud, de l’ironie populaire et de la colère lucide.

«On a voulu republier cette BD en couleur, tout en gardant le texte original», explique Owen. «Ce créole, c’est une archive en soi.» Le résultat : un livre rare, beau, dérangeant, disponible aujourd’hui chez Bookcourt. L’avantpropos raconte cette histoire cachée, et les lecteurs découvrent, stupéfaits, que leur île fut un petit théâtre de la guerre froide culturelle.

L’intérêt est double : littéraire d’abord, car la transposition d’Orwell dans le contexte mauricien rend les symboles encore plus acérés. Le cochon Napoléon y devient une figure du pouvoir postcolonial. Les moutons, un peuple bercé de promesses. Boxer, le travailleur qui s’épuise à la tâche en croyant à des lendemains meilleurs.

Mais Repiblik Zanimo est aussi un acte politique. En redonnant vie à ce texte, les Griffiths rappellent que la littérature est une arme. Que la langue créole, souvent reléguée à la maison ou à la rue, peut porter des idées aussi puissantes que le français académique. Ils en font un espace de résistance, de transmission, de mémoire.

Le succès est discret mais réel. Les lecteurs mauriciens et étrangers redécouvrent l’histoire d’un livre que même Orwell n’aurait jamais imaginé voir transformé ainsi. La réédition de Repiblik Zanimo devient un miroir tendu à Maurice : que faisons-nous de nos luttes passées, de nos mots interdits, de nos rêves abandonnés ?

Science, mémoire et résurrection

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Un oiseau effacé par l’histoire. Une île marquée par son absence. Et aujourd’hui, un projet scientifique fou: faire renaître le dodo.

Owen Griffiths n’est pas seulement un passionné de littérature. Il est aussi un naturaliste engagé, un amoureux des espèces endémiques, un gardien des équilibres fragiles. Avec son ami le paléontologue Julian Hume (photo), ils suivent de près les travaux de Colossal Biosciences, une entreprise de biotechnologie qui vise la « dé-extinction » d’espèces disparues. Après des avancées sur les mammouths laineux, ils s’intéressent désormais à notre fameux dodo.

Le projet est aussi ambitieux que complexe. En modifiant les cellules germinales du Nicobar pigeon – un cousin génétique du dodo – Colossal espère créer un oiseau aux traits similaires. Ce ne sera jamais un dodo à 100 %, mais peutêtre un grand pigeon incapable de voler, au plumage proche, à l’âme reconstituée.

Pour Maurice, la question n’est pas seulement scientifique. Elle est éthique, écologique, identitaire. Où placer ces oiseaux ? Dans quelles forêts ? À l’abri de quels prédateurs? Faut-il vraiment ressusciter un symbole de l’extinction, ou vaut-il mieux sauver les espèces qui restent ?

Julian Hume répond par un compromis : «Cette technologie peut aussi aider les espèces en danger, comme le pigeon rose de Maurice, victime de consanguinité et de maladies.» Modifier leur génome pour renforcer leur immunité, c’est offrir une chance supplémentaire à notre biodiversité.

Pour Owen Griffiths, il y a là plus qu’un enjeu écologique. C’est une façon de réconcilier Maurice avec son passé. Le dodo, longtemps caricaturé, devient une figure de fierté, de résilience. « Trois siècles après sa disparition, peut-être que cet oiseau nous montre qu’aucune mémoire n’est vraiment perdue. »

Dans un monde qui efface si vite ce qu’il détruit, faire revivre le dodo, même partiellement, c’est envoyer un message fort : que les erreurs du passé peuvent servir de leçon. Et que Maurice, cette île au cœur de l’océan, peut être le théâtre d’une résurrection symbolique.

«Honorer la beauté du créole mauricien»

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Repiblik Zanimo, dans sa version BD en créole mauricien, fut tout d’abord publiée en tant que mini-série dans le journal mauricien Libération en 1974 /1975 puis très vite produite sous forme de BD en créole par feu Rafik Gulbul.

Repiblik Zanimo (Animal Farm) est un roman satirique de George Orwell, publié pour la première fois en Angleterre en 1945. Il raconte l’histoire d’un groupe d’animaux qui se rebellent contre leur fermier humain dans l’espoir de créer une société où les animaux pourraient être égaux, libres et heureux. Finalement, la rébellion est déjouée et sous la dictature d’un cochon autoritaire nommé Napoléon, certains animaux de la ferme se retrouvent dans un état pire que celui dans lequel ils se trouvaient au préalable.

Contrer le socialisme

Selon Orwell, Animal Farm reflète les évènements qui ont conduit à la Revolution Russe de 1917 et à la période staliniste qui s’en suivit plus tard en Union Soviétique.

Orwell écrit son livre entre novembre 1943 et février 1944, alors que le Royaume Uni est engagé dans une alliance avec l’Union Soviétique contre l’Allemagne Nazie et que l’Intelligentsia britannique tient Staline en grande estime. Fait que déplore profondément Orwell.

Après la mort de Orwell en 1950, sa veuve Sonia Orwell vend les droits de Animal Farm à Carleton Alsop and Farris Farr qui étaient, sans qu’elle le sache, des agents secrets pour le Bureau des Coordinations Politiques (OPC) de la CIA, qui finançaient toute forme d’Art anti-communiste. (...)

La version originale en créole mauricien de la BD fut secrètement financé en 1970 par ce même Service de Recherches et Documentation. Les Britanniques et les Américains pensaient que cela pourrait contribuer à contrer la montée du socialisme à Maurice à cette époque.

L’établissement d’un lien avec la guerre froide fut porté à notre attention par l’historien mauricien, Robert Furlong, que nous aimerions remercier à ce propos.

Le livre Animal Farm fut traduit en créole par feu Dev Virahsawmy en 2012.

Nous avons décidé de republier cette bande dessinée afin d’honorer la beauté du créole mauricien et rappeler au monde cette part fascinante de l’histoire mauricienne pendant la guerre froide. Nous avons toutefois gardé la version originale de Rafik Gulbul qui fera certainement sourire les puristes du créole moderne.

Owen and Mary-Ann GRIFFITHS

(Extrait de la préface de Repiblik Zanimo

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